Les récentes attaques lancées à l'encontre de la franc-maçonnerie font apparaître deux questions: l'une d'ordre conjoncturel, porte sur les " réseaux " niçois; l'autre, d'ordre structurel, est celle du secret maçonnique.
Sur le premier point, il suffit de rappeler une position de principe : toutes les fois que des griefs précis ont été retenus à l'égard de l'un de ses membres, la Grande Loge de France a pris instantanément les mesures qui s'imposaient, notamment la radiation de celui qui, ayant manqué à l'éthique maçonnique, n'était plus digne de figurer en son sein. Il convient toutefois d'ajouter que la nécessité d'une telle sanction n'est apparue que très rarement. La Grande Loge de France peut se féliciter de la qualité de ses membres, due à un choix qui tient moins compte de la situation socio-professionnelle que de la ferveur d'un idéal.
Elevons le débat. Qui trouvons nous au centre de la chronique judiciaire des derniers mois (je le dis dans un total respect de la présomption d'innocence) ? Des hommes politiques, de jadis, de naguère ou de maintenant; des responsables d'associations caritatives ou de mutuelles, des sportifs, un prêtre, un guide de haute montagne... Un inventaire à la Prévert.
Que viennent ici faire les " réseaux maçonniques"? Comment ne pas voir qu'il s'agit d'un problème de société et non de société secrète ? Comment ne pas voir que le recours à la franc-maçonnerie relève alors de la technique éprouvée du bouc émissaire ? Quand une société doute et se démoralise, elle cherche des responsables. Souvent, dans l'histoire récente, les francs-maçons ont joué ce rôle. Les juifs aussi; et parfois, on les réunit, dans le complot judéo-maçonnique de sinistre mémoire.
Alors se pose la seconde question, celle du secret. Au risque de surprendre, j'affirmerai sur ce point une part de responsabilité des francs-maçons. Hors d'un secret véritable, mais qui est d'ordre purement symbolique et ne saurait intéresser des non-maçons, nous nous sommes trop longtemps complu dans un faux secret qui a entretenu les fantasmes. Encore faut-il introduire ici une distinction entre secret d'appartenance et secret de fonctionnement.
Le premier relève de la discrétion individuelle et se comprend aisément si l'on veut bien se rappeler les persécutions subies au cours des siècles. Au bas du grand escalier de notre siège parisien est gravée 1a liste des francs-maçons morts en déportation. Sa longueur dispense de commentaire. Et il faudrait ajouter les persécutions d'Espagne et du Portugal mais aussi celles des dictatures de l'Est. Aujourd'hui encore, dans un registre heureusement moins tragique, mais néanmoins significatif, beaucoup constatent que l'appartenance à la franc-maçonnerie constitue un handicap, dans certains milieux et dans diverses professions.
Respectons par conséquent la discrétion d'appartenance. Le secret de fonctionnement serait de tout autre nature: il caractériserait une véritable société secrète. Mais j'écris tout cela au conditionnel car ce secret n'existe plus. Depuis plusieurs années, nous multiplions les efforts pour aller vers le public, à la télévision, dans la presse, lors de conférences ou des colloques. Il est donc navrant de voir cette démarche méconnue par de hauts responsables de la société française.
S'il ne dépendait que de nous d'aller plus loin et plus vite, ce serait fait. Mais combien de fois avons-nous entendu des journalistes nous dire: " Vous, francs-maçons, n'intéressez le public qu'en cas de crise. " Propos d'ailleurs confirmé par l'épisode actuel. Je suis prêt à participer quand on voudra à une émission sur la franc-maçonnerie, à une heure de grande écoute; à une émission se déroulant dans la sérénité, hors de toute polémique et destinée à faire savoir à tous comment est organisée la Grande Loge de France, comment travaillent ses membres, quels sont leurs sujets de réflexion, leurs objectifs, leur idéal.
Sans doute le public serait-il surpris de savoir que nous avons été parmi les premiers en France à dénoncer le danger des sectes, lors d'un colloque public. Sans doute serait-il intéressé par notre position sur la laïcité; loin de traduire une idée de combat, elle correspond de nos jours à une recherche de tolérance et d'échanges permettant à tous les courants spirituels de se rencontrer et de confronter leur démarche pour s'apercevoir que ce qui les unit est infiniment plus fort que ce qui paraissait les diviser. Car ce qu'ils ont en commun c'est une exigence d'élévation spirituelle, c'est un idéal de construction de l'homme.
Il est par trop réducteur et intellectuellement peu honnête de méconnaître cet élément fondamental pour ne voir en la franc-maçonnerie qu'un système de réseaux au service d'un pseudo-secret dont on n'a jamais autant parlé.
Jean-Claude Bousquet est grand-maître de la Grande Loge de France