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Madame, Mademoiselle,
Monsieur, bonjour,
Bernard
Platon: Je reçois aujourd'hui Monsieur
Henri Tort-Nouguès. Henri Tort-Nouguès,
vous êtes franc-maçon depuis 1949, 50 ans
donc, et vous avez été Grand Maître
de la Grande Loge de France. Vous avez publié aux
Editions Trédaniel des ouvrages concernant de la
franc-maçonnerie: "L'idée
maçonnique" tout d'abord, "L'Ordre
maçonnique", il y a peu de temps
"Lumière et Secret de la
Franc-Maçonnerie" et tout récemment
"Lecture des Tableaux de Loge". En ce qui
concerne ce dernier livre, il fera l'objet d'une autre
émission. Nous voudrions parler aujourd'hui de
"Lumière et Secret de la
Franc-Maçonnerie" . Pourquoi
Lumière et Secret de la Franc-Maçonnerie
?
Henri
Tort-Nouguès: Lumière et Secret
de la Franc-Maçonnerie, parce que ces deux
idées me semblent essentielles en
Franc-Maçonnerie. Le rite maçonnique,
l'initiation, le symbolisme évoquent
l'idée de Lumière. Dans la Loge, à
l'Orient se situe un Delta lumineux. A l'ouverture des
travaux de la Loge, le Vénérable
Maître invite les francs-maçons à
tourner leur regard vers la Lumière. Le
franc-maçon prête serment sur les trois
Grandes Lumières de la maçonnerie:
l'Equerre, le Compas, le Volume de la Loi Sacrée.
Du début à la fin des travaux de la Loge,
celle-ci est éclairée par les trois
petites lumières: Sagesse, Force, Beauté,
et l'initiation maçonnique consiste à
passer des ténèbres à la
Lumière, elle est ordonnée au Grand
Architecte de l'Univers afin qu'il éclaire et
protège nos travaux.
B.P.: Mais cette idée
de Lumière est-elle propre à la seule
Franc-Maçonnerie? Ne la trouve-t-on pas dans
d'autres traditions?
H.T.-N.: Bien
évidemment. Le thème de la Lumière,
on le retrouve dans toutes les cultures. On le retrouve
dans la culture hellénique et je mentionnerais
très rapidement le célèbre mythe de
la caverne de Platon où les prisonniers doivent
se tourner vers la Lumière.
B.P.: Mais ne le trouve-t-on
pas aussi dans la tradition
judéo-chrétienne?
H.T.-N.: Là encore
oui. Dans la Genèse, souvenons nous du "Fiat
Lux", "Que la Lumière soit". Dieu
parle et par sa parole il crée le monde et les
hommes et il crée aussi la Lumière. Le
thème de la Lumière on le retrouve dans
les Psaumes, chez les Prophètes, on le retrouve
dans les Proverbes.
B.P.: Mais ce thème de
la Lumière, on le retrouve aussi dans le Nouveau
Testament?
H.T.-N.: Exactement et en
particulier dans l'évangile de Saint Jean, cher
en particulier aux maçons écossais.
Souvenons nous du prologue : "Au commencement
était le Verbe, et ce Verbe a créé
tout ce qui est et a créé la
Lumière, cette Lumière véritable
qui éclaire tout homme venant dans le
monde". Pour Jean, Dieu est Lumière et il
n'y a en lui aucune ténèbres et la
Franc-Maçonnerie va recueillir ce double
héritage, celui de la philosophie grecque
et celui de la tradition
judéo-chrétienne.
B.P.: Mais alors cette
Lumière serait étroitement liée
à la tradition religieuse ou à
l'idée de révélation?
H.T.-N.: Oui et non, en
partie oui et en partie non.
B.P.: C'est une
réponse de normand.
H.T.-N.: Peut-être mais
qui demande une explication. Au Moyen Age, on distingue,
voir Saint Thomas, la Lumière naturelle
donnée par la raison et l'expérience de la
Lumière surnaturelle donnée par la
révélation. Et bien évidemment la
première est subordonnée à la
seconde. Cette validité de la Lumière
naturelle, de la raison indépendante de la
révélation est affirmée par
Descartes, au XVIIème siècle "Je ne
saurais rien révoquer en doute ce que la
Lumière naturelle me fait voir pour être
vrai.". Autrement dit, la Lumière naturelle
s'émancipe par rapport à la Lumière
surnaturelle, ce qui constitue, d'ailleurs, ce que
Merleau-Ponty a appelé le grand rationalisme du
XVIIème siècle, que l'on retrouve chez
Spinoza, chez Leibniz et chez Malebranche. Cette
Lumière naturelle règne dans le domaine
mathématique certainement mais on oublie toujours
de dire qu'elle règne aussi dans le domaine moral
et métaphysique. Deux et deux font quatre chez
tous les hommes et tous entendent la voie de la
vérité qui nous ordonne de ne point faire
aux autres ce que nous ne voudrions pas qu'on nous
fasse. N'est-ce pas cette raison universelle qui est la
vraie Lumière, vraie Lumière qui
éclaire tous les hommes? Le désir de
savoir est une passion des plus fortes et la plus
universelle qu'éprouve l'homme. Elle le
définit dans sa nature profonde et sa
spécificité. L'homme ne peut sans doute
pas être défini comme l'être qui sait
mais comme l'être qui cherche à savoir. Et
ce qui montre bien que, le plus souvent, l'homme a
justement en lui ce désir de connaître et
cette volonté de comprendre.
B.P.: Justement, la
franc-maçonnerie cherche à répondre
à cette question. Elle se définit comme
une recherche de la Vérité, comme une
quête de la Connaissance, de la
Lumière.
H.T.-N.: Oui. Et cette
recherche et cette quête et son sens, on la
retrouve bien évidemment dans l'initiation qui
veut nous octroyer la Lumière dans la
pensée symbolique, dans les symboles qui sont
considérés comme des moyens, des outils de
la connaissance.
B.P.: Mais alors, justement
est-ce que cet esprit on ne le retrouve pas dans les
Loges maçonniques du XVIIIème
siècle et ne conforte-t-elle pas la philosophie
des Lumières?
H.T.-N.: Oui. Très
souvent on a assimilé la maçonnerie toute
entière à la philosophie des
Lumières. Sans doute, ici, on peut se souvenir
que dans le dictionnaire philosophique à
l'article Liberté de penser, Voltaire, prenant le
mot du poète latin Horace écrit
"Sapere aude" "Ose penser, ose penser par
toi-même", ose penser en liberté et en
fonction de la raison, et nous savons que cette
idée sera reprise par Kant dans son opuscule
"Qu'est-ce que les Lumières" qui se
traduit par une invitation à la réflexion
personnelle dans la recherche de la
vérité.
B.P.: Sans doute, l'esprit du
siècle des Lumières a envahi les Loges
maçonniques, au XVIIIème siècle en
particulier, mais ne voit-on pas apparaître dans
les Loges d'autres courants de pensée et des
maçons qui s'expriment suivant une autre
philosophie?
H.T.-N.: Très
certainement. Sans aucun doute. Les historiens de la
maçonnerie ont même pu écrire que la
franc-maçonnerie, par la tradition dont elle se
réclamait, par les doctrines qu'elle professait,
par la forme qu'elle avait adoptée, fut une
association d'esprits mystiques. Comme l'a écrit
dans une formule célèbre René
Jazynski "Le siècle des Lumières est
aussi celui des illuminés, celui de
l'illuminisme.". Cet esprit d'illuminisme a
pénétré dans les loges
maçonniques. On assiste à ce que l'on a
appelé le retour du refoulé,
c'est-à-dire du sentiment, de l'imagination,
d'une sorte de mysticisme. Les illuminés croient
en une illumination intérieure et celle-ci est
distincte de la raison et selon eux elle lui est
même supérieure pour appréhender
quelques vérités. L'idée de
l'illuminisme va de pair avec une conception
ésotérique de la connaissance.
L'idée d'illuminisme connote l'idée de
gnose celle-ci étant définie comme une
connaissance, une connaissance secrète accessible
aux seuls initiés. Les francs-maçons du
XVIIIème siècle, qu'ils soient adeptes de
la philosophie des Lumières ou de l'illuminisme,
ont entre eux, me semble-t-il, cela de commun c'est
qu'ils recherchent tous une connaissance, une
Lumière et que cette connaissance et cette
Lumière est la condition de leur
libération, autrement dit, qu'elle est
essentielle à tout homme, soit qu'il recherche la
sagesse et pourquoi pas pour certains le salut.
B.P.: Sans aucun doute, le
thème de la Lumière est essentiel en
franc-maçonnerie mais n'en est-il pas de
même de l'idée de secret, ce secret qui a
fait couler beaucoup d'encre?
H.T.-N.: Ce secret, comme
vous le dites, continue à faire couler beaucoup
d'encre. Il faut savoir ce que l'on dit quand on parle
du fameux secret maçonnique sur lequel on a
proféré beaucoup de
contrevérités et beaucoup de sottises. Je
rappellerais la formule célèbre de Ragon :
"La Franc-Maçonnerie n'est pas une
société secrète mais c'est une
société qui a un secret.".
B.P.: Sans doute, la
Franc-Maçonnerie n'est pas une
société secrète, comme vous venez
de le dire, mais elle a un secret. Quel est en fait ce
secret?
H.T.-N.: Eh bien, à
mon sens, ce secret tient en grande partie au
caractère de l'institution qui se définit
comme un ordre initiatique. Et cette initiation reste
secrète, même si il est souvent
divulguée dans les livres à sensation,
parce qu'elle ne saurait être racontée,
qu'elle ne peut être dite, parce qu'elle
appartient à l'ordre du vécu et de
l'expérience personnelle de chaque maçon.
Le franc-maçon doit vivre son initiation, la
vivre à la première personne et c'est en
ce sens qu'elle est incommunicable. Ce secret est, si je
puis dire, renforcé par le caractère du
langage maçonnique c'est-à-dire par les
symboles, ce symbole qui ne montre pas, qui ne dit pas,
qui suggère; il voile en dévoilant ou il
dévoile en voilant, il fait signe. Initiation et
symbolisme conjugués expriment, à mon
sens, le caractère du secret maçonnique.
L'idée de secret, donc, exprime une certaine
relation entre l'être et l'apparence comme elle
exprime une relation entre la Lumière et les
ténèbres. Mais, dit le poète,
"Rendre la Lumière suppose d'ombre une morne
moitié".
B.P.: Et s'il fallait
conclure, Henri Tort-Nouguès?
H.T.-N.: Je dirais que le
thème de la Lumière est lié au
thème du secret bien compris, qu'ils sont
essentiels et indissociables dans la pensée
maçonnique. Ils en sont et le commencement et la
fin, si vous m'en permettez ce langage, ils en sont
l'Alpha et l'Omega. "Il ne faut pas laisser
s'endormir la Lumière" a dit Gaston
Bachelard "mais il faut la réveiller".
Et c'est à cette condition que l'on pourra sauver
l'homme et dans nos mécaniques civilisations
comme disait Montaigne sauver l'esprit car l'esprit est
toujours menacé et il est toujours à
sauver. Le franc-maçon veut être voudrait
être cet homme qui réveille la
Lumière pour essayer de vaincre ce monde de chaos
et de nuit, ce monde d'angoisse, de misère et de
ténèbres. Oui, avec d'autres hommes de
bonne volonté, qui voudraient réveiller
cette vraie Lumière nous voulons dire celle de
l'esprit et celle du cœur.
B.P.: Merci Henri
Tort-Nouguès de cet entretien autour de votre
livre "Lumière et secret de la
Franc-Maçonnerie" édité chez
Trédaniel. Je rappelle à nos auditeurs que
le texte de cet entretien sera repris dans Points de
Vues Initiatiques, revue de la Grande Loge de France
d'une part et sur notre site Internet dans la
décade qui va suivre et j'en rappelle l'adresse
www.gldf.org
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