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Bernard Platon : Mesdames, mesdemoiselles, messieurs bonjour. Les témoignages que vous entendez depuis des mois ont pour but de vous éclairer sur la Franc-Maçonnerie et plus particulièrement sur la Grande Loge de France, obédience maçonnique à laquelle nous avons adhéré librement. Unus inter pares, je suis l'un parmi les autres, mes pairs. Aujourd'hui, je reçois Jean-Claude Bousquet Grand Maître de la Grande Loge de France, notre Président, en quelque sorte, lui aussi un parmi les autres mais le premier, primus inter pares. Vous avez en effet, Jean-Claude Bousquet, été élu lors de notre dernier Convent, c'est-à-dire notre assemblée législative annuelle par près de 650 députés qui la constitue et qui représentent leur loge dans lesquelles travaillent 25 000 francs-maçons de la Grande Loge de France. Actuellement, la presse, la télévision parlent beaucoup de Maçonnerie, des rapports de certains francs-maçons avec la politique avec l'économique, de certains frères perdus dans les affaires peut-être, parce que la recherche de l'Audimat, du sensationnel, du sulfureux prévaut sur la recherche de la vérité, du spirituel. A tout seigneur tout honneur, vous êtes le premier à la Grande Loge de France pourriez-vous nous dire ce qu'est la Franc-Maçonnerie, ce qu'est la Franc-Maçonnerie à la Grande Loge de France et en fin de compte la Franc-Maçonnerie à quoi ça sert ?
Jean Claude Bousquet : Ce qu'est la Franc-Maçonnerie tout d'abord. Je dirais que la Franc-Maçonnerie moderne, c'est-à-dire celle que l'on appelle Franc-Maçonnerie spéculative par opposition à la Maçonnerie opérative des bâtisseurs de cathédrales, cette maçonnerie qui est née au XVIIIème siècle en Angleterre et en France, pourrait avoir, à mon avis, la tâche essentielle de constituer un trait d'union entre une tradition initiatique ancestrale et un humanisme qui porte la marque de la modernité. Et je pense que lorsqu'on emploie le terme trait d'union cela veut dire que chacun des éléments qui se trouvent de part et d'autre de ce trait d'union ont la même importance. Et on peut revenir là-dessus, si vous le voulez, en disant tout d'abord, que la Franc-Maçonnerie se rattache, il est vrai, à une tradition initiatique. Une tradition initiatique que l'on peut aller rechercher très loin dans les sociétés les plus anciennes d'Egypte, de Grèce, et ce que l'on retrouve dans cette tradition initiatique, c'est le désir d'élever l'homme et de l'élever d'abord par la connaissance qu'il doit acquérir de lui-même: connais-toi toi même, c'est la devise qui était gravée sur le temple de Delphes, tout le monde le sait bien. Et que, à partir de cette tradition initiatique, la Franc-Maçonnerie estime que l'homme, ce qui caractérise l'homme c'est sa capacité de progrès. Et que par conséquent, il faut inciter chacun à retrouver le véritable homme qui est en lui, c'est-à-dire l'initié et à réaliser cette marge de progression dont il est capable. Alors voilà pour le premier terme du binôme : retrouver cette tradition initiatique. Mais il est clair que si nous en restions là, nous courrions le risque de devenir une sorte de cercle très fermé d'érudits pleins de bonne volonté, sans doute, mais complètement coupés de leur monde. Nous ne pouvons pas passer notre temps à nous entretenir des cérémonies d'Eleusis et le deuxième élément du trait d'union arrive alors et c'est ce que je disais tout à l'heure : concilier cette tradition initiatique ancestrale avec un humanisme qui porte la marque de la modernité. C'est-à-dire que nous devons être aussi dans notre temps, dans notre époque, dans notre société. Et au fond, je parlais tout à l'heure de la tradition des bâtisseurs de cathédrales, eh bien réfléchissons à ce qu'était la loge pour les bâtisseurs de cathédrales : c'était une cabane de chantier tout simplement, une cabane de chantier dans laquelle il faisait bon se retrouver entre ouvriers, dans laquelle étaient entreposés les outils de la construction et les plans nécessaires, dans laquelle parfois se transmettaient les secrets du métier. Donc cette loge avait une très grande importance mais elle ne tenait son importance que de la proximité d'un chantier, d'un chantier qu'il fallait faire avancer. Pour nous, Maçons spéculatifs, leurs héritiers sans doute, le chantier existe toujours mais le chantier c'est le monde, le chantier c'est la vie, le chantier c'est l'homme. Par conséquent, je reprends ma formule initiale qui, je crois, résume la Franc-Maçonnerie moderne : concilier une tradition ancestrale avec un humanisme moderne.
B.P. : Cette définition est elle propre à la Grande Loge de France ou propre à toutes les Maçonneries ou toutes les Obédiences qu'on trouve, en particulier le Grand Orient de France, le Grande Loge Nationale Française, est-ce-que la spécificité de la Grande Loge de France se situe dans cette spiritualité, entre guillemets tout à fait particulière, qui allie comme vous venez de le dire, Président ou Très Respectable Grand Maître comme on le dit en tous cas entre nous, est-ce que la Grande Loge de France est particulière dans cette approche ?
J-C.B. : Je me garderais bien, tout d'abord, de parler d'une façon critique ou même simplement de porter jugement sur les autres Obédiences ; d'autres le font à notre place mais pas nous au sein de la Grande Loge de France. Alors je dirais simplement qu'il est vrai que la Grande Loge de France a toujours voulu rester fidèle à cette tradition initiatique et que en cela,d'ailleurs, elle se rattache à un texte fondamental, à un texte fondateur, je pourrais même dire, de la Maçonnerie moderne qui est les Constitutions d'Anderson et que dans cette perspective la, effectivement, nous voulons toujours nous souvenir que nous sommes un mouvement initiatique. Car je disais tout à l'heure que si nous n'étions qu'initiatiques nous nous couperions du monde mais inversement si nous n'étions pas initiatiques cela voudrait dire que nous banalisons la démarche maçonnique dans ce qui deviendrait alors très vite une démarche politique. Alors, bien entendu, nous n'avons rien contre les mouvements politiques, bien au contraire, nous savons où conduit l'antiparlementarisme, mais nous disons simplement que chacun a sa voie, qu'il y a une voie politique totalement respectable mais que la nôtre n'est pas cette voie politique, qu'elle se situe ailleurs et pour cela il faut commencer par l'homme. Nous, notre rôle c'est d'inciter chacun à retrouver l'homme qui est en lui à construire sa propre personnalité et je ne dis pas que nous devons construire l'homme car il y aurait la une sorte de démarche pédagogique qui n'est pas la nôtre car cela supposerait une doctrine, cela supposerait une idéologie, nous n'en avons pas. Pour nous il n'y a pas un modèle préfabriqué, il y a ce qui se trouve en chacun. Nous incitons chaque homme à se construire lui-même à partir des matériaux qui sont en lui mais à l'aide des outils que la Franc-Maçonnerie peut lui fournir et qui sont bien entendu des outils symboliques.
B.P. : Nous avons parlé abondamment au cours de nos précédentes émissions des outils, de la méthode. Est-ce que vous pourriez nous dire un mot plus avant sur ces sujets?
J-C.B. : Et bien je dirais que la méthode maçonnique et la méthode initiatique d'une façon générale reposent sur deux idées fondamentales : d'abord elle est ésotérique et ensuite elle est symbolique. Mais ce sont des mots qu'il faut définir. Car on les utilise souvent sans les définir et le mot d'ésotérisme, par exemple, est l'un des mots les plus malheureux de la langue française car il a été totalement déformé au point que dans le vocabulaire courant il devient synonyme de quelque chose d'incompréhensible, de fumeux, alors que ce n'est pas du tout ça. Pour aller au plus court, je dirais qu'une démarche exotérique se fonde sur un message clair et précis immédiatement accessible à tous ou dont l'interprétation si elle est nécessaire est confiée à une autorité qualifiée. De ce fait, elle délivre une vérité qui est identique pour tous. Alors que ce qui caractérise l'ésotérisme, c'est au contraire, la prise de conscience de l'absence de tout message directement accessible et par conséquent la nécessité d'une recherche à laquelle chacun doit se livrer dans sa voie personnelle et c'est à la suite d'une longue maturation généralement organisée par degrés d'ailleurs que l'initié peut arriver à soulever un coin du voile et à approcher mais approcher seulement de la Vérité. Ce qui explique d'ailleurs que les ordres initiatiques évoquent très souvent un mystère, un secret mais un secret qu'il faut interpréter sur le plan symbolique bien entendu et c'est à partir de la, à partir de ce message que l'on essaie de retrouver que se fonde la démarche ésotérique. Et quant au symbolisme, le symbolisme consiste à penser que le monde dissimule une vérité, une unité profonde mais qu'en même temps il offre le code qui permet de retrouver cette vérité, cette unité. Mais cela implique une démarche autre qu'une démarche strictement rationnelle non pas d'ailleurs en opposant l'irrationnel au rationnel, ce qui est une voie sans issue. Il est clair que nous n'allons pas scruter l'avenir du XXIème siècle dans le marc de café ; nous ne nous lançons pas dans une démarche magique mais cela veut dire simplement qu'à côté du rôle irremplaçable de la raison il y a aussi place pour d'autres modes de connaissances plus intuitifs et que ce sont ces modes la, précisément, qui peuvent conduire à la vérité fondamentale c'est-à-dire à la vérité sur les mystères de la vie et de la mort. Vous savez, le biologiste Jean Rostand a employé dans un livre paru il y a déjà quelques années une formule que je trouve excellente quand il dit : " la science expliquera tout mais nous n'en serons pas plus éclairés. Elle fera de nous des dieux ahuris ". Dieux ahuris, voilà ce que nous ne voulons pas devenir car nous nous contentons fort bien de la condition humaine mais à condition d'être pleinement des hommes, d'assumer pleinement cette condition, c'est-à-dire de comprendre notre vie, éventuellement de comprendre notre mort et c'est cela la démarche initiatique.
B.P. : Je vous remercie infiniment. J'aurais bien voulu que sur ces mots nous arrivions à la conclusion mais il nous reste encore un peu de temps et tout à l'heure j'ai fait allusion dans mon préambule aux frères déviés en quelque sorte, aux francs-maçons qui sont appelés dans les affaires dont on parle trop peut-être dans les médias, est-ce que vous avez, de manière très concrète une réponse à ces sujets ?
J-C.B. : J'ai plusieurs réponses à ces sujets. La première est qu'il est vrai que l'on en parle beaucoup dans les médias mais que précisément on en parle d'une façon quelque peu orientée. Car, remarquons que lorsque une personne impliquée dans une affaire a la qualité de franc-maçon on s'empresse de l'ajouter alors que l'on ajouterait pas une autre étiquette quelle qu'elle soit. Il ne viendraità l'idée de personne d'ajouter, par exemple, la croyance religieuse ou les options philosophiques d'une personne alors que pour le franc-maçon on l'ajoute automatiquement. Donc on crée ainsi un effet d'annonce dans le public. Et d'autre part, je dirais que si l'on raisonne statistiquement, c'est-à-dire si l'on considère le nombre de francs-maçons impliqués dans des affaires, comme l'on dit, on s'aperçoit que la proportion est infime. Je le voyais récemment, dans un hebdomadaire qui a publié un article sur ce sujet, il y avait, je crois, en tout une quinzaine de francs-maçons impliqués et certains n'étant qu'en examen donc bénéficiant de la présomption d'innocence et si l'on ramène cela à plus de cent mille maçons et maçonnes en France, je demande quelle est l'institution qui peut se vanter d'avoir un nombre aussi faible, une proportion aussi faible de brebis galeuses. Mais j'ajoute et ce sera le dernier mot que lorsqu'il y en a une, nous n'hésitons pas à prendre les mesures qui s'imposent.
B.P. : Je vous remercie, Jean-Claude Bousquet, Grand Maître de la Grande Loge de France, Président, en quelque sorte de cette société initiatique. |
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