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“La Grande Loge de France vous parle”

Avril 1998

 

Comment être catholique et Franc-Maçons ?

Intervenant  : Hubert Fargeaud d'Epied

A différentes reprises, par la voix des uns et des autres, nous vous avons indiqué qu'aucune entrave idéologique, qu'elle soit d'ordre politique, religieuse ou philosophique, n'empêche quiconque de rejoindre la fraternité initiatique des Francs-maçons de la Grande Loge de France et que nos règles nous interdisent expressément de provoquer ou d'entamer en loge des discussions politiques et religieuses.

Que l'on soit chrétien, juif, musulman, agnostique, bouddhiste, animiste, de gauche ou de droite, nos temples sont ouverts à ceux qui veulent y entrer, dans la seule mesure où, comme on le disait au XVIllème siècle, les postulants soient libres et de bonnes moeurs, c'est à dire dans la mesure où dirions-nous dans le langage de notre temps ou nous avons à faire à des candidats tolérants et mesurés qui admettent les hommes quelle que soit leur race, leur religion, leurs opinions même lorsqu'elles sont contraires aux siennes.

Aujourd'hui, je reçois un frère de la Grande Loge de France mûr en âge et dont la culture et les convictions sont bien ancrées dans un christianisme authentique, de tradition catholique et qui nous a rejoint il y a plus de vingt ans.

L'entretien que nous allons avoir pourra vous éclairer dans un temps bien court, chers auditeurs, vous qui avez peut-être encore bien des préjugés à l'égard de la Franc-maçonnerie, du fait de l'histoire.

Comment peut-on être catholique et Franc-maçon ? Qui êtes-vous ?

Je suis un homme qui a dépassé l'âge de soixante ans, de formation juridique, j'ai fait mes études à la Faculté de Droit de Paris et j'ai eu une carrière de juriste.  Je suis chrétien de tradition catholique et j'ai une grande admiration pour un certain nombre de personnages de cette tradition, notamment certains mystiques.

Mais dès mon entrée à l'Université j'ai eu souvent à discuter, parfois à polémiquer, avec d'autres étudiants totalement hostiles à mon appartenance catholique et j'ai toujours eu le souci d'écouter leurs arguments et de répondre selon ce que je considérais ma vérité.  Par nature je suis profondément oecuménique, je recherche toujours ce qui unit les hommes et non ce qui les sépare.  Je crois vraiment que les Evangiles sont un témoignage absolument magnifique de la nécessité et de la beauté de l'Amour car il me paraît être la base du dialogue, de la compréhension et de la compassion.

J'aimerais vous citer pour débuter un passage de l'Apôtre Paul - "Pour moi frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels mais comme à des êtres de chair, comme à des petits enfants dans le Christ.  C'est du lait que je vous ai donné à boire, non une nourriture solide, vous ne pouviez encore la supporter. Mais vous ne le pouvez pas davantage à présent, car vous êtes encore charnels.  Du moment qu'il y a parmi vous jalousie et discordes n'êtes-vous pas charnels et votre conduite n'est-elle pas toute humaine... Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu et que l'esprit de Dieu habite en vous ? Si quelqu'un détruit le Temple de Dieu, celui-là Dieu le détruira car le Temple de Dieu est sacré, et ce Temple, c'est vous."

 

Bernard Platon : Vous qui avez été élevé sans doute dans un milieu où les Francs-maçons étaient considérés comme anticléricaux, ennemis de l'église catholique, comment avez-vous demandé à entrer à la Grande Loge de France ?

Hubert Fargeaud d'Epied : La réponse est très simple : je dois dire que tout en restant très attaché à ma tradition catholique par sensibilité comme par conviction je n'étais guère pratiquant depuis longtemps; un jour, mon directeur de service qui était un ami m'a dit "aimerais-tu entrer à la Grande Loge de France ?".  L'aspect fraternité de la Maçonnerie par ce qu'il m'en avait dit m'a attiré.  Ayant à l'époque un ami religieux d'un ordre connu, je lui en ai parlé par amitié, parce que j'avais pour lui une profonde estime.  Ce dernier m'a répondu que je pouvais rentrer à la Grande Loge de France et que je verrais bien si j'étais heurté dans mes convictions profondes et religieuses.  J'y suis rentré.

Je puis dire aujourd'hui que la Grande Loge de France ne m'a jamais heurté dans ma conviction et que je n'ai jamais eu l'impression qu'elle était en quoi que ce soit l'ennemi de l'Eglise catholique, bien au contraire en ce qui me concerne et en ce qui concerne d'autres maçons que je connais elle a provoqué un désir d'approfondissement de leur propre religion.  Je retrouve d'ailleurs dans un dialogue qui s'est situé entre un franc-maçon et la rédaction de “Croissance de l'Evangile” cette idée.  Ce maçon écrit : "il n'est pas courant que la Foi conduise à l'appartenance maçonnique mais il est très courant par contre que l'appartenance maçonnique mène à un renforcement de la foi".

Récemment je lisais un ouvrage de Pierre Dogneton qui disait : "L'urgence est au dialogue, aux échanges qui éclairent, aux discours qui réconcilient... Une action humaniste constructive, universelle, peut être entreprise, autrement dit, une chance est à saisir à l'aube du troisième millénaire... C'est en fait une nouvelle conscience spirituelle qui s'affirme et que les croyants, en dialogue, essaient de ramener à travers de nouvelles dynamiques religieuses, d'idées plus ou moins rationnelles, de mouvements ésotériques, syncrétiques, charismatiques... Les chrétiens ne vivent pas sous le règne de la Loi qui nous amoindrirait et nous figerait, mais sous celui de l'esprit qui libère et fait progresser sans limite.  Bible veut bien dire livre mais elle se veut l'icône qui guide et affermit les pas, certainement pas idole s'offrant dangereusement au piège des mots ... Je suis convaincu que le dialogue nécessaire des religions va être entrepris sur toute la face de la terre, par des hommes de bonne volonté et de toutes origines."

Il m'apparaît nécessaire aussi de rappeler les règles de la Grande loge de France qui précisent que le cadre de l'ascèse maçonnique est une quête perpétuelle de la vérité et de la justice à l'abri de toutes querelles religieuses et politiques.  La Franc-maçonnerie est un ordre initiatique traditionnel fondé sur la fraternité, elle a pour but le perfectionnement de l'Humanité.  A cet effet, les Francs-maçons travaillent à l'amélioration constante de la condition humaine tant sur le plan spirituel et intellectuel, que sur le plan du bien-être matériel, ils respectent la pensée d'autrui et sa libre expression.

 

B.P. : Votre approche est-elle personnelle ? A-t-on effacé la bulle papale proclamée en 1738 après la première édition des Constitutions d'Anderson qui sont le texte fondamental particulièrement pour les francs-maçons de la Grande Loge de France, et le principe de l'excommunication ?

H.F. : Je dois dire que c'est une question à laquelle j'ai réfléchi très récemment car je n'ai à titre personnel jamais eu de problèmes avec des religieux catholiques puisqu'ils savent fort bien mon attachement à ma tradition. Il est important de rappeler que la Franc-maçonnerie n'est pas une religion au sens où on l'entend généralement mais une société initiatique et philosophique qui a eu au départ et à l'époque des guerres de religions  la volonté de rassembler ce qui est épars.  Effectivement on retrouve dans les loges de la Grande Loge de France des Juifs, des Musulmans, des Protestants, des Orthodoxes, des Catholiques, des Bouddhistes, des Agnostiques et des hommes sans appartenance religieuse.  Je me suis toujours enrichi au contact de tous ces frères différents de moi et que je n'aurais sans doute pas connu si je n'étais pas maçon.  La Franc-maçonnerie incite le franc-maçon au travail, au voyage au sein de lui-même, à la connaissance des religions de l'humanité et des philosophies.

En ce qui concerne l'excommunication je sais qu'il n'y en a plus depuis le concile de Vatican II, je sais aussi qu'il n'y a rien à ce sujet dans le "Nouveau Catéchisme de l'Eglise Catholique".  Il existe un texte du Cardinal Ratzinger qui a dit que la position de l'Eglise n'avait pas changé.  Cependant lors d'un entretien de Jean Paul Guetny, Directeur Délégué de l'Actualité Religieuse que vous avez reçu a France Culture, ce dernier a rappelé tout ce que je viens de dire plus haut et a dit que la position du Cardinal Ratzinger était assez théorique. 

Il y a sans doute une incompréhension mutuelle due peut-être à un manque d'explication.  Il y a un grand nombre de dialogues qui se sont initiés ces dernières années à la volonté de l'un ou de l'autre.  Nous savons que les derniers Grands-Maîtres ont noué nombre de relations avec tous les courants religieux qu'ils soient catholiques, protestants, juifs ou musulmans.  Je crois aussi qu'il faut rappeler les récents rapprochements avec Monseigneur Thomas, Evêque de Versailles, qui a dialogué depuis pratiquement dix ans avec des frères de la Grande Loge de France.  Ils ont parlé sincèrement "en hommes de Foi" pour mieux comprendre les positions réciproques.  Je crois que les choses ont bien avancé de ce côté là. 

L'appartenance d'un catholique à la Maçonnerie m'apparaît donc de l'ordre de la conscience individuelle.  Je souhaiterais rappeler aussi qu'il a été dit que science sans conscience n'est que ruine de l'âme.  Je dois dire que la connaissance seule pourrait aussi n'être que ruine de l'âme.  Pour que la connaissance soit source de bien il me semble qu'elle ne peut être que progressivement délivrée à des hommes de plus en plus responsables et éclairés parce qu'il y a là des questions d'entendement et que nul ne doit être troublé dans son équilibre personnel.  La connaissance doit toujours garder à sa base l'humilité et comme finalité l'Amour.  Si je faisais un rapprochement profane je dirais qu'un produit pharmaceutique utile et indispensable pour un vrai malade pourrait être parfaitement dangereux dans les mains d'un enfant.

Aussi la connaissance doit-elle avoir pour finalité le bien, c'est-à-dire l'Amour.  En tant que catholique j'aimerais rappeler deux citations de Jean :

"Tu aimeras ton prochain comme toi-même"

"Celui qui dit être dans la Lumière qui a son frère en haine est dans les ténèbres et celui qui aime son frère est dans la lumière"

Mon espérance maçonnique et mon espérance chrétienne sont identiques, si je suis maçon, c'est que je crois au perfectionnement de l'humanité, c'est que je crois que tout homme est une pierre vivante d'une cathédrale spirituelle, qu'il est lumière parmi les lumières que sont les autres hommes et qu'un jour toutes ces lumières se fondront en une lumière unique qui ne peut exister que dans l'Amour total et la prise de conscience de la Création, temple vivant au sein duquel l'homme doit s'intégrer par l'ordonnancement de son propre temple intérieur.

Je ne puis qu'agréer l'idée de René Guénon, philosophe, franc-maçon et converti à l'Islam, de l'utile complémentarité pour ceux qui en éprouvent le besoin entre franc-maçonnerie et religion.

 

B.P. : Pourrait-il arriver, malgré les excellents rapports que nous entretenons avec certains responsables de la hiérarchie catholique ou de certains ordres religieux, et quand je parle de bons rapports, je veux dire des rapports d'échanges constructifs, comme avec d'autres courants, et non pas des rapports de convenance, que certains membres de l'église opposent encore à l'une de ses ouailles un refus d'entrer dans la Maçonnerie, franchement est-il sérieux de prétendre que la Grande Loge de France complote contre l'église catholique romaine ?

H.F. : Non, il n'est pas sérieux de le prétendre.  Il est en effet possible, toutefois, que certains membres de la hiérarchie catholique considèrent comme de leur devoir de déconseiller à un catholique de rentrer en Franc-maçonnerie.  Il s'agit là, à mon avis, d'incompréhension qui pourrait se résoudre par un dialogue sincère.

Un chrétien doit reconnaître en tout homme le Christ, le plus humain des hommes.  Il y a lieu de rappeler aussi certaines grandes figures de la tradition chrétienne comme Augustin, Bernard de Clairvaux, fondateur de l'Ordre des Cisterciens qui disait : "les livres peuvent tromper mais la contemplation de la Création mène sûrement au Principe Créateur", Jean de la Croix qui a exprimé si bien la transformation alchimique du coeur de l'homme par le feu de l'amour qu'il symbolisait ainsi : "un homme enflammé par l'amour se transforme à l'égal de la bûche dévorée par le feu". François d'Assise qui avait un sens cosmique de la Création.  Puis-je rappeler son cantique "loué sois-tu messire frère Soleil qui nous donne la Lumière et que de Toi le Très-Haut nous offre le symbole.  Loué sois-Tu Seigneur pour soeur Lune et les étoiles, pour frère vent et pour les nuages, pour soeur eau utile et humble, pour frère feu qui éclaire la nuit, qui est beau, joyeux, indomptable et fort, pour soeur notre mère la terre qui nous porte et nous nourrit", Thomas d'Aquin...

 

B.P. : Pour ce qui vous concerne comment vivez-vous la double appartenance ?

H.F. : Comme je l'ai déjà dit, elle ne me pose aucun problème.  Je crois en l'Amour que ce soit en tant que catholique ou en tant que franc-maçon, je crois en l'oecuménisme, je crois à la "rencontre des religions" et je crois à toutes les institutions humaines qui travaillent au perfectionnement de l'homme. Je crois aussi à ce symbole qu'est la montagne dont le sommet est plongé dans les nuages, vers lequel montent des sentiers sur lesquels marchent des hommes de bonne volonté.

 

B.P. : En fin de compte, vous êtes un maçon heureux, un catholique qui a fait son fruit des paroles d'Isaïe et de Jean qui nous disent: "Ne jugez pas sur l'apparence, mais .jugez selon la Justice" et de Paul dans l'une de ses épîtres "ce n'est pas que nous soyons capables par nous-mêmes de penser quelque chose qui nous viendrait de notre propre fond : mais toute notre capacité vient de Dieu.  C'est lui qui nous a rendu capable d'être ministre de la Nouvelle Alliance, qui n'est pas celle de la lettre, mais celle de l'esprit, car la lettre tue mais l'esprit vivifie".

H.F. : Je souscris à ce qui vient d'être dit, on peut parler beaucoup d'Amour et ne faire aucun acte d'Amour.  Il faut marcher dans une volonté d'Amour vrai, je dis bien d'une volonté car je ne suis qu'un homme faillible, une volonté d'Amour vrai, fait d'écoute et de compassion, de gestes fraternels.

Au sommet de la pyramide symbolique de l'Humanité tout ne se rejoint-il pas' ?

 

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