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“La Grande Loge de France vous parle”

Octobre 1999

 

“Lumière et Secret de la Franc-Maçonnerie”

Intervenant  : Henri Tort-Nougès

Madame, Mademoiselle, Monsieur, bonjour,

Bernard Platon: Je reçois aujourd'hui Monsieur Henri Tort-Nouguès. Henri Tort-Nouguès, vous êtes franc-maçon depuis 1949, 50 ans donc, et vous avez été Grand Maître de la Grande Loge de France. Vous avez publié aux Editions Trédaniel des ouvrages concernant de la franc-maçonnerie: "L'idée maçonnique" tout d'abord, "L'Ordre maçonnique",  il y a peu de temps "Lumière et Secret de la Franc-Maçonnerie" et tout récemment "Lecture des Tableaux de Loge". En ce qui concerne ce dernier livre, il fera l'objet d'une autre émission. Nous voudrions parler aujourd'hui de "Lumière et Secret de la Franc-Maçonnerie"  . Pourquoi Lumière et Secret de la Franc-Maçonnerie ?

Henri Tort-Nouguès: Lumière et Secret de la Franc-Maçonnerie, parce que ces deux idées me semblent essentielles en Franc-Maçonnerie. Le rite maçonnique, l'initiation, le symbolisme évoquent l'idée de Lumière. Dans la Loge, à l'Orient se situe un Delta lumineux. A l'ouverture des travaux de la Loge, le Vénérable Maître invite les francs-maçons à tourner leur regard vers la Lumière. Le franc-maçon prête serment sur les trois Grandes Lumières de la maçonnerie: l'Equerre, le Compas, le Volume de la Loi Sacrée. Du début à la fin des travaux de la Loge, celle-ci est éclairée par les trois petites lumières: Sagesse, Force, Beauté, et l'initiation maçonnique consiste à passer des ténèbres à la Lumière, elle est ordonnée au Grand Architecte de l'Univers afin qu'il éclaire et protège nos travaux.

B.P.: Mais cette idée de Lumière est-elle propre à la seule Franc-Maçonnerie? Ne la trouve-t-on pas dans d'autres traditions?

H.T.-N.: Bien évidemment. Le thème de la Lumière, on le retrouve dans toutes les cultures. On le retrouve dans la culture hellénique et je mentionnerais très rapidement le célèbre mythe de la caverne de Platon où les prisonniers doivent se tourner vers la Lumière.

B.P.: Mais ne le trouve-t-on pas aussi dans la tradition judéo-chrétienne?

H.T.-N.: Là encore oui. Dans la Genèse, souvenons nous du "Fiat Lux", "Que la Lumière soit". Dieu parle et par sa parole il crée le monde et les hommes et il crée aussi la Lumière. Le thème de la Lumière on le retrouve dans les Psaumes, chez les Prophètes, on le retrouve dans les Proverbes.

B.P.: Mais ce thème de la Lumière, on le retrouve aussi dans le Nouveau Testament?

H.T.-N.: Exactement et en particulier dans l'évangile de Saint Jean, cher en particulier aux maçons écossais. Souvenons nous du prologue : "Au commencement était le Verbe, et ce Verbe a créé tout ce qui est et a créé la Lumière, cette Lumière véritable qui éclaire tout homme venant dans le monde". Pour Jean, Dieu est Lumière et il n'y a en lui aucune ténèbres et la Franc-Maçonnerie va recueillir ce double héritage, celui de la philosophie  grecque et celui de la tradition judéo-chrétienne.

B.P.: Mais alors cette Lumière serait étroitement liée à la tradition religieuse ou à l'idée de révélation?

H.T.-N.: Oui et non, en partie oui et en partie non.

B.P.: C'est une réponse de normand.

H.T.-N.: Peut-être mais qui demande une explication. Au Moyen Age, on distingue, voir Saint Thomas, la Lumière naturelle donnée par la raison et l'expérience de la Lumière surnaturelle donnée par la révélation. Et bien évidemment la première est subordonnée à la seconde. Cette validité de la Lumière naturelle, de la raison indépendante de la révélation est affirmée par Descartes, au XVIIème siècle "Je ne saurais rien révoquer en doute ce que la Lumière naturelle me fait voir pour être vrai.". Autrement dit, la Lumière naturelle s'émancipe par rapport à la Lumière surnaturelle, ce qui constitue, d'ailleurs, ce que Merleau-Ponty a appelé le grand rationalisme du XVIIème siècle, que l'on retrouve chez Spinoza, chez Leibniz et chez Malebranche. Cette Lumière naturelle règne dans le domaine mathématique certainement mais on oublie toujours de dire qu'elle règne aussi dans le domaine moral et métaphysique. Deux et deux font quatre chez tous les hommes et tous entendent la voie de la vérité qui nous ordonne de ne point faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fasse. N'est-ce pas cette raison universelle qui est la vraie Lumière, vraie Lumière qui éclaire tous les hommes?
Le désir de savoir est une passion des plus fortes et la plus universelle qu'éprouve l'homme. Elle le définit dans sa nature profonde et sa spécificité. L'homme ne peut sans doute pas être défini comme l'être qui sait mais comme l'être qui cherche à savoir. Et ce qui montre bien que, le plus souvent, l'homme a justement en lui ce désir de connaître et cette volonté de comprendre.

B.P.: Justement, la franc-maçonnerie cherche à répondre à cette question. Elle se définit comme une recherche de la Vérité, comme une quête de la Connaissance, de la Lumière.

H.T.-N.: Oui. Et cette recherche et cette quête et son sens, on la retrouve bien évidemment dans l'initiation qui veut nous octroyer la Lumière dans la pensée symbolique, dans les symboles qui sont considérés comme des moyens, des outils de la connaissance.

B.P.: Mais alors, justement est-ce que cet esprit on ne le retrouve pas dans les Loges maçonniques du XVIIIème siècle et ne conforte-t-elle pas la philosophie des Lumières?

H.T.-N.: Oui. Très souvent on a assimilé la maçonnerie toute entière à la philosophie des Lumières. Sans doute, ici, on peut se souvenir que dans le dictionnaire philosophique à l'article Liberté de penser, Voltaire, prenant le mot du poète latin Horace écrit "Sapere aude" "Ose penser, ose penser par toi-même", ose penser en liberté et en fonction de la raison, et nous savons que cette idée sera reprise par Kant dans son opuscule "Qu'est-ce que les Lumières" qui se traduit par une invitation à la réflexion personnelle dans la recherche de la vérité.

B.P.: Sans doute, l'esprit du siècle des Lumières a envahi les Loges maçonniques, au XVIIIème siècle en particulier, mais ne voit-on pas apparaître dans les Loges d'autres courants de pensée et des maçons qui s'expriment suivant une autre philosophie?

H.T.-N.: Très certainement. Sans aucun doute. Les historiens de la maçonnerie ont même pu écrire que la franc-maçonnerie, par la tradition dont elle se réclamait, par les doctrines qu'elle professait, par la forme qu'elle avait adoptée, fut une association d'esprits mystiques. Comme l'a écrit dans une formule célèbre René Jazynski "Le siècle des Lumières est aussi celui des illuminés, celui de l'illuminisme.". Cet esprit d'illuminisme a pénétré dans les loges maçonniques. On assiste à ce que l'on a appelé le retour du refoulé, c'est-à-dire du sentiment, de l'imagination, d'une sorte de mysticisme. Les illuminés croient en une illumination intérieure et celle-ci est distincte de la raison et selon eux elle lui est même supérieure pour appréhender quelques vérités. L'idée de l'illuminisme va de pair avec une conception ésotérique de la connaissance. L'idée d'illuminisme connote l'idée de gnose celle-ci étant définie comme une connaissance, une connaissance secrète accessible aux seuls initiés. Les francs-maçons du XVIIIème siècle, qu'ils soient adeptes de la philosophie des Lumières ou de l'illuminisme, ont entre eux, me semble-t-il, cela de commun c'est qu'ils recherchent tous une connaissance, une Lumière et que cette connaissance et cette Lumière est la condition de leur libération, autrement dit, qu'elle est essentielle à tout homme, soit qu'il recherche la sagesse et pourquoi pas pour certains le salut.

B.P.: Sans aucun doute, le thème de la Lumière est essentiel en franc-maçonnerie mais n'en est-il pas de même de l'idée de secret, ce secret qui a fait couler beaucoup d'encre?

H.T.-N.: Ce secret, comme vous le dites, continue à faire couler beaucoup d'encre. Il faut savoir ce que l'on dit quand on parle du fameux secret maçonnique sur lequel on a proféré beaucoup de contrevérités et beaucoup de sottises. Je rappellerais la formule célèbre de Ragon : "La Franc-Maçonnerie n'est pas une société secrète mais c'est une société qui a un secret.".

B.P.: Sans doute, la Franc-Maçonnerie n'est pas une société secrète, comme vous venez de le dire, mais elle a un secret. Quel est en fait ce secret?

H.T.-N.: Eh bien, à mon sens, ce secret tient en grande partie au caractère de l'institution qui se définit comme un ordre initiatique. Et cette initiation reste secrète, même si il est souvent divulguée dans les livres à sensation, parce qu'elle ne saurait être racontée, qu'elle ne peut être dite, parce qu'elle appartient à l'ordre du vécu et de l'expérience personnelle de chaque maçon. Le franc-maçon doit vivre son initiation, la vivre à la première personne et c'est en ce sens qu'elle est incommunicable. Ce secret est, si je puis dire, renforcé par le caractère du langage maçonnique c'est-à-dire par les symboles, ce symbole qui ne montre pas, qui ne dit pas, qui suggère; il voile en dévoilant ou il dévoile en voilant, il fait signe. Initiation et symbolisme conjugués expriment, à mon sens, le caractère du secret maçonnique. L'idée de secret, donc, exprime une certaine relation entre l'être et l'apparence comme elle exprime une relation entre la Lumière et les ténèbres. Mais, dit le poète, "Rendre la Lumière suppose d'ombre une morne moitié".

B.P.: Et s'il fallait conclure, Henri Tort-Nouguès?

H.T.-N.: Je dirais que le thème de la Lumière est lié au thème du secret bien compris, qu'ils sont essentiels et indissociables dans la pensée maçonnique. Ils en sont et le commencement et la fin, si vous m'en permettez ce langage, ils en sont l'Alpha et l'Omega. "Il ne faut pas laisser s'endormir la Lumière" a dit Gaston Bachelard "mais il faut la réveiller". Et c'est à cette condition que l'on pourra sauver l'homme et dans nos mécaniques civilisations comme disait Montaigne sauver l'esprit car l'esprit est toujours menacé et il est toujours à sauver. Le franc-maçon veut être voudrait être cet homme qui réveille la Lumière pour essayer de vaincre ce monde de chaos et de nuit, ce monde d'angoisse, de misère et de ténèbres. Oui, avec d'autres hommes de bonne volonté, qui voudraient réveiller cette vraie Lumière nous voulons dire celle de l'esprit et celle du cœur.

B.P.: Merci Henri Tort-Nouguès de cet entretien autour de votre livre "Lumière et secret de la Franc-Maçonnerie" édité chez Trédaniel. Je rappelle à nos auditeurs que le texte de cet entretien sera repris dans Points de Vues Initiatiques, revue de la Grande Loge de France d'une part et sur notre site Internet dans la décade qui va suivre et j'en rappelle l'adresse www.gldf.org

 

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