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Au cours de ces derniers mois et particulièrement lors de notre dernière émission, j'ai recueilli, pour vous, les témoignages de membres de notre obédience, qui, librement, ont témoigné de leur appartenance à la Franc Maçonnerie.
Ils ont répondu à mes questions, pour tenter de vous faire sentir, saisir, ce que peut être la démarche initiatique d'un franc-maçon de la Grande Loge de France.
Ainsi, Chers auditeurs, avez-vous mieux compris pourquoi, après une journée de travail souvent harassante , des hommes s'en vont, ensemble, travailler, encore, à leur propre construction, ainsi qu'à la construction de la société à laquelle ils participent; comment des actifs, des retraités, des chômeurs aussi, malheureusement, tous âges confondus, se réunissent au sein de Loges, pour tisser des liens entre eux, mais aussi avec le monde, tant au plan horizontal que vertical, dans une sorte d'alliance universelle entre la matière et l'esprit, et ce, quelles que soient leur culture et leur origine.
"Nous ne sommes pas une moyenne, mais une addition, non pas du gris, mais du noir et du blanc une duplicité", comme l'écrit Théodore MONOD.
Aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir l'un des nôtres, journaliste, historien, essayiste : Pierre Prevost.
B.P.: Je vais m'entretenir avec vous, Pierre Prevost, d'un personnage qui eût une influence importante sur la franc-maçonnerie au XVIII ème siècle, sur les courants d'idées dont elle était porteuse : François de Salignac de la Mothe-Fénelon, plus simplement connu sous le nom de Fénelon. Pierre Prévost, qui était Fénelon,
F.P.: Fénelon est le fils d'une ancienne famille noble du Périgord
Il est né en 1651 au château familial à Sainte Modame. Son père avait été militaire. Un oncle, évêque de Sarlat l'introduisit dans la carrière ecclésiastique; un autre oncle, qui vivait à Paris orienta sa vie et ses idées politiques et sociales : "empêcher tout mal, procurer tout bien" étaient les directives de l'oncle. Ordonné prêtre à 24 ans, tout jeune il s'adonna à la prédication dans diverses communautés.
B.P.: Cette année est le quatre centième anniversaire de l'Edit de Nantes, Edit de tolérance édicté par Henri IV le 13 Avril 1598, révoqué comme chacun sait par Louis XIV le 18 Octobre l685, Fénelon avait 34 ans.Quel peuvent être les rapports entre cet événement et Fénelon ? N'a-t-on pas l'impression que, dans ce siècle d'absolutisme, Fénelon dénote, par sa liberté de pensée et d'expression et qu'en quelque sorte, notre futur évêque de Cambrai "proteste", soutenu par quelques esprits éclairés de ce temps ? Madame Guyon, Ramsay... En fait toujours la même histoire, ceux qui voudraient que ça avance et ceux qui pensent que rien ne doit changer "conservatisme", "progrès" Et puis, quid, de Madame de Maintenon, née Françoise d'Aubigné, protestante d'origine, de Bossuet ?
F.P.: Fénelon avait 34 ans lorsque l'Edit de Nantes fut révoqué en 1685. Il fit partie des brillants prédicateurs envoyés en mission dans les régions où les protestants étaient nombreux, à charge de les convertir, incarnant l'attitude de douceur et de piété. Fénelon se gardait d'imposer aux nouveaux convertis des pratiques et des dévotions non indispensables. Cette modération l'empêcha d'obtenir l'évêché de Poitiers. Malgré sa liberté de pensée et d'expression, mais compensé par ses vastes connaissances dans de multiples domaines, Louis XIV choisit Fénelon comme précepteur pour son petit fils, le Duc de Bourgogne, futur héritier du trône et il fut nommé archevêque de Cambrai, l'un des diocèses les plus importants par son étendue et ses richesses. En 1688, Fénelon s'était lié par correspondance à Madame Guyon, protagoniste du "pur amour", ce qui le fâcha avec Bossuet.
B.P.: Mais qui est Ramsay ? Quelle position a-t-il par rapport à Fénelon et à la maçonnerie et, plus particulièrement avec la Grande Loge de France, ou plutôt par rapport au rite qu'elle pratique, le Rite Ecossais Ancien et Accepté ?
F.P.: A Cambrai, le palais archiépiscopal était ouvert à tous ceux qui demandaient à Fénelon l'hospitalité, qu'ils soient catholiques ou protestants, religieux, militaires ou laïcs. Ainsi, André-Michel Ramsay y vint, guidé par la renommée de l'archevêque, afin de trouver une réponse à sa recherche spirituelle et il resta auprès de Fénelon jusqu'en 1714, puis alla chez Madame Guyon où il remplit pendant deux ans les fonctions de secrétaire. Ramsay était né en 1686 à Ayr en Ecosse, fils d'une ancienne famille écossaise. Après des études à Edimbourg, il vint à Londres en 1708 où il apprit le français et y découvrit l'oeuvre de Fénelon.
B.P.: N'y a-t-il pas dans la vie de cet homme, de Fénelon, de son oeuvre, en particulier, "Télémaque", la démonstration qu'il est plus important de "servir" ses convictions, ses valeurs, voire sa "croyance" plutôt que de se servir de sa "carrière" pour obtenir, une place, une position, une célébrité ? L'utilisation des premiers versets de l'Ecclésiaste par Bossuet, à l'occasion de la mort de Madame, ne sont-ils pas une sorte de clin d'oeil de l'histoire, si ce n'est du Grand Architecte de L'Univers :"Vanité des vanités, tout n'est que vanité" ?
F.P.: Après la mort de l'archevêque, à la suite d'un accident de voiture, Ramsay entreprit alors l'édition des oeuvres de Fénelon. Il commença par écrire une "Histoire de la vie de Fénelon", ainsi que des préfaces aux divers ouvrages publiés. On doit souligner qu'il publia le premier l'intégralité des "Aventures de Télémaque", conforme au manuscrit original. Cet ouvrage , Fénelon l'écrivit pour la formation intellectuelle et morale de son élève le Duc de Bourgogne et pour ses deux frères dont l'un devint roi d'Espagne.
Pourtant ce livre était une sérieuse critique de la politique royale et de la société française.
L'ouvrage reçut un accueil chaleureux, tant par la qualité du style que par les idées exposées; dans une gazette d'époque on peut lire : "c'est une espèce de roman parfaitement bien écrit et rempli de quantités de beaux préceptes pour un jeune prince qui doit parvenir à la couronne".
Son succès fut immense puisque l'on compte plus de huit cents éditions de "Télémaque" dans le cours du XVIII ème siècle.
B.P.: Cette liberté de comportement n'a-t-il pas été un frein à son évolution de carrière, comme on dirait actuellement? On a prétendu qu'il aurait pu atteindre d'autres responsabilités épiscopales que celle de l'évêché qui lui avait été assigné ?
F.P.: L'ensemble des ouvrages de Fénelon forme une masse imposante. Certains titres ne furent édités qu'à la veille de la révolution, telle la fameuse "Lettre à Louis XlV" publiée par d'Alembert en 1785; lettre que le Roi n'a probablement jamais lu. Mais Madame de Maintenon l'aurait connue.
L'auteur se présente ainsi : "La personne, Sire qui prend la liberté de vous écrire cette lettre n'a aucun intérêt en ce monde, elle ne l'écrit ni par chagrin, ni par ambition... Si elle vous parle fortement c'est que la vérité est libre et forte...". Ensuite Fénelon trace le tableau de la situation du pays en proie à la famine, à la ruine due aux guerres et au pillage, aux controverses religieuses.
B.P.: "Serviteur" de sa foi, "libéral" au sens originel, c'est à dire dans son acception du refus de toutes contraintes, des idées de tolérance, Fénelon n'a-t-il pas été l'un des pères des courants d'idées, non pas de démocratie, pas encore, en tous cas, mais de contestation des pouvoirs absolus, qui ont été à l'origine des courants des "Lumières", des encyclopédistes , donc des événements qui préparèrent la révolution française ? On ne prête qu'aux riches. Fénelon aurait-t-il été Franc Maçon ?
F.P.: Ramsay a été initié franc-maçon, très probablement dans l'une des premières Loges constituées à Paris, dans les années 1725-1726. Jean Palou, auteur maçonnique et historien de profession, nous le présente ainsi : "Nous le voyons surtout beaucoup voyager. Il semble l'un de ces mystérieux passants à peine remarqués par l'histoire officielle, mais dont on peut apercevoir, par instant, l'importance et le rôle profond, dans des courants de pensée souterraine qui traversent les siècles et les peuples". Ramsay a tenu un rôle important dans la formation du rite de perfection d'où est né le "Rite Ecossais Ancien et Accepté".Les points forts de son action c'est d'abord son discours pour la réception dans l'ordre maçonnique de nouveaux membres, tenant les premières places dans la société de 1'époque, discours donnant, en quelque sorte, une doctrine à la Franc-Maçonnerie. Ensuite c'est la formulation et la création d'un nouveau grade qui est à l'origine de ce que l'on appelle les hauts grades, apportant à la pensée maçonnique des perspectives philosophiques et spirituelles d'une grande portée. Dans son activité incessante, Ramsay a été guidé par l'étude de certains ouvrages de Fénelon, particulièrement le "Télémaque"; lui même a d'ailleurs rédigé "Les voyages de Cyrus" livre dans lequel on relève des idées aussi bien d'origine maçonnique, que tirées des oeuvres de l'archevêque de Cambrai. Est-ce cela qui a pu faire dire que Fénelon aurait été franc maçon ? Chronologiquement, cela est impossible puisque il est décédé en 1715 et que les premières loges françaises n'ont été créées que 10 ans plus tard. Plus simplement on doit reconnaître que nombre d'idées formulées par lui ont nourri des courants de pensée très marquants dans le développement intellectuel de l'époque.
B.P.: “Télémaque" serait-il encore d'actualité ?
F.P.: On doit reconnaître que le "Télémaque" est l'ouvrage d'un maître de la Sagesse.
B.P.: Sagesse, l'un des termes de l'une des trilogies cher à nos coeurs de francs-maçons de la Grande Loge de France. Ce sera la conclusion de notre dialogue.
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