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Le texte de cette émission aussi bien que celui de janvier 1997 est la transcription d'entretiens enregistrés en direct. Nous en avons gardé les éventuelles imperfections de langage afin d'en conserver la spontanéité. Bernard Platon : Nous avons pris l'habitude que l'un d'entre nous, l'un des Frères de la Grande Loge de France rende témoignage de son appartenance pour mieux faire comprendre notre Ordre, ses valeurs, son expression. Aujourd'hui nous avons décidé d'établir un dialogue entre deux frères de la Grande Loge de France. Je suis l'un d'entre eux, et avec mon frère qui est à côté de moi nous allons tenter de vous entretenir aujourd'hui de “Parole, Altérité et Liberté”. Peut-être allons-nous faire deux émissions sur ce sujet. Nous verrons au fur et à mesure que les choses se dérouleront. Nous avons l'habitude de dire en maçonnerie que nous sommes un ordre initiatique fondé sur la fraternité. Un ordre, l'initiation, la tradition s'expriment de manière diverse par l'écrit, par la musique, par la poésie mais surtout par la parole. Que pouvez-vous dire de ce sujet ? Serge Dekramer : Je dirais que c'est le véhicule essentiel de l'échange entre les frères en Loge. Vous savez en Loge il y a posées sur ce que nous appelons l'autel des Serments, Trois Grandes Lumières dont l'une est la Bible. Ce pourrait être le Coran ou la Torah ou les Védas, dès l'instant qu'il s'agit d'un volume, d'un texte disons sacré. C'est un outil, c'est un outil symbolique qui nous apporte une aide dans la quête que nous entreprenons. Or cet outil symbolique, notamment dans son début, la Genèse, nous apprend que la parole d'Elohim, Elohim étant le nom de Dieu au pluriel, est pour le maçon, le principe créateur, c'est à dire la Parole que Dieu adresse aux hommes. C'est par la parole que Dieu fait le premier acte de création. “Que la Lumière soit, et la Lumière fut”. En fait il s'agit là de la Création de l'essence même de la Création. C'est donc dans la parole en fait que la Création s'est manifestée. B.P. : Le Volume de la Loi Sacrée que vous venez d'évoquer, vous avez simplement omis de dire que ce Volume de la Loi Sacrée, à la Grande Loge de France, en particulier au Rite Ecossais Ancien et Accepté, Rite que nous pratiquons, est la Bible. Cela veut-il dire de manière explicite que cette Bible a une connotation, je dirais, religieuse; judaïque, chrétienne, catholique, protestante ou est- ce qu'il est possible d'entrevoir cette affaire de manière plus universelle, de manière plus ouverte ? Peut-être un certain nombre de frères de la Grande Loge de France, en particulier, ne sont pas croyants. A la limite, ils pourraient être athées ou comme on le dit maintenant, agnostiques. S.D. : Il est évident que la Bible pour les Frères croyants, juifs, chrétiens, catholiques, protestants ou musulmans, peut avoir une connotation religieuse. Mais, pour nous maçons, il s'agit beaucoup plus d'un outils symbolique et un outil symbolique d'une très très grande importance car il est comment dire, surtout quand il s'agit du Premier Chapitre de la Genèse ou de l'Evangile de Jean qui est un petit peu l'écho des premiers mots de la Genèse. Il s'agit en fait du récit de la Création. C'est une chose extrêmement importante car ce que fait le maçon, en Loge, à chaque fois, ou dans sa quête personnelle, c'est d'essayer de retrouver son origine, le point de départ, de tenter de construire, si ce n'est le monde, au moins son monde ... Suivant le sens du monde. Alors ce texte absolument fondamental est extraordinaire. C'est vraiment un outil qui permet aux frères de répéter à chaque fois la Création et de se poser la question. Quelle est en fait mon origine ? B.P. : Donc, en fait, c'est plutôt une voie qui tend vers la spiritualité plutôt qu'une tendance à joindre les voies religieuses, de la religion ou des religions. S.D. : Je crois; disons qu'il s'agit de l'expression d'une quête, tout simplement. B.P. : N'est-ce pas pour cette raison que les fondateurs de la maçonnerie spéculative, dont nous sommes les héritiers, avaient pris la précaution de se référer au Prologue de l'Evangile de Jean qui en fait, ne se raccorde à aucune pensée, je dirais révélée. S.D. : Tout à fait. Je voudrais dire que l'Evangile de Jean est pour moi un écho formidable des premiers versets de la Genèse. Il est dit: “Au commencement était le Verbe et le Verbe était Dieu”, donc c'est vraiment ce rapport entre Dieu et la Création. Pour être plus précis, pour donner une petite nuance, puisque vous parlez de révélation, je dirais que Dieu ne se révèle pas aux hommes mais c'est plutôt la Parole de Dieu qui se révèle aux hommes et par là même crée d'emblée le dialogue. B.P. : Est-ce que vous n'avez pas l'impression que le fait de parler de Dieu comme cela dans une émission destinée à la maçonnerie de la Grande Loge de France risque de choquer un certain nombre d'une part de nos frères, et peut-être des auditeurs qui nous écoutent. En effet, nous avons une conception peut-être plus large puisque nous avons inventé ou plutôt les fondateurs de la maçonnerie les Pasteurs Anderson et Désagulier ont inventé ce concept de Grand Architecte de l'Univers. Est-ce que dans cette communication de la Parole, le Grand Architecte de l'Univers n'est pas une sorte de définition large, objective qui englobe toutes les spiritualités et qui tend en quelque sorte à traduire une intention je dirais spirituelle, mais laïque. S.D. : Je suis tout à fait d'accord. Je dirais même que cette expression de Grand Architecte de l'Univers renvoie quelque part à une notion commune, fondamentale, de ce que l'homme pourrait appeler le principe créateur. Lorsque l'on parle de Dieu en fait on fait une très très grande erreur parce qu'on donne un nom à un principe qui n'est pas définissable, en tant qu'homme. Donc on le sclérose quelque part. Il faudrait effectivement ne pas le nommer et je crois que cette appellation de Grand Architecte de l'Univers dans laquelle cette notion de construction donc de responsabilité de l'homme rentre en jeu, me paraît être une chose fondamentale. B.P. : Donc ce qui veut dire, d'une manière, qu'en gros, des personnes qui voudraient entrer en maçonnerie, qui ne sont d'aucune religion, qui sont en fait dans une sorte d'agnosticisme prudent, peuvent parfaitement intégrer nos loges et qu'elles vont côtoyer des gens qui sont du même acabit ou qui ont les mêmes perspectives sur la recherche de la spiritualité. Je reviens d'une certaine manière sur ce principe d'une recherche de la spiritualité mais avec un esprit parfaitement laïque, j'ai eu l'occasion de le dire dans une émission précédente d'ailleurs que Monsieur Pierre Chaunu a une définition de la laïcité qui me semble parfaitement moderne et adaptée. Il dit ceci en substance: la vraie laïcité ouvre le secteur public, donc une expression très moderne, très technique à toutes les spiritualités, (athéismes inclus), sous l'arbitrage d'un pouvoir démocratique, puisque bien entendu il s'agit là d'évoquer le système républicain auquel nous adhérons et au sujet duquel nous sommes particulièrement respectueux. S.D. : Et auquel nous sommes extrêmement attachés car il est vrai que la laïcité est le garant de la liberté des pratiques de culte des uns et des autres ou de la pratique de non-culte des uns ou des autres. B.P. : Nous pourrions dire que, dans l'instant, depuis quelques minutes pendant lesquelles nous parlons, nous avons en fait défini la parole créative mais nous n'avons pas évoqué peut-être assez le problème de l'éthique, de la morale qui est sous-jacent. S.D. : Oui, c'est important car cette parole communicante de l'homme, à l'instar, je ne vais pas dire de Dieu mais du Grand Architecte de l'Univers, qui s'adresse aux hommes par la parole, donc qui crée déjà le dialogue, cette parole communicante peut effectivement générer le bon mais aussi le pire. C'est vrai qu'elle peut générer un désir de puissance et de pouvoir de l'homme sur l'homme si elle ne procède pas de l'éthique. Ca, c'est une chose qui me paraît importante. Alors l'éthique ! c'est quoi l'éthique ? C'est le fondement même de la morale, c'est ce qui génère la morale. D'ailleurs à ce propos, si vous le permettez je voudrais citer l'épisode de la Tour de Babel qui me paraît être intéressant mais en l'interprétant d'une manière un petit peu différente que d'habitude. B.P. : J'ai l'impression qu'actuellement on est en pleine Tour de Babel, dans notre monde profane, comme nous disons. S.D. : Alors, bon, précisément. On a coutume de penser que l'épisode de la Tour de Babel est une punition, un châtiment donné aux hommes. Je pense qu'il s'agit là au contraire d'une chance extraordinaire qui est donnée aux hommes pour qu'ils prennent conscience que la langue unique, qui se parlait avant l'épisode de la Tour de Babel, cette langue unique quelque part peut être assimilée à une pensée unique, et lorsque l'on parle de pensée unique on pense pensée unique totalitaire, totalisante, enfin qui met tout le monde dans un mode de pensée un peu univoque... Alors que, on a l'impression que Dieu, le Grand Architecte de l'Univers, donne là aux hommes l'occasion de se rendre compte que ce qui les enrichit, c'est précisément cette diversité de langue, diversité de culture qu'ils acceptent et à laquelle ils se frottent les uns aux autres. Donc en fait c'est une interprétation tout à fait opposée. B.P. : Tout à fait, et qui est parfaitement maçonnique puisque nous avons pour habitude d'employer cette expression, je crois, que Saint-Exupéry avait précisé: nous nous enrichissons de nos mutuelles différences. Au contraire de ce qui est dit dans d'autres lieux nous nous apercevons que les divergences que le monde profane, comme nous disons, le monde de l'extérieur exprime, nous nous l'exprimons par des différences et que ces différences sont complémentaires les unes des autres. S.D. : Il est évident que je m'enrichis de la différence de l'autre et que la Lumière qui peut exister dans l'autre rejaillit sur moi. B.P. : J'ai l'impression que ce court dialogue, maintenant, doit se terminer, et nous aurons l'occasion, lors de la prochaine émission, de dialoguer de la Parole et de l'Altérité. Mais surtout d'évoquer Parole et Liberté. *** |
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