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Bernard Platon : Chrétiens catholiques, juifs, protestants, musulmans, agnostiques, pour nous francs-maçons, les temples, nos temples sont ouverts à tous pourvu que la démarche de celui qui demande à y entrer soit pure et détachée de tout intérêt ou combinaison supputées. Libre et de bonne mœurs, ni athée stupide ni libertin irréligieux, comme il est écrit dans les Constitutions d'Anderson. Aujourd'hui, je reçois Nicolas Faust, franc-maçon de la Grande Loge de France, chrétien protestant, de culture et de conviction. Lorsque vous êtes entré en Maçonnerie, lorsque vous avez demandé votre entrée dans le temple, quelle a été votre démarche ?
Nicolas Faust : Entrer en maçonnerie c'est une forme de pari qui suppose que l'on ait été séduit par le discours de maçons qu'on a pu rencontrer et que ceux-ci aient su nous inspirer suffisamment confiance pour qu'on accepte de les suivre malgré une impasse intellectuelle manifeste qu'on aurait, d'ailleurs, probablement pas accepté dans un autre domaine. Parmi les maçons que j'ai rencontré à plusieurs reprises, figurait un pasteur luthérien, qui m'a affirmé que la démarche maçonnique au sein de la Grande Loge de France n'était en aucun cas en contradiction avec l'appartenanceà l'Eglise Réformée qui était la mienne et à laquelle je tenais particulièrement. Il accepta d'ailleurs d'être mon parrain en Maçonnerie, c'était il y a dix-huit ans maintenant, et depuis, rien n'est venu contredire cette affirmation, bien au contraire. Par ailleurs, nous partageons entre protestants et francs-maçons, du moins en France, la particularité d'être des minorités méconnues, qui d'ailleurs toutes deux furent, en leur temps, menacées par les majorités soit religieuses soit politiques. Alors cela crée des liens tout à fait implicites qui expliquent, par exemple, nos bonnes relations habituelles avec d'autres minorités, religieuses notamment. Et j'ai, personnellement, quelque peu souffert de la méconnaissance habituelle du protestantisme qui nous valait bien souvent des affirmations aussi péremptoires qu'erronées à l'égard de notre Eglise et de notre théologie. Or bien souvent ceux qui se donnaient la peine de venir partager un culte, en ressortaient en toute sérénité et éclairés sur notre Eglise et se trouvaient finalement pas trop éloignés de nos conceptions. Et j'ai donc supposé qu'il en était de même avec les maçons, et comme je n'en connaissais aucun dans mon entourage ou dans ma famille, j'ai fait la démarche personnelle de chercher à les rencontrer pour me faire ma propre opinion. De la même façon il me semble que bien des gens de bonne volonté et sans a-priori s'ils assistaient à une tenue maçonnique en ressortiraient en toute sérénité, heureusement surpris de ce qu'ils auraient entrevu. Malheureusement pour des raisons d'efficacité initiatique, ce n'est traditionnellement pas ainsi que les choses se passent ce qui contribue, malheureusement, à entretenir un imaginaire à notre égard au mieux inutile au pire nuisible.
B.P. : Y a-t-il une relation ou une différence dans l'interprétation du symbole, de l'idole en quelque sorte ?
N.F. : C'est tout à fait intéressant, car le protestantisme a une conception de l'image qui s'est séparée très nettement de celle de l'église romaine au Moyen-Age. Quand l'image se substitue à l'écriture pour devenir un signe de piété visuelle, quand cette image devenait trace de la déité, comme pour les représentations de la Cène dans les retables, quant on vénérait les reliques, quand les courants mystiques s'adonnaient à la contemplation pour rentrer en fusion avec Dieu, les protestants, de façon progressive et parfois désordonnée, -ils n'avaient pas tout prévu- s'attachaient à redonner une fonction symbolique à la représentation des scènes et des personnages de la Bible. L'image n'était pas Dieu mais pouvait dire Dieu, l'image pouvait avoir une fonction pédagogique, elle incitait à la réflexion, elle devenait un rappel. J'ai coutume de dire que si, sur mon tableau de bord dans ma voiture, il y avait un Saint Christophe, je ne sentirais pas magiquement protégé par ce Saint Christophe mais j'y verrais au contraire une incitation à la prudence. Alors cette image, Calvin a même réussi à l'accepter en trouvant qu'elle était belle et en trouvant que la capacité de créer était un don de Dieu et donc qu'il convenait de mettre ce don à la disposition de tous. Mais surtout au sein de la cérémonie chrétienne, au sein de l'eucharistie, l'homme devait se créer, en lui-même, sa propre image. Et la notion de symbole est omniprésente en Maçonnerie, mais, comme dans le protestantisme, le symbole est sujet à réflexion et il n'est jamais en lui-même une idole. D'ailleurs la Bible n'est elle pas l'exemple le plus frappant du langage symbolique : la parabole, comme la fable, étant sujet à réflexion personnelle. Et de ce fait, la référence en maçonnerie à la légende d'Hiram m'est apparue, naturellement, comme un support de réflexion et non comme une référence historique ou une fin en soi.
B.P. : Et alors, la notion de grâce, dans tout cela, qui existe, en fait, dans l'approche religieuse qu'en est-il pour l'approche maçonnique ?
N.F. : La notion de grâce, je ne sais pas si elle a sa place dans la Maçonnerie mais dans le protestantisme, c'est un point un peu difficile à éclaircir car il y a une forme de prédestination qui peut en étonner certains. En effet, la grâce est donnée par la foi, c'est-à-dire qu'il n'est pas nécessaire d'œuvrer par soi-même pour obtenir la grâce et donc la vie éternelle. Penser que l'homme pourrait agir par lui-même sur son destin est une forme d'injure faite à Dieu, penser que l'on puisse plaire à Dieu par ses propres œuvres, ça n'est pas faire preuve d'humilité. Par contre si l'on doit avoir la grâce par la foi, il faut bien dire que la foi ne se décrète pas et que, en fait, on considère que c'est une disposition d'esprit qui nous est donnée par le biais du Saint-Esprit et qui nous permet avant tout de recevoir le message chrétien à travers les Ecritures, lesquelles Ecritures ont été définitivement fixées par le Droit Canon. Alors, cette façon de voir a choqué, bien sur, des humanistes à commencer par Erasme qui n'a pas pu suivre Luther sur ce terrain. On peut cependant penser que débarrassé du souci tout à fait égocentrique de son propre devenir, le protestant qui vit sa chrétienté avec un sens aigu de l'altérité peut y consacrer toute son énergie. Il est vrai que la conception de l'au-delà préoccupe peu le protestant : enfer, purgatoire ou paradis, ce sont plus des concepts que des réalités craintes ou espérées. Pour le maçon, l'au-delà est, de façon commode et poétique, appelé l'Orient Eternel. La préoccupation légitime peut être parfois celle du souvenir que l'on laissera à nos survivants mais celui-ci est le corollaire de l'action menée de notre vivant. Vivre dans le temps présent en parfaite adéquation avec soi-même, dans la contemplation béate de l'infinité parfaite de la nature qui est signe de Dieu, voilà une façon d'être commune aux protestants, à Spinoza et aux maçons. Il y a tant de choses à faire sur terre qu'il paraît bien peu opportun de se préoccuper de ce qui pourrait advenir ensuite.
B.P. : Liberté, liberté qui est une notion fondamentale et importante pour les francs-maçons : la liberté de penser pour un protestant et franc-maçon qu'est-ce que c'est ?
N.F. : Un petit peu par opposition on pourrait dire que le credo catholique, quand il est récité in extenso, définit de façon drastique la profession de foi des fidèles. Chez les protestants, il existe une forme de liberté de penser, de possibilité d'interprétation personnelle. Ainsi n'est-il pas rare lors d'une lecture biblique suivie de son exégèse que le pasteur propose plusieurs voies d'explication plus ou moins symboliques ou historiques laissant la possibilité à chacun d'y réfléchir et de trouver finalement une conception qui ne lui soit pas imposée de façon univoque et qui convienne à son mode d'appréhension des Ecritures. Ainsi protestants et maçons ne pourraient être choqués par une laïcité bien comprise, la vraie laïcité étant pour Pierre Chaunu celle qui ouvre le secteur public à toutes les spiritualités, athéisme inclus sous l'arbitrage d'un pouvoir démocratique.
B.P. : A ce point de notre entretien, que pouvez-vous nous dire sur la Franc-Maçonnerie et les conceptions religieuses au pluriel ?
N.F. : Confrontés perpétuellement dans notre vécu maçonnique à la différence, nous élargissons notre perception de l'autre et cette différence qui, autrefois, nous inquiétait, nous rebutait devient bientôt source d'une légitime curiosité. Nous apprenons à voir en nous taisant et à ne nous forger nos opinions sur quelque chose que nous ne connaissons pas que progressivement et comprenant qu'un rituel n'est pas une cérémonie magique mais vient au contraire véhiculer une tradition , une perception du monde, le maçon de la Grande Loge de France qui aborde une autre religion que la sienne va le faire sans a priori. Ainsi depuis mon entrée en maçonnerie, j'ai à maintes reprises assisté à des cérémonies diverses, par exemple à la synagogue, qui m'auraient parues bien saugrenues auparavant. Et, par exemple, quand je me rends à l'abbaye bénédictine du Bec-Hellouin, bien qu'ayant en principe trois raisons d'être interdit de communion en tant que protestant, divorcé et franc-maçon, je participe avec joie à l'eucharistie persuadé que, de la même façon que la maîtrise bien comprise est universelle et se moque des interdits obédientiels , la chrétienté bien assimilée ne saurait être sectaire.
B.P. : Protestantisme, maçonnerie et démocratie ?
N.F. : Il est tout à fait frappant de voir que les pays à forte proportion de protestants, outre qu'ils ont, en règle, de bonnes relations avec la maçonnerie, sont souvent des pays où règne une conception forte de la démocratie. Je citerais en exemple mon pays d'origine, la Suisse, qui arrive à faire vivre ensemble, maintenant, un peu plus de vingt-quatre cantons, trois langues principales et un dialecte et deux religions dont les représentants sont salariés par la Confédération avec une majorité variable d'un canton à l'autre. D'ailleurs dans ce pays, l'autorité fédérale est assurée par un Conseil Fédéral, présidé de façon alternée par l'un de ses membres ; il en est de même en maçonnerie des loges bleues pour laquelle la Grande Maîtrise doit tourner régulièrement et n'appartenir à personne.
B.P. : Que pouvez-vous nous dire sur la lecture des Ecritures, avec un grand E ?
N.F. : Contrairement à ce qui se passait au sein de l'église catholique, les protestants ont été invités très vite à lire la Bible eux-mêmes, à y réfléchir, à tenter de l'interpréter. La lecture des textes bibliques peut se faire à différents niveaux mais surtout on peut faire une lecture poétique, parabolique et symbolique. Cette habitude d'une lecture avec une interprétation personnelle des textes va grandement faciliter la tâche du franc-maçon invité à perpétuellement chercher les idées qui se cachent derrière les mots. D'ailleurs la Bible est présente dans nos temples maçonniques mais non pas comme le livre d'une vérité révélée mais comme vecteur de tradition universellement transmise.
B.P. : Vos conclusions ?
N.F. : Etre protestant et franc-maçon ne procède nullement d'une attitude écartelée à condition de ne pas avoir de position extrémiste dans ces deux aspects de notre spiritualité. Mais l'extrémisme, l'intégrisme se rencontrent fort peu dans l'église protestante en France pas plus qu'au sein de la Grande Loge de France. Ces deux aspects de notre personnalité peuvent même engendrer une synergie potentialisatrice en élargissant grandement notre champ de réflexion. Par exemple, l'idée de la résurrection du Christ, énoncée comme une vérité première inébranlable à prendre au pied de la lettre peut constituer un abcès de fixation inutile empêchant certains rationalistes d'adhérer au message chrétien. Cette crispation inutile peut disparaître avec une lecture symbolique telle que la maçonnerie nous permet de l'envisager sans dénaturer le message initial. Ainsi, dans un très beau film canadien intitulé Jésus-Christ de Montréal, le personnage qui incarne le Christ dans une passion est victime d'un accident et meurt, ayant laissé son corps à la médecine. Cependant, il renaîtra quelques jours après car ses organes auront été transplantés chez des receveurs des cinq continents à travers le monde entier. Voilà une très belle image qui permet une réflexion sur la vie éternelle. Cette réflexion peut se faire tant dans nos temples maçonniques qu'à ce que l'on appelle l'école du dimanche dans nos églises protestantes où il n'est pas interdit de réfléchir par soi-même. Dans ces écoles on enseigne le catéchisme protestant, et ce mot a certes une forte connotation catholique mais il ne doit pas choquer car son étymologie grecque signifie " faire retentir " et dans nos églises comme dans nos temples on n'enseigne pas une vérité toute faite mais on fait retentir une parole qui ouvre un chemin de liberté. Le dieu des protestants n'est pas un dieu qui doit susciter la crainte, il est un dieu d'Amour. Or l'Amour participe grandement à ce secret maçonnique tout simple qui nourrit, hélas, trop d'affabulations. B.P. : Encore une fois, chers auditeurs, vous venez d'entendre les propos libres d'un franc-maçon de la Grande Loge de France témoignant de son appartenance et de son adhésion tant au christianisme réformé qu'à la franc-maçonnerie de la Grande Loge de France
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