ÉQUERRE
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ESPAGNE
ESPÉRANTO
ÉTATS-UNIS
ÉQUERRE
Au Moyen Âge, l'outillage individuel des corps de métiers du bâtiment est assez proche de celui qui est en usage de nos jours sur les chantiers. Parmi le matériel, l'équerre sert à tracer à construire ou à vérifier un angle droit. L'outil date de l'Antiquité. D'abord en bois, puis en fer, l'équerre du maçon est toujours de branche inégale, presque toujours dans le rapport 3/4. L'iconographie médiévale montre également des « fausses équerres » dites «sauterelles» pour mesurer des angles non droits.
Dans les Old Charges*, son symbole n'est pas encore fixé. Il se précise au début du XVIIIe siècle. Dans le Sloane (vers 1700} on lit:
« Combien y a–t–il de lumières* dans votre loge* ?
–Trois: le soleil*, le maître* et l'équerre. »
Le texte précise qu'il existe des variantes:
« Combien y a–t–il de lumières dans votre loge ?
–Deux: une pour y voir en entrant et une pour y voir en travaillant.–
Par quoi avez–vous prêté serment* ?
–Par Dieu et l'équerre. »
Un dialogue différent se trouve dans le manuscrit Dumfries nº 4 (vers 1710):
«Combien y a–t–il de colonnes [piliers] dans votre loge ?
–Trois.–Lesquelles ? –L'équerre, le compas* et la Bible*.».
Dans L 'Examen d'un maçon (1723), l'équerre est citée quatre fois, notamment comme un des quatre bijoux* précieux, avec la pierre cubique, le parpaing et la planche à tracer. Dans le manuscrit Graham {1726), l'équerre est le septième joyau et un des « six outils sans la plupart desquels un maçon ne peut accomplir un bon travail »..
Le Wilkinson (vers 1727) en fait un meuble de la loge, avec le compas et la Bible, et un des trois bijoux mobiles, avec le niveau et le fil à plomb.
Dans la Confession d'un maçon {vers 1727), on peut lire un long développement sur l'équerre, notamment à propos de la marche. On y trouve également la précision suivante:
« Combien de points y a–t–il dans l'équerre ?
–Cinq.–
Que sont ces cinq points ?
–L'équerre, notre maître soumis à Dieu en est un, le niveau est le deuxième, le fil à plomb le troisième, la règle portative le quatrième et la jauge le cinquième. »
Dans Masonry Dissected de Samuel Prichard (1730), l'équerre est incluse dans deux triades:
«Quels sont les autres meubles de la loge ?
–La Bible, le compas et l'équerre.–
À qui appartiennent–ils en propre ?
–La Bible à Dieu, le compas au maître et l'équerre au compagnon de métier.–
Y a–t–il des bijoux dans votre loge ?
–Oui.–
Combien ?
–Six, trois mobiles et trois immobiles.–
Quels sont les bijoux mobiles ?
–L'équerre, le niveau et le fil à plomb.–
Quel est leur usage ?
–L'équerre pour poser selon des lignes justes et d'équerre, le niveau pour vérifier toutes les horizontales et le fil à plomb pour vérifier toutes les verticales.»
La symbolique de l'équerre est assez univoque: elle implique l'idée de rectitude de rigueur, de précision. Le maçon se doit ainsi « d'être à l'équerre » (ou « d'être d'équerre »), c'est–à-dire droit, rigoureux et ferme dans ses pensées, ses actes et ses paroles. Le Graham invite le maçon à ne pas faire « honte à l'équerre ». L'équerre est un des symboles les plus signifiants de la franc–maçonnerie spéculative. Déjà le Dumfries précisait:
« Qu'est-ce que la maçonnerie?
–Une oeuvre d'équerre. »
Dans presque tous les rites*, « l'équerre ", le « niveau* >, et la « perpendiculaire* »servent de modèle et de justification à la mise à l'ordre, au(x} signets)* et à la marche des grades d'apprenti* et de compagnon*, et dans une certaine me sure de maître.
L'équerre est le bijou* du vénérable* qu'il porte suspendu au sautoir*. Comme sa consoeur opérative, ses branches sont inégales, dans le rapport 3/4. Jules Boucher précise que la branche longue doit se trouver du côté droit, siège de l'activité, dominant sur le côté gauche. Dans le catéchisrne du Régime Rectifié*, on peut lire:
« Combien y a-t-il de bijoux dans la loge ?
-Il y en a trois.-
Quels sont-ils ?
-L'équerre, le niveau et la perpendiculaire.-
A qui sont attribués ces bijoux ?
-L'équerre au vénérable maître [...].-
Que signifie l'équerre ?
-Elle est l'emblème de la régularité et de la perfection des travaux d'une Loge, dont le vénérable maître doit diriger tous les plans. »
L'équerre joue un rôle important notamment dans le rituel de réception. Dans le Rite Écossais Ancien Accepté*, le récipiendaire se met sur le genou gauche dénudé ou reste debout, la main droite posée sur le volume de la Loi sacrée ou le Livre de la loi maçonnique, l'équerre et le compas. Dans sa main gauche, il tient un compas ouvert avec une pointe appuyée sur le coeur. L'expert et le maître des cérémonies forment alors au-dessus de lui une équerre avec l'épée et la canne * .
Dans le Régime Rectifié, le néophyte a le genou droit dénudé posé sur l'équerre au bas de l'autel, la main droite sur la Bible, un compas ouvert en équerre, une pointe sur le « coeur à découvert » dans la main gauche.
Au Rite Français*, on trouve une gestuelle assez voisine mais le serment se prête sur la Constitution (statuts et règlements généraux).
Au Rite Français Groussier*, après la réception de la lumière, le vénérable de la loge doit attirer « l'attention du récipiendaire sur trois des principaux symboles:
le Livre de la loi, symbole des devoirs maçonniques;
l'équerre, symbole de la rectitude du jugement et de la conduite;
le compas, symbole de l'exact et de la mesure que nous devons observer à l'égard de nos semblables et en particulier des francs-maçons ».
Au 2°, l'équerre joue un rôle important, avec les autres outils, lorsque le nouveau compagnon déc,ouvre l'utilisation de l'outillage. Au Rite Écossais Ancien Accepté, le néophyte reçoit, pour le 4e voyage, une règle et une équerre, ou selon les rituels une équerre seule. Au Rite Français, le récipiendaire, toujours pour le 4e voyage, tiendra, dans sa main gauche, une équerre et une règle. Dans le Régulateur de 1801, le voyage effectué, le vénérable déclare au futur compagnon: « Mon frère, nous avons voulu vous figurer par ce voyage, la quatrième année d'un compagnon pendant laquelle il est occupé à la construction et à l'élévation des bâtiments, à en diriger l'ensemble et à vérifier l'exactitude de la pose des pierres et l'emploi des matériaux. Ceci vous offre l'emblème de la supériorité que les hommes obtiennent sur leurs semblables par le zèle, l'assiduité et l'éminence de leurs connaissances, lors même qu'ils la cherchent le mains. », Au Rite Français {Groussier, l'équerre, associée au compas, est confiée au récipiendaire lors de son 2e voyage, consacré à la découverte de l'Art. Le premier surveillant explique alors: « Dans le voyage que vous venez d'accomplir, l'équerre - qui sert à dresser régulièrement les matériaux -, et le compas - qui sert à établir les mesures exactes - étaient les emblèmes de l'Art, ils sont aussi, pour les maçons, les symboles de la Justice et de la Vérité. »
L'équerre joue également un rôle au 3°. Dans Masonzy Dissected, de Samuel Prichard, on peut déjà lire:
« Comment êtes vous parvenu à devenir (to be pass'd) maître ?
-Avec l'aide de Dieu, de l'équerre et de mon propre travail.-
Comment avez vous été fait maître ?
-De l'équerre au compas.-
Je présume que vous avez été apprenti entré.
-J'ai vu Jachim et Boaz. J'ai été fait maître maçon, c'est le plus rare, Avec le parpaing, la pierre cubique et l'équerre. »
À noter que dès les premiers tableaux* de loge au grade de maître, on voit très souvent l'équerre, du côté de l'occident à la tête du tombeau (du cercueil ou du cadavre} d'Hiram*, et le compas du côté de l'orient, aux pieds de la sépulture.
Ainsi, lors du passage ritualisé au-dessus du cadavre de l'architecte assassiné le récipiendaire passe littéralement de
l'équerre au compas.
De plus, le nouveau maître ne doit pas rester définitivement au niveau du compas seul, mais il doit se situer entre les deux. Ainsi le Régulateur de 1801 précise:
« Si un maître était perdu, où le trouveriez-vous?
- Entre l'equerre et le compas »
Cette formule, déjà suggérée par Prichard, se retrouve dans presque tous les rites, notamment d'esprit Moderne*, avec les mêmes justificatifs.
Équerre et compas sont intimement liés des le début du XVIIIe siècle, selon un symbolisme plus cosmogonique que rnaçonnico-opératif. L'équerre exprime la terre le compas, le ciel, y compris en Chine comme l'a montré Léon Wieger. Leur association, du côté de l'orient, et leur place sur le volume de la Sainte Loi (ou de la Loi maçonnique) indiquent et expliquent à quel grade les travaux se déroulent. Dans presque tous les rites, au grade d'apprenti, l'équerre est au-dessus du compas. Au degré suivant, les deux outils sont entrelacés (au Régime Rectifie, 11 en est toujours ainsi). Au grade de maître, le compas est posé sur l'équerre. De manière lapidaire, Jules Boucher explicite cette évolution: « Le compas symbolise [..}.l'esprit, et l'équerre la matière. Par conséquent, nous pouvons dire: au premier degré la matière domine l'esprit; au deuxième degré ces deux forces s'équilibrent; enfin, au troisième degré l'esprit survole la matière et la transcende. » L'apprenti travaille avec confiance et sincérité, le compagnon avec sincérité et discernement, le maître avec discernement et justice. .
L'équerre est plus rare dans les hauts grades*. Dans l'écossisme, elle est encore très présente au 4°, sur le front du récipiendaire en particulier:
« Comment avez-vous été reçu à ce grade ?
-En passant de l'équerre au compas.-
Que signifient ces paroles ?
-Ainsi que le géomètre qui passe des lignes droites aux grandes courbes et au cercle, j'aspire à m'élever au-dessus de la surface de la terre et à pénétrer dans les hautes régions de la Connaissance spirituelle. »
On la retrouve au 10° du Rite Écossais Ancien Accepté (Illustre Élu des Quinze), lors de la découverte des assassins d'Hiram.
Elle figure également au 12°, où elle orne parfois le tablier de Grand Maître Architecte:
« Je connais parfaitement tout ce que renferme un étui de mathématiques.
Quels objets renferme-t-il ?
- Une équerre, un compas simple, un compas à quatre pointes? une règle, un aplomb, un compas de proportion, un demi-cercle. »
Elle est encore présente dans quelques grades chevaleresques, notamment dans le 1er signe et sur le tableau de loge du 20°. Elle figure quelquefois sur celui du 24° (Prince du Tabernacle). On la retrouve parfois dans le signe d'ordre du Grand Commandeur du Temple (27°) et dans le signe de Chevalier du Soleils {28°). Elle figure « renversée " dans le bijou de Grand Écossais (29°}.
Y. H.M.
ÉSOTÉRISME
Le néologisme « ésotérisme », qui date du début du XIXe siècle, est dérivé d'une racine grecque utilisée par des disciples d'Aristote, puis dans le milieu gnostique alexandrin pour distinguer les aspects intérieurs et extérieurs d'une doctrine. C'est l'adjectif « ésotérique » qui apparut tout d'abord en français sous la plume de La Tierce* (Nouvelles Obligations et Statuts de la très vénérable corporation des francs-maçons, 1742), lequel faisait allusion à deux éléments complémentaires des doctrines initiatiques qu'ils « appelaient [l'] une exotérique, qu'on pouvait communiquer aux étrangers, et l'autre ésotérique ou secrète qui était réservée aux membres des loges o Le Trésor de la langue française donne la date de 1752 en se référant au Journal de Trévoux. Il fallut attendre 1828 semble-t-il pour lire le substantif sous la plume d'un historien de la gnose, Jacques Matter (1791-1864), protestant alsacien qui joignait à la rigueur scientifique un intérêt non déguisé pour l'illuminisme* et les théosophes d u XVIIIe siècle, en particulier Saint-Martin* et Swedenborg. Matter devait passer par la Franc-maçonnerie. Il définit l'ésotérisme comme une libre recherche syncrétique alliant aux vérités du christianisme des connaissances secrètes transmises par la Grèce, en particulier par les pythagoriciens; il pensait que la franc-maçonnerie constituait pour le XIXe siècle le milieu naturel de ce type de recherche spirituelle.
La notion est au centre de l`argumentation de Jacques Étienne Marconis de Nègre, fondateur du Rite de Memphis en 1838. Dans L'Hiérophante, développernents complets des mystères maçonniques (1839), il reconstitue une transmission mythique des secrets de l'Ordre: un philosophe grec, après avoir visité l'Égypte* et visité les principaux sanctuaires de la science, rapporte qu'un des principaux points de la doctrine des prêtres était la division de la science sacrée en exotérisme ou science extérieure et ésotérisme ou science intérieure, mystères auxquels n'ont accès qu'une toute petite minorité d'élus. Clavel {Histoire pittoresque de la franc-maçonnerie , 1843), et les grands manuels maçonniques, de meme que Pierre Leroux ou Maurice Lachâtre (1814-1900), hérauts de ce premier socialisme lié à la maçonnerie, ont adopté les mêmes distinctions, faisant dériver du pythagorisme parfois mais plus rarement de la Kabbale*, la transmission du savoir ésotérique, contre le monopole des Églises.
Un tel succès est lié à la théorisation des sciences occultes et à la justification des sociétés secrètes au début du XlXe siècle; les premières cryptent et symbolisent les vérités de la raison par précaution face à l'incompréhension des peuples les secondes mettent à l'abri des persécutions des États, instruments de la crédulité des peuples, les pionniers de la connaissance. Après les désillusions de la Révolution française*, la loge* devenait le laboratoire de la démocratie où la lumière demeurait « sous le boisseau », préparant l'éducalion des peuples, et l'ésotérisme, une attente du moment proche, où la vérité serait « criée sur les toits».
Puis, avec la Première Guerre mondiale, les doutes sur le progrès et la conception cumulative du savoir affaiblissent, mais sans la faire disparaître, cette vision des choses et « ésotérisme » tend à se confondre avec « tradition», dans une recherche de racines, incluant l'univers biblique et le christianisme. Les travaux d'Oswald Wirth* ont fait la transition avec la présentation de Guénon* de la maçonnerie comme un des derniers conservatoires de la Tradition dans une vision descendante de l'histoire; leur influence s'est largement répandue.
L'approche historique universitaire utilise fréquemment le concept dans le but de différencier les courants rationalisant et spiritualisant de la maçonnerie, tendances « chaudes » et « froides » selon la distinction de M. Introvigne (Il cappello del mago, l990). Enfin, un usage polémique est à signaler, qui tend à mêler l'ésotérisme aux activités de sectes, les maçonneries marginales étant elles-mêmes dénoncées comme telles.
J.-P. L.
ESPAGNE
Le 15 février 1728, un groupe de six Anglais menés par le duc de Wharton fonde à Madrid la loge* French's Arms, également connue sous le nom de Matritense (Madrilène). Ce fut l'une des premières loges spéculatives* sur le continent européen et la première à être reconnue par la Grande Loge de Londres. Cependant, la maçonnerie institutionnelle put à peine s'ancrer dans l'Espagne du XVIIIe siècle. Les recherches actuelles sur la maçonnerie nient la véracité de l'existence d'une douzaine d'ateliers dans la péninsule Ibérique, de Grandes Loges et de Grands Orients supposés ou des activités maçonniques prêtées à Charles 111 et à ses ministres, notamment le comte d'Aranda*.
On ne peut à ce jour parler que de la présence sporadique de quelques loges isolées et de rares maçons contrôlés par l'inquisition*. En dehors de Matritense, qui est représentée sur le registre de la Grande Loge de Londres jusqu'en 1768 mais ne reste active que quelque temps, on sait simplement qu'il existe pendant quelques années des francs-maçons anglais, français et wallons à Barcelone (1748), Cadix (1755) et Madrid (1772} ainsi que les loges San Pedro à Saragosse (1787) et Son Juan à Madrid (1788). On connaît également les noms d'une douzaine de maçons dispersés qui sont dénoncés ou se dénoncent eux-mêmes au Saint-Office pour éviter le pire. Les témoignages de ces derniers convergent d'ailleurs pour affirmer l'inexistence d'organisations maçonniques dans la métropole et les colonies* d'outre-mer. L'appareil inquisitorial et la politique anti maçonnique des souverains Ferdinand VI et Charles III, suivant les directives émanant du Saint-Siège* ne permettent pas à la francmaçonnerie de s'épanouir sur le sol Espagnol. Cependant, les ennemis de la maçonnerie ne peuvent empêcher que des notables et serviteurs de la Couronne s'affilient à des loges, en France, en Angleterre ou dans les états allemands. Il convient de rappeler les noms de Fausto de Elhuyar (chimiste de renom mondial), Antonio Munibe, futur comte de Penaflorida, José de Eguia, marquis de Narros, Eugenio de Izquierdo, naturaliste attaché à Charles III, et du marquis de Villa Alegre. Parmi les Grands d'Espagne, on relève le vicomte de Gand, les comtes d'Ossun et de Buzançois, le marquis de Ronhault et le duc de Narbonne.
La situation est différente à Gibraltar et à Minorque. Leur condition de colonies étrangères a rendu possible l'installation de nombreuses loges presque entièrement composées de Anglais et, à l'occasion, de Français appartenant à différents régiments militaires. La première loge est érigée à Gibraltar en l 729 et intitulée Lodge of Saint John of Jérusalem. À partir de ce moment, la maçonnerie connaît sur le Rocher une vie sûre et prospère. A Minorque, la vie maçonnique s'enracine de la même manière au fil du siècle: de 1750 à la fin du XVIIIe siècle, sept loges au moins, également nées et développées au sein de l'armée britannique, s'installent.
Curieusement, le premier atelier connu entièrement fondé par des Espagnols ne s'installe pas en Espagne mais à Brest au début du XXXe siècle. Il s'agit de la loge Réunion espagnole, fondée par un groupe de 20 officiers de la marine, 5 prêtres et un apothicaire, initiés dans des loges françaises et qui désiraient travailler dans leur langue maternelle. Sa période d'activité se limita entre août 1801 et avril 1802.
La franc-maçonnerie* entre systématiquement en Espagne avec l'invasion napoléonienne et la fondation du (Grand Empire*. C'est donc à nouveau une armée* qui est chargée de répandre la semence du Grand Architecte de l'Univers en fondant la Masoneria Bonapartista. Protégé par le (Grand Maître Joseph Bonaparte*l de nombreuses loges militaires sont créées sous les auspices du Grand Orient de France*. En même temps, d'autres loges civiles, dont les membres provenaient de l'entourage français de Joseph Bonaparte et du secteur des Espagnols francisés (afrancesados), s'établissent également. Libres de la pression exercée par l'inquisition abolie, ces ateliers obtiennent de s'organiser et d'être reconnus en 1809 comme Grande Loge Nationale d'Espagne.
De nombreux libéraux ne voient pas d'un bon oeil l'alliance des loges et de l'envahisseur et s'opposent à l'expansion de la franc-maçonnerie. Bien qu'il semble qu'il ait existé des loges de libéraux, les Cortes de Cadix, par l intermédiaire du Conseil de régence, promulguent un brevet du roi, le 19 janvier 1812, interdisant l'Ordre dans les territoires des Indes et des Philippines. A l'arrivée sur le trône de Ferdinand VII, les ateliers bonapartistes s'éteignent et la plupart de leurs membres abandonnent le pays. L'inquisition rétablie redouble les persécutions contre les francs-maçons mais quelques loges clandestines continuent à fonctionner. Pendant les mandats du « Désiré » (Ferdinand VII), entre 1814 et 1820 puis entre 1823 et 1833, la franc-maçonnerie se confond avec les sociétés secrètes et patriotiques pour organiser des soulèvements.C'est ce qui s'est passé en 1817, au moment des célèbres épisodes révolutionnaires du comte de Montijo, Juan Van Halen, Luis Lacy et José Maria Torrijos.
C'est une période agitée et obscure del'histoire de la franc-maçonnerie dont onconnait bien l'idéologie, mais moins laportée réelle de ses interventions politico-militaires
La régence de Marie-Christine et le règne d'Isabelle II (1833-1868) apportent un certain adoucissement et permettent une légère rénovation ,de la franc-maçonnerie.Si elle demeure interdite, la répressionest atténuée. Profitant de ces circonstances, Pedro Làzaro, depuis Lisbonne où il est exilé, parvient à fonder en 1838 un petit Grand Orient National d'Espagne soutenu par une loge de Grenade, une autre de Bilbao et un Souverain Chapitre de Barcelone. Puis, en 1846, se constitue le Grand Orient Ibérique ou Espagnol. Le rayonnement des deux obédiences* reste limité. Le Grand Orient National, en 1849, est plongé dans un silence qui dura des années. Le Grand Orient Ibérique s'éteint au bout de deux ans d'activité. Les nouvelles loges fondées sous le règne d'Isabelle II à Madrid, Gijon, Gracia et Barcelone, luttent pour survivre en cherchant de façon quelque peu anarchique l'appui d'obédiences extérieures comme le Grand Orient du Portugal*, le Grand Orient de France, la Grande Loge Unie d'Angleterre* et le Grand Orient d'Uruguay.
Stimulée par les libertés proclamées par la Révolution de 1868, la franc-maçonnerie espagnole prend alors un essor sans pareil dans son histoire. Sous Alphonse XII, son processus de croissance continue, Pendant la première étape de la Restauration, l'Ordre du Grand Architecte est au zénith. L'esprit de tolérance de la Constitution de 1876 et la loi des associations de 1887, sous la protection de laquelle sont légalisées pour la première fois en Espagne différentes organisations maçonniques, y contribuent. La conséquence est que, en peu de temps, la franc-maçonnerie espagnole présente une image très complexe. Les différentes interprétations des Landmark*, l'influence des idéologies politiques, ses modes de relation avec la Libre Pensée* les divisions provoquées par les agissements individuels tout cela donne naissance à un véritable labyrinthe d'obédiences presque toujours dressées les unes contre les autres et qui, en réalité, constituent des maçonneries différentes. Au cours des années 1868-1874 se détachent ainsi le Grand Orient Uni de Lusitanie qui appuie nombre d'ateliers de la péninsule et des Canaries, le Grand Orient National d'Espagne, à tendance libérale modérée et stimulé pendant des années par Caballero de Puga*, et le Grand Orient d'Espagne, progressiste et dont la maîtrise est occupée entre autres dignitaires par des hommes politiques comme Manuel Ruiz Zorilla, Antonio Romero Ortiz, Manuel Becerra et Pràxedes Sagasta*.
L'évolution devient particulièrement confuse entre 1875 et 1896 et, parmi la trentaine d'obédiences alors représentées sur le sol espagnol, on doit signaler aussi le Grand Orient Ibérique, le Grand Conseil Général Ibérique du Rite Ancien et Primitif de Memphis Misraïm (rites égyptiens*) et le très important Grand Orient Espagnol, né en 1889 grâce au zèle décisif du charismatique Miguel Morayta* et cimenté dans le solide noyau de la loge Iberica. Par ailleurs, les tendances décentralisatrices et symbolistes se manifestent avec vigueur par la création de Grandes Loges Symbolistes indépendantes. Le mouvement est amorcé en 1878 par la Confédération maçonnique du Congrès de Séville et sa plus forte expression est représentée par la nationaliste Grande Loge Symboliste Régionale Catalane, organisée autour de la loge Avant et dirigée par Rosendo Arùs*.
L'ensemble de ses puissances maçonniques rassemble à peu près 1 200 ateliers: la province de Cadix en compte 122,celle de Madrid 90, celle de Barcelone 77, celle de Malaga 60+ celle de Séville 59 et celle de Murcie 50. Les espaces les plus densément peuplés sont les provinces de Madrid, puis de Murcie, d'Andalousie, des Baléares, des Canaries, du pays valencien et de Catalogne. À l'exception de Madrid, la franc-maçonnerie se développe dans la périphérie du pays et dans les îles.
Sociologiquement, les maçons espagnols sont des représentants des classes moyennes libérales et progressistes. Parmi eux figurent de prestigieux universitaires et scientifiques comme Santiago Ramon y Cajal, José Letamendi. Antonio Machado Nùnez et Odon de Buen, des urbanistes comme Arturo Soria des hommes de presse comme Fernando Lozano et Ginard de la Rosa, des hommes de lettres comme Vicente Blasco Ibànez, des pédagogues comme Ricarde Macias Picavea... Des femmes comme Bélen Sàrraga, Rosario Acuna, Angeles Lopez de Ayala et Amalia Carvia, qui prennent la tête du mouvement féministe espagnol, constituent une sorte de maçonnerie d'adoption* quelque peu hétérodoxe.
Cette franc-maçonnerie de la fin du XIXe siècle se caractérise par la variété des thèmes abordés dans les temples: les débats sur la religion, la politique, l'enseignement, la femme et le mouvement ouvrier. Les maçons témoignent pour la plupart d'une forte sensibilité en faveur de la laïcité* et du réformisme, même si, quelquefois, on remarque un contrepoids anarchiste {Lorenzo*) Politiquement, les maçons peuvent provenir d'un éventail alLant de la droite dynastique au mouvement libertaire. A partir des années 1380, une inflexion se produit et la balance penche alors nettement en faveur d'un républicanisme dispersé et fragmenté.
Pendant les cinq dernières années du siècle, les divisions internes, l'absentéisme et les accusations de flibusterie face aux troubles touchant l'Empire espagnol* plongent la franc-maçonnerie dans une crise profonde. Les rares loges qui survivent maintiennent difficilement le Grand Conseil Général Ibérique, le Grand Orient Espagnol et la Grande Loge Symbolique Régionale Catalogne-Baléares. La première organisation languit durant 15 ans avant de s'éteindre, a]ors que les deux autres se consolident peu à peu et se partagent l'activité maçonnique jusqu'à la guerre civile. Les nouvelles fondations d'un Grand Orient d'Espagne en 1910, de la Grande Loge des Canaries en 1922, d'une Grande Loge Unie en 1930 ou d'un Grand Orient Indépendant Catalan en 1936 sont des plus éphémères.
Après cette crise de la fin du siècle, le Grand Orient Espagnol et la Grande Loge Symbol.que Régionale Catalogne-Baléares se voient dans l'obligation de se soumettre à d'importantes réformes pour regagner le terrain perdu et obtenir la reconnaissance internationale. Le Grand Orient Espagnol, poussé par la concurrence de l'obédience catalane et pressé par le Sureau international des relations maçonniques et par l'Association Maçonnique Internationale, doit changer, non sans réticences, sa structure centralisatrice pour une organisation plus décentralisée et plus démocratique En 1922, il adopte sérieusement la structure fédératrice en s'organisant en sept Grandes Loges Régionales. De son côté? la Grande Loge Symbolique Régionale Catalogne Baléares évolue dans ses conceptions fédérales en laissant de coté ses prétentions nationalistes originelles. En 1921 elle devient la Grande Loge Espagnole et se met à agir sur tout le territoire. Les relations entre ces obédiences sont très ambiguës car elles tendent à s'unir et signent plusieurs traités d'amitié, mais gardent de fortes réticences l'une envers l'autre et luttent pour imposer chacune leur hégémonie.
Les changements structurels et l'évolution sociale et poLitique du pays favorisent le développement du Grand Orient Espagnol. L'augmentation de ses effectifs reste modérée jusqu'en 1923 puis, parallèlement à sa réforme en faveur de la décentralisation et bénéficiant des contradictions internes du régime de Primo de Rivera, il connaît une progression rapide: on passe de 33 loges en 1923 à 52 en avril 1925 (et 22 triangles), ce qui représente 1727 affiliés sans compter les dépendances extérieures... et à 133 loges et 4 000 frères au milieu de la Seconde République {1933}. La Grande Loge Espagnole connaît une croissance analogue. Au début du XXe siècle, elle compte 9 loges, n'en conserve que 6 en 1917 avant de monter à 17 (et 4 triangles) en 1925 rassemblant 600 membres. En 1930, l'obédience compte 52 loges rassemblant 1877 frères puis, en 1932, après avoir souffert d'une scission, elle regroupe 700 frères et 21 ateliers symboliques. Pendant la Seconde République, les deux obédiences rassemblent en moyenne 5 000 membres par an.
La franc-maçonnerie se caractérise, durant cette période, par son implication politique croissante. En raison de l'espace de sociabilité démocratique qu'offre la loge et de la discrétion de l'Ordre, beaucoup de dirigeants républicains, des civils et des militaires, décident de se faire initier durant le règne d'Alphonse XIII. La présence de syndicalistes, bien que cela soit le fait d'une minorité est une réalité gui touche le premier tiers du XXe siècle. A partir des années de la dictature, les maçons font pression directement sur leurs loges et tous les organismes de leurs obédiences pour qu'ils interviennent directement dans la vie politique de l'État. A l'inverse, des partis politiques prétendent instrumentaliser quelques loges et quelques ateliers fraternisent de façon excessive avec des formations particulières. Ainsi, durant les années 20, on note la prédominance indéniable du Parti radical et de son leader Diego Martinez Barrio* dans la maçonnerie andalouse, plus concrètement dans la loge Isis et Osiris (Séville) et dans la Grande Loge Régionale del Medioda. De même, une étroite relation unit la loge Hélios (Barcelone) et les loges madrilènes Union, Mare nostrum et surtout Danton avec le Parti radical socialiste. Cette politique interventionniste est plus modérée à partir de 1933. Le Grand Orient Espagnol mène une politique comparable, mais de façon plus discrète n'ayant pas pour coutume d'impliquer ouvertement ses loges ou ses instances supérieures dans les activités politiques. Les deux obédiences adoptent donc deux stratégies différentes dans un même but jusqu'à la guerre civile. Dès le 4 avril 1931, la politisation de la maçonnerie s'exprime au grand jour. Les deux obédiences saluent en effet avec effusion l'avènement de la République et nombre de frères occupent les charges les plus hautes de l'administration des provinces ou de l'état. A Séville, entre 1931 et 1936, on note des liens spectaculaires entre l'élite républicaine et l'élite maçonnique, qui est affiliée à des partis de gauche et du centre et qui assume des responsabilités administratives dans nombre de municipalités. Près de 140 députés élus aux Cortes sont des frères, de même que nombre de ministres (Alejandro Lerroux, Diego Martinez Barrio*. Santiago Casares Quiroga, Alvaro de Albornoz, Marcelino Domingo, Fernando de los Rios, José Giral Luis Companys Francisco Barnés, Domingo Barnés Juan José Rocha, Manuel Portela Valladares et Manuel Azana). Dans les milieux militaires, on peut noter les figures des généraux Riquelme, Lopez Ochoa, Martinez Cabrera, Urbano de Palma, Romerales, Cabanellas et Nùnez de Prado. On rend dans les loges un culte à la mémoire de Fermin Calàn.
Dans ce contexte, on comprend que la fin de la guerre et la défaite de la République ouvrent une période nouvelle, douloureuse, pour l'histoire de la franc-maçonnerie et des francs-maçons espagnols passés alors sous le joug du franquisme*.
P.A.
ESPÉRANTO
L'espéranto est une des nombreuses langues auxiliaires internationales ou universelles élaborées pour remédier aux difficultés de communication entre les hommes causées par la multiplicité d es langues. Il est élaboré en 1887 par Lazare-Louis Zamenhof (1859 1917), médecin juif polonais qui crée aussi une sorte de religion humanitariste, le hillélisme. L'espéranto l'emporte sur les autres langues auxiliaires grâce à la simplicité de ses structures, à la facilité de son apprentissage, et à la souplesse de son fonctionnement. Il repose sur le respect de 16 règles qui ne souffrent aucune exception. Les mots sont formés à partir de radicaux latins et germaniques auxquels s'ajoutent des préfixes et des suffixes ayant toujours la même signification; ses conjugaisons ne comprennent aucune irrégularité, son écriture est phonétique, la prononciation homogène grâce à un accent tonique toujours placé sur l'avant-dernière syllabe.
Très rapidement, pour des raisons utilitaires, cette langue artificielle se répand parmi les commerçants, les savants, les voyageurs; mais elle séduit aussi tous ceux qui mesurent ses valeurs morales et philosophiques, qui sont ouverts à ses dimensions démocratiques-l'espéranto a été surnommé (l le latin du pauvre ,} par le recteur Boirac-, internationalistes et pacifistes. Dès le début du siècle, les militants ouvriers, les socialistes les libres penseurs, les membres de la Ligue des Droits de l'Homme* sont nombreux à s'adonner à l'espéranto et à recommander sa pratique. Les francs-maçons ne restent pas étrangers à ce mouvement; en 1906 la loge parisienne Les Vrais Experts adresse au Conseil de l'Ordre du Grand Orient* de France un vœu relatif à la création d'un cours d'espéranto. En 1913, au sein de la Grande Loge de France* se crée une loge, appelée Espéranto, travaillant dans la langue du Dr Zamenhof; elle fonctionne encore actuellement.
Après la Première Guerre mondiale, l'intérét pour l'espéranto s'accroît mais sans emporter l'unanimité. Durant les années 1920, la loge parisienne Thélème (Grand Orient) transmet plusieurs voeux portant sur la nécessité de rendre l'étude de l'espéranto obligatoire dans les établissements d'enseignement public. Au Conseil de l'Ordre, plusieurs frères appuient vigoureusement cette demande, mais d'autres y sont très hostiles; pour eux une seule langue, par son élégance, sa clarté et sa subtilité, demande à être propagée, le français. En outre, l'espéranto, par sa facilité même, leur semble capable de nuire « à la culture intellectuelle en poussant les élèves à abandonner l'étude des langues nationales et en encourageant, dans les jeunes générations, la pratique du moindre effort».
J. L.
ÉTATS-UNIS
La légende veut que des maçons se soient réunis dans une église de Boston au début du XVIIIe siècle et il semble qu'en 1730 le colonel Daniel Coxe ait été nommé Grand Maître Provincial de New York, du New Jersey et de Pennsylvanie, ce qui supposerait que cette distinction ait été accordée en raison de l'existence de quelques loges* dans ces régions. Cependant, même s'il y eut certainement des embryons maçonniques avant le 30 juillet 1733, date à laquelle les Annales de la Grande Loge St. John de Boston spécifient que le Grand Maître d'Angleterre, le vicomte Montagu, accorde à Henry Price*, nommé Grand Maître Provincial d'Amérique du Nord, le droit de réunir une loge régulière à la taverne La Grappe de raisins (Bunch of Crapes Tarvem), King Street le deuxième et le quatrième mercredi de chaque mois, aucune preuve formelle ne subsiste.
En 1734, Franklin* publie la première édition américaine des Constitutions* d'Anderson*, puis, le 24 juin, il est nommé Grand Maître Provincial de Pennsylvanie par Henry Price. Le fait est suffisamment important pour être relaté dans la presse locale, l'American Weekly Mercury. La meme année, Franklin prend soin d'adresser un courrier à Henry Price dans lequel il exprime le souhait des maçons de Pennsylvanie de se voir accorder une réelle autonomie. En fait, ces derniers réclament la possibilité de procéder à l'élection de leur propre Grand Maître Provincial, et de tous leurs officiers, jusqu'à ce qu'un Grand Maître soit nommé pour toute l'Amérique. Le but est d'échapper à la tutelle de l'Angleterre et de Price. La Grande Loge de Pennsylvanie est donc parmi les premières institutions à vouloir couper le cordon ombilical avec la métropole: elle le fait en se séparant officiellement de la Grande Loge d'Angleterre, en 1778; il semble d'ailleurs que jusqu'à cette date elle n'ait gardé que des liens très ténus avec la Grande Loge Mère*, contrairement à la Grande Loge St. John par exemple.
À partir de 1752, cette dernière a une rivale à Boston, la loge St. Andrews qui est rattachée à la Grande Loge d'Écosse*, et non à celle d'Angleterre: elle fonde quelques années plus tard la Grande Loge du Massachusetts*. De façon symptomatique, la Grande Loge St. John et la loge St Andrews sont agitées par la même querelle de rites entre Anciens* et Modernes* que leurs Grandes Loges Mères. Leur différend n'est certainement pas uniquement d'ordre rituel puisqu'elles divergent un peu plus encore pendant la Révolution américaine*.
Parmi les pionniers de la franc-maçonnerie américaine figure James Oglethorpe, philanthrope anglais qui proposa de résoudre les problèmes des débiteurs qui peuplaient les prisons de Londres en les encourageant à émigrer vers la colonie de Géorgie, à partir de 1734. Oglethorpe fut ainsi vénérable* de la première loge de Géorgie, la loge du Roi Salomon° 1 fondée en février de la même année. Loin de nuire à l'essor de la franc-maçonnerie, la guerre d'indépendance voit le nombre des loges doubler.
C'est au XIXe siècle que la première menace réelle plane, avec l'affaire Morgan. en 1826-1827, qui déclenche une campagne d'antimaçonnisme* sans précédent. On ne sait si William Morgan fut jamais initié, mais il est certain que certaines Loges refusèrent de l'admettre en tant que visiteur et qu'il en conçut beaucoup de rancoeur. Morgan écrit alors un pamphlet anti maçonnique, puis disparaît. La découverte d'un cadavre près de Fort Niagara, le 7 octobre 1827, et, bien que le corps ne soit pas identifié, déclenche une violente attaque contre la franc-maçonnerie. On prétend que les maçons ont assassiné Morgan pour se venger d'un traître, et on fait allusion au terrible serment prononcé par les profanes lors de leur initiation*. Un candidat anti maçon va jusqu'à se présenter aux élections pour le poste de gouverneur général de New York, en 1830 et peu s'en faut qu'il ne soit élu. Entre 1826 et 1846, la Grande Loge de New York passe de 500 à 65 loges. Jamais la franc-maçonnerie continentale ne fut soumise à pareille épreuve.
Peu de temps après, survient la guerre de Sécession. Parmi les abolitionnistes, on compte Absalom Jones, Grand Maître de Pennsylvanie, James T. Hilton, Grand Maître du Massachusetts, et l'auteur Martin Delany; Abraham Lincoln ne fut sans doute pas maçon, même si un doute subsiste. En revanche, son successeur à la présidence, Andrew Johnson, appartient au groupe des quatorze présidents américains francs-maçons: Washington*, James Monroe (1758 1831), Andrew Jackson (1767-1845), James K. Polk (1795-1849), James Buchanan (1791-1868), Andrew Johnson (1808-1875), James Garfield (18311381}, William McKinley (1843 1901) , Theodore Roosevelt*, William Howard Taft (1857-1930}, Warren G. Harding (1865-1923), Franklin D. Roosevelt*, H. S. Truman* et Gerald Ford.
La franc-maçonnerie américaine a pignon sur rue. Ses locaux souvent prestigieux font parfois même l'objet de visites guidées Les francs-maçons américains représentent environ deux tiers des francs-maçons du monde entier, soit environ quatre millions (1984), regroupés dans 50 Grandes Loges indépendantes les unes des autres et dans 15 000 ateliers, ce chiffre ne tenant pas compte des Grandes Loges de Prince Hall. Chaque État a sa propre Grande Loge , à l' exception de Hawaï dont la Grande Loge est placée sous l'autorité de la Grande Loge de Californie. Les trois premiers degrés se pratiquent au rite nommé Craft Rite puis les maçons ont la possibilité d'accéder aux hauts grades*, moyennant une participation financière qui constitue un véritable barrage social. Ils peuvent opter pour le Rite d'York ou le Rite Écossais. Les hauts grades du Rite Écossais, qui concernent environ un million de maçons, sont gérés par deux juridictions indépendantes la Juridiction Nord et la Juridiction Sud. À l'origine, la Juridiction Nord était une scission de la Juridiction Sud. Si elles présentent encore quelques différences rituelles les deux juridictions sont aujourd'hui en,très bons termes. Contrairement au Rite Écossais Ancien et Accepté* qui propose 33 degrés, le Rite d'York offre plusieurs parcours: le Rite Capitulaire (Capitular Rite) délivré par le Grand Chapitre* de l'Arche royale (Grand Royal Arch Chapter), le Rite Cryptique, rattaché au Grand Conseil des Maîtres Royaux Élus (Grand Council of Royal and Select Masters), le Rite des Templiers et des Chevaliers (Templar and Chivalric Rite), celui de la Grande Commanderie des Chevaliers Templiers (Grand Commandery of Knights Templar). Une fois que les maçons ont franchi avec succès tous ces hauts grades, du Rite Écossais ou du Rite d'York, ils peuvent accéder à un ordre spécifique, The Shrine, qui représente l'honneur suprême sans être considéré comme une distinction maçonnique. Les Shriners sont connus pour leurs oeuvres de bienfaisance: ils gèrent 22 hôpitaux pour enfants handicapés répartis aux États-Unis, au Canada et au Mexique.
La franc-maçonnerie américaine se veut conviviale, comme en atteste la pratique des tables lodges, qui ressemble tout à fait aux « banquets* d'Ordre » organisés par les loges latines et, comme son homologue britannique, elle propose uniquement des travaux rituels à ses membres. Les tenues* consistent à réciter un catéchisme* maçonnique, selon le grade d'ouverture, à l'exclusion de tout travail personnel. Les questions politiques et religieuses sont ainsi écartées, mais aussi tout sujet d'ordre social ou philosophique. Les francs-maçons américains accordent en revanche une grande importance à la bienfaisance et sont très heureux faire appel à leurs compagnes,qu'ils n' initient toutefois pas dans des loges régulières, afin qu'elles pratiquent la charité dans diverses institutions scolaires ou hospitalières ou dans des maisons de retraite. Pour cela, ils autorisent leurs soeurs, leurs épouses et leurs filles à adhérer à l'Eastern Star* ou à The Order of the Amaranth, associations à coloration maçonnique qui constituent une sorte de lot de compensation pour les dames en mal de rituel, un peu à la manière des loges d'adoption * françaises en vogue au XVIIIe siècle. Elles fonctionnent d'ailleurs dans la pure tradition patriarcale: dans les ateliers de l'Eastern Star, les femmes ne peuvent siéger qu'en présence du « père protecteur », (Father Patron) et de quelques officiers*. Il existe aussi des organisations de jeunesse, qui reçoivent l'aval des Grandes Loges bien qu'elles ne soient pas considérées comme maçonniques. Ici encore la mixité n'est pas de mise: les filles de maçons sont invitées à adhérer à The Rainbow (l'Arc-en-ciel) ou aux Job's Daughters (Les Filles de Job), tandis que les garçons rejoignent les rangs des Ce Molay. On compte ainsi une quinzaine d'organisations liées aux Grandes Loges, mais qui n'ont pas le visa maçonnique.
Quant à la franc-maçonnerie noire, elle est encore aujourd'hui considérée comme irrégulière par de nombreuses Grandes Loges. Sur les 50 Grandes Loges blanches des États-Unis, 21 seulement reconnaissent officiellement la Grande Loge Prince Hall* de leur État, souvent depuis peu. La date indiquée pour certaines d'entre elles sur le web (Internet) de la Grande Loge dé Prince Hall, le montre bien: Vermont et État de Washington, 1990, Dakota du Nord, Ohio, Californie et Colorado, 1995 Minnesota, Nebraska, Nouveau-Mexique Connecticut, Floride, Hawaï, Idaho et Kansas, 1996; Alaska, Massachusetts Pennsylvanie, Ut ah et Michigan, 1997. Seize Grandes Loges, telle celle de New York, refusent encore de reconnaître la Franc-maçonnerie noire, soit environ 500000 maçons et 5 000 loges. Lorsque la première loge noire a été créée à Boston, en 1787, par un esclave affranchi (Prince Hall), ce n'est pas la Grande Loge du Massachusetts, mais bien la Grande Loge Anglaise des Modernes* qui accepta de lui délivrer une patente et, quand en 1947, la Grande Loge du Massachusetts tenta de faire amende honorable et de reconnaître la Grande Loge de Prince Hall dans son État, elle se heurta à un véritable tir de barrage des autres grandes loges américaines et renonça momentanément à son projet pour ne le reprendre que beaucoup plus tard. Une lecture au premier degré de l'article 3 des Constitutions d'Anderson, qui déclare l'impossibilité d'initier des femrnes ou des esclaves, est à l'origine de cette discrimination raciale. 21 Grandes Loges américaines se sont donc aujourd'hui affranchies de cette attitude raciste, qui entache la réputation de quelques Grandes Loges, lesquelles confondent tradition maçonnique et traditionalisme.
C. R.