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“La Grande Loge de France vous parle”

Juin 1997

 

L’émulation maçonnique
(Une hiérarchie non compétitive)

Intervenant : Raymond Carpentier

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Contents

Pour nos auditeurs qui n'ont pas entendu notre émission du mois dernier, rappelons que nous avons réfléchi en francs-maçons sur l'idéologie de la compétition qui a aujourd'hui, hélas ! le succès que l'on sait.  Nous lui avons opposé un idéal de coopération entre les êtres humains que notre éthique appelle la fraternité.

Arrivés à ce point nous nous sommes interrogés sur une contradiction qui est souvent objectée pour critiquer la franc-maçonnerie.  En effet, si nous sommes résolument contre la compétition entre les humains - une compétition qui ne sait élever les uns qu'en abaissant les autres - si nous clamons, et acclamons l'égalité, il est vrai que nous pratiquons un système de grades - que nous appelons d'ailleurs des degrés d'initiation - qui sembleraient bien rétablir le système hiérarchique que nous avons condamné.

Nous avions évoqué le mois dernier l'idée que la graduation des degrés d'initiation maçonnique ne s'effectue pas par un système de compétition mais par une émulation.  Emulation et non pas compétition: c'est ce que nous nous étions proposé d'examiner aujourd'hui.

En quoi une émulation est-elle profondément, dirons-nous «en nature», différente de la compétition ?

Rappelons le point essentiel de notre propos du mois dernier.  Dans la compétition deux adversaires (ou plusieurs éventuellement) se disputent un profit qui ne peut aller qu'à l'un des adversaires en lice.  L'autre ou les autres en seront privés.  Rappelons la formule clef :

Dans la compétition, ce que l'un gagne l'autre le perd.

Généralement, quand on parle de spiritualité, ce mot évoque une vague notion de tout ce qui est divin, de ce qui nous dépasse et qui vient d'un au-delà évident, bien que rationnellement inexplicable.  C'est ainsi que cette notion de spiritualité la réduit généralement à la perception que nous en avons dans notre monde occidental de culture «judéo-chrétienne», bien que ce cliché laisse à désirer du fait qu'il ne prend pas en considération l'apport des sédiments d'anciennes civilisations et d'autres cultures qui l'ont formée.

C'est pourtant cette signification de la notion de spiritualité qui fait qu'elle est souvent confondue avec la foi et la religion, confusion qui peut s'expliquer par une interprétation superficielle de ces concepts alors que nous devrions considérer la spiritualité séparément de la religion et de la foi bien que ces notions puissent être compatibles.

Mais spiritualité, religion et foi ne sont pas synonymes parce que, ainsi que je l'entends, la Spiritualité procède d'un raisonnement alors que la Foi requiert, en plus, une conviction.  Quant à la religion, je la perçois comme un lien qui unit, un lien qui relie des individus de même croyance ou qui partagent les mêmes valeurs.

La spiritualité doit donc être perçue comme un sentiment dynamique, en tant que fonction de notre intellect en action, alors que la Foi peut être interprétée comme une confiance inébranlable en une entité qui, si elle est admise comme un dogme ou comme une Vérité absolue, ne peut être remise en question et est en conséquence immuable.

Il s'agit donc de notions et de démarches différentes en leur compréhension et nous voyons que, contrairement à une idée largement répandue, la spiritualité n'est pas l'apanage des religions instituées.



Ainsi peut-on considérer une spiritualité religieuse qui, pour le croyant en un Dieu révélé, est fonction d'une action théologique à partir de la lecture des textes sacrés.

Cette spiritualité le conforte dans le fondement de sa foi, une foi ressentie comme une vérité évidente, une vérité existante qui se situe en amont de l'être.

Pour la plupart des individus, cette croyance religieuse procède de l'éducation reçue, habituellement transmise dès la prime enfance par une tradition familiale que peu d'entre-eux, même à l'âge adulte, pensent à remettre en question, tant elle leur paraît être naturelle et semble aller de soi.

C'est pourtant cette éducation qui, inconsciemment ou non, va conditionner notre mode de penser et notre comportement.  Nous devons en être conscients si nous voulons nous défaire d'une sensibilité qui limite notre perception du monde.

Cette prise de conscience est le premier pas d'une démarche qui va nous conduire à reconsidérer notre éducation d'un point de vue critique, critique dans le sens philosophique du terme, c'est-à-dire de passer notre éducation au crible de la raison.

Il ne s'agit pas pour autant de rejeter l'enrichissement que nous a apporté cette éducation mais de la repenser pour en exclure ce qu'on appelle communément les idées reçues, ces fausses clartés qui parfois nous aveuglent, afin de n'en retenir que les idées comprises, celles que nous pouvons faire nôtres parce que nous les partageons.

Abordons maintenant un tout autre aspect de la spiritualité, une spiritualité ouverte, rationnelle, une réflexion ontologique qui répond à notre besoin de compréhension de l'intériorité humaine, de l'unité de l'être, faute d'avoir la capacité d'appréhender le tout, notamment les phénomènes qui régissent la nature.

Il s'agit là d'une spiritualité que nous pouvons considérer comme laïque du fait de son indépendance de toute croyance et de tout credo religieux.  Et c'est parce qu'elle ne sera plus entravée par un absolu, par une orthodoxie au-delà de laquelle commence l'hérésie, que la quête de cette spiritualité nous ouvrira la voie de l'approche d'une vérité, mais d'une vérité qui, nous le savons, ne peut être que relative puisque fonction de connaissances en constante quête d'évolution et de dépassement de compréhension.

C'est précisément cette forme de spiritualité que la Franc-maçonnerie m'a permis de découvrir grâce à la méthode de réflexion symbolique pratiquée à la Grande Loge de France.

Mais surtout, répétons-le, le degré maçonnique ne confère à son porteur - dirons-nous à son montreur ? - aucun pouvoir sur les autres.  Car, pour y accéder, non seulement il n'a fallu vaincre personne, mais, oserions-nous dire : au contraire.  Il a fallu pour y accéder, être aussi celui qui a aidé les autres à s'élever.  Le degré maçonnique est un stade d'évolution personnelle qui s'atteint sans faire de vaincu.

J'aimerais nous arrêter un instant sur ce point essentiel : s'élever sans faire de vaincu ; en langage courant : gagner sans faire de vaincu.

L'idéologie de la compétition nous a si bien habitués au pugilat généralisé que nous identifions gagner avec vaincre.  On ne se voit gagner qu'en passant par la défaite des autres.  Tel est notre engourdissement éthique que l'idée de gagner sans faire de vaincu nous semble une contradiction logique, un non sens, une sottise.

Et pourtant il y a un moyen d'avancer dans ce que je me risque à nommer l'initiation éthique : c'est de se rapporter à l'étymologie du mot gagner.  Vous allez voir.  C'est assez amusant.  Gagner vient d'un vieux mot francisque qui désignait l'acte par lequel l'animal sauvage herbivore sort du bois pour venir paître dans les champs.  En terme de vénerie, dont le vocabulaire est tout entier emprunté au francique, (c'est la langue que parlaient les Francs quand ils ont conquis la Gaule, disons la langue que parlait Clovis), donc en terme de vénerie le «gagnage» veut dire, et veut toujours dire aujourd'hui, le fait de sortir du bois pour venir paître.  On dit : le cerf, ou le chevreuil vient au «gagnage».



Je médite sur ce beau mot de «gagnage».  Paître.  La paissance.  Le mot paissance n'est plus guère employé bien qu'il figure toujours sur les dictionnaires.  C'est bien dommage.  Paissance.  J'entends la paix dans la musique du mot.  Quel dommage que «gagner» ait pris ce ton guerrier des supporters de football dans leurs gueulements éméchés.

Gagner sans faire de vaincu.  Gagner, comme la timide chevrette qui conduit son faon au gagnage hors du bois sombre et stérile pour lui faire goûter l'herbe tendre et nourrissante.  Gagner non plus pour écraser autrui.  Gagner, aller au gagnage, à la nourriture de l'esprit qui nous permettra de faire un nouveau pas dans la voie qui nous arrache à la brute dont nous sortons, et secouer un peu la boue qui nous colle encore si fort aux semelles de nos origines.

Gagner sans faire de vaincu.  Un idéal qui pourrait bien devenir une exigence, quand nous pensons aux dégâts des compétitions destructrices.  Un idéal qui pourrait bien être une nécessité de la survie, tant les hommes se sont donnés de moyens de s'auto-détruire s'ils se laissent aller aux penchants, à la destruction de l'autre que leur cerveau reptilien leur dicte en secret pour les freiner dans leur montée vers l'humanité ; ce cerveau de crocodile qui est toujours présent dans les profondeurs de notre cervelle et qui tend à nous retenir dans notre ascension vers l'esprit.

Le clivage entre les notions de spiritualité ne se situe donc pas au sein des religions ou des idéologies mais passe par l'intelligence et l'ouverture d'esprit des individus qui les composent.  En ce sens, la spiritualité immanente n'est pas pour autant athée ou agnostique, bien qu'ayant place dans ces philosophies.  Certains déplorent la dégradation de la religion ; il me semble qu'une spiritualité immanente pourrait y remédier.

C'est cette notion de spiritualité qui permet aux Francs-maçons de la Grande Loge de France de se retrouver dans une même démarche, en un même cheminement sur la Voie initiatique, dans une quête d'une lumière qui aide chacun d'eux, au fur et à mesure de sa progression, à éclairer sa vie et lui donner ce sens qui apaise cette angoisse existentielle, ce mal de vivre que tant d'êtres ressentent.

Telle est ma conception de la finalité d'une spiritualité spécifiquement maçonnique, parce qu'essentiellement humaniste.  Elle représente, pour moi, l'expression la plus haute de la spiritualité, celle de l'humanisation de l'individu par lui-même.

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