CONSTITUTIONS D'ANDERSON
CONVENT
COQ
COR
CORNELOUP, Joannis
CORRESPONDANCES
COULEURS
COURT DE GÉBELIN, Antoine
COUSTOS-VILLEROY
CRÂNE
CROIX
CRUCHE
CUBA






CONSTITUTIONS D 'ANDERSON *
La première partie de ce texte aujourd'hui canonique offre une histoire particulièrement fantaisiste de l'Ordre* où se rencontrent pêle–mêle Adam, Pythagore, Tubalcaïn, Euclide. Nemrod, Christophe Wren* et bien d'autres. Les rédacteurs disent s'inspirer des Old Charges*–ce qui prouve bien que la référence est rapportée. Suit une seconde partie traitant des « Obligations d un franc–maçon » (The Charges of a Free–Mason) qui mérite une grande attention. On en retiendra ici le premier article essentiel portant sur « Dieu et la religion ». On y explique qu'un maçon « est obligé, de par sa tenure, d'obéir à la loi morale, et s'il comprend bien l'art, il ne sera jamais athée stupide ni libertin irréligieux ». Le texte poursuit: « Mais, quoique dans les temps anciens, les maçons fussent tenus dans chaque pays d'être de la religion, quelle qu'elle fût, de ce pays ou de cette nation, néanmoins il est maintenant considéré comme plus expédient de les astreindre à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d'accord, laissant a chacun à ses propres opinions, c'est–à–dire d'être hommes de bien et loyaux ou hommes d'honneur et de probité, quelles que soient les dénominations ou les confessions qui aident à les distinguer. par suite de quoi la maçonnerie devient le Centre de l'union et le moyen de nouer une amitié sincère entre des personnes qui n'auraient pu rester que perpétuellement étrangères .,

(trad. D. Ligou). Ce texte a été cent fois commenté, la question roulant sur ce qu'il convient d'entendre par stupid atheist, irreligious and libertine. Anderson ou les rédacteurs de l'article, ont–ils en vue l'athée, ou dans la catégorie des athées pensent–ils essentiellement à ceux qui seraient stupides ? Pareillement, le libertin visé, est–ce celui qui est sans moeurs, ou, plus classiquement. le libre penseur dans la tradition des La Mothe Le Vayer ou Collins ? Il paraît difficile de trancher, mais la référence finale à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d'accord, bref à la religion naturelle conduit à penser qu'en dehors des orthodoxies les Constitutions entendent rassembler des hommes libres et de bonnes moeurs sans égard à leurs appartenances ecclésiales en s'en tenant à des valeurs coextensives à l'humanité. Cette interprétation est confirmée par la situation de l'Angleterre d'alors qui sortait à peine de graves conflits politico–religieux; en réalisant la Glorieuse Révolution de 1688 elle avait jeté les bases d'un régime libéral reconnaissant la liberté des personnes (habeas corpus): par ailleurs, en agrégeant l'Ecosse*, la question urgente était celle de l'intégration des presbytériens qui étaient des calvinistes orthodoxes; en laissant à chacun le choix de son Église, la maçonnerie permettait à tous de se reconnaître dans une Angleterre nouvelle unie autour de principes communs. À l'image de la Royal Society qui avait su attirer des savants de toute nationalité et de toute religion (mais nous demeurons en régime de civilisation chrétienne), la maçonnerie reconduisait sur le terrain des « moeurs » l'exigence latitudinaire, bref cette tolérance dont Montesquieut et Voltaire* seront les témoins éblouis. Au demeurant la reprise remaniée de l'article premier des Constitutions en 1738, meme si elle le centre sur le noachisme en est la confirmation: « Un maçon est obligé de par sa tenure–est–il écrit–d'observer la loi morale en tant que véritable noachite, et s'il comprend bien le métier, il ne sera jamais athée stupide ni libertin irréligieux, ni n'agira à l'encontre de sa conscience. Dans les temps anciens, les maçons chrétiens étaient :tenus de se conformer aux coutumes chrétiennes de chaque pays où ils voyageaient ou travaillaient. Mais la maçonnerie existait danis toutes les nations même de religions diverses. Ils sont tenus maintenant d'adhérer à cette religion sur laquelle tous les hommes sont d'accord ( laissant à chaque frère ses propres opinions), c'est–à–dire d'être hommes de bien et loyaux, hommes d'honneur et de probité, quels que soient les noms, religions ou confessions qui aident à les distinguer: car tous s'accordent sur les trois articles de Noé assez pour préserver le ciment de la loge*. Ainsi la maçonnerie est le Centre de l'Union et l'heureux moyen de concilier des personnes qui, autrement, n'auraient pu que rester perpétuellement étrangères » (trad. Ligou). Si l'on s avise que les préceptes noachites enjoignent à l'homme de ne pas servir des idoles, de ne pas proférer des blasphèrnes et de ne pas tuer, on comprendra sans peine que la maçonnerie se présente à l'aube des Lumières* comme l'accusé de réception de cette sécularisation du sacré dont Galilée et Newton furent le vecteur, et de la nouvelle donne en matière politique dont le Royaume- Uni fut la matrice.

Ajoutons cependant, pour conclure, que les Constitutions, dites d'Anderson, ne connurent qu'une médiocre fortune au XVIIIe siècle (quelques rééditions et traductions seulement), furent oubliées au siècle suivant, et qu'il fallut attendre l'initiative de Mgr Jouin, l'actif rédacteur de la Revue internationale des sociétés secrètes. dont le sous–titre signalait qu'elle était un organe « anti-judéo–maçonnique », pour qu'elles connaissent une nouvelle jeunesse et que le frère Maurice Paillard en donne, en 1947, à Londres une nouvelle traduction. Toujours est–il qu'en 1723 elles définissaient le cadre de la maçonnerie dont, peu ou prou, les maçons d`aujourd'hui sont les héritiers.

Ch. P.


CONVENT
Le terme «convent » vient du latin conventus et a d'abord été utilisé dans le sens de « congrès». Depuis la première assemblée générale des ateliers du Grand Orient de France*, convoquée par le prince Murat*, en 1854, le mot désigne les réunions annuelles des députés des areliers de tous grades* puis à partir de 1873, ceux des loges* symboliques Le convent représente le pouvoir législatif et son président dirige l'obédience* durant la vacance de l'exécutif.

Il souvrait, à l'origine, le lundi de la Pente côte et durait généralement une semaine Son fonctionnement et ses attributions évoluèrent sous le Second Empire* puis sous les trois Républiques qui se succèdent Sous la Troisième, il élit puis installe son président et certains officiers. Les délégués se répartissent alors dans des bureaux qui élisent des présidents et des rapporteurs sur diverses questions. Ensuite, la relève est prise par des commissions spécialisées qui examinent tous les sujets à l'ordre du jour avant que l'assemblée générale ne tranche. Parmi les plus importantes et les plus durables, on doit mentionner les commissions des finances du dégrèvement, des récompenses, de la propagande et des questions économiques et sociales. De nos jours certaines des commissions ont disparu (récompense, propagande...), la commission du dégrèvement est devenue « Sanctions, grèves et dégrèvements », et celles de la solidarité, de la laïcité* de la paix et des droits de l'homme figurent parmi les principales. La commission des questions mises à l'étude occupe également un rôle important. D'autres inflexions sont perceptibles: ainsi sous la Troisième République, l'éloge funèbre des maçons décédés et le rapport d'activité du Conseil de l'Ordre sortant n'étaient qu'occasionnels; ce compte rendu le débat et le vote consécutifs sont aujourd'hui très attendus.

Mais des temps sont restés forts durant toutes les époques, comme les élections aux diverses instances, en particulier au Conseil de l'Ordre même si le contexte dans lequel elles se déroulent a lui aussi changé. En effet, avant la Première Guerre mondiale, elles résultaient d'ententes fragiles entre les régions et des listes plus ou moins clandestines circulaient. Aujourd'hui, les régions maçonniques sont officialisées et chacune choisit ses candidats, le convent se contentant presque toujours d'avaliser ces choix. Il procède ensuite à l'installation des élus puis le conseil choisit son président et son bureau.

A.C.


COQ
Le coq préside à la première épreuve du candidat maçon enfermé dans le cabinet de réflexion* l'épreuve de la terre, subie dans les ténèbres, et qui prépare le passage hors de la sphère profane. Le coq est entouré d'une banderole de tissu, sorte d'amulette de protection, où figure l'inscription « Vigilance persévérance " surmontée de la devise V.l.T.R.l.O.L.

La présence de l'oiseau consacré à la fois à Zeus et à Apollon solaire, avant d'etre l'oiseau guérisseur d'Asclepios, est un héritage chargé de symbolique. Elle raz pelle les dernières paroles de Socrate dans le Phédon où celui–ci recommande à Criton de ne pas oublier leur promesse de sacrifier un coq à Asclepios, en reconnaissance de la transformation de Criton qui a admis la mort de son maître dans l'ordre naturel. Elle renvoie également par la banderole, aux reniements de Pierre, accomplis, ainsi qu'il était annoncé, par trois fois avant que le coq ait chanté, sa voix remplissant une fonction prophétique (Job 38, 36: « Qui a mis dans l'ibis la sagesse, donné au coq l'lntelligence ?»). Ces fonctions sont reprises par Rabelais dans Pantagruel où il est rappelé que l'empereur romain Probus pratiquait la divination par le coq et surtout dans Cargantua (1, 10 et 111, 25) quand la voix du coq blanc, image christique, est censée mettre les lions en fuite et chasser les démons. Une autre assimilation liée à la vocation de « passeur» du coq est faite entre le dieu gaulois (gallus le coq ?) Lug, dieu au coq, patron des routes et chemins, et Mercure, protecteur des voyageurs et inventeur des arts.

If ombre de légendes relatives au coq, au coq blanc tout particulièrement, ont trait au pèlerinage de Saint–Jacques–de-Compostelle. L'intervention miraculeuse de l'oiseau–guide de la route céleste de la Voie lactée, parallèle à la route terrestre de Saint–Jacques, fait revenir à la vie des pendus injustement condamnés; le « coq, passeur d'âmes » protège aussi les corps: une plume blanche au chapeau avait valeur de talisman.

L'installation du coq au sommet d'un clocher se faisait selon un rituel compagnonnique; à cette occasion une légende courait de la chute d'un compagnon pris de vertige et de sa mort aux pieds du maître. Ces pratiques étaient souvent accompagnées de conceptions plus savantes; ainsi les pierres de sceau ou intailles dites « abraxas »chez les gnostiques alexandrins comme Basilide, qui portaient un coq avec un corps humain, armé d'un bouclier et d'un fouet associé parfois au Christ, servaient de support de méditation. Un abraxas fameux aurait servi de sceau secret aux templiers.

Mais ce sont les alchimistes qui ont accommodé le plus fréquemment le coq à leurs recettes, comme symbole de la volatilité mercurielle ou de la transforrnation du soufre en vitriol, passé par le feu rouge du coq. Ce symbole est présent dans L'Atalante fugitive (1618) de Michel Maier, associé au; pouvoir solaire, et dans le De lapide philosophico (1625} de Lambsprinck qui porte en couverture l'auteur en pied, vêtu d'une tunique ornée de l'aigle* à deux têtes et d'un coq en écusson central. Cette notion de « pierre philosophale» élixir de longuevie " et « vraie médecine » était liée à la croyance aux vertus d'une autre pierre dite « alectrienne » aux vertus merveilleuses, que les lapidaires médiévaux si tuaient dans les entrailles ou la poitrine du coq. Ce symbole de la lumière enfouie dans les « entrailles » de la terre ou de l'animal annonce le retournement de l'initiation* et le retour à la lumière. La figure du basilic, mi–coq mi–serpent, unit ces deux aspects et prépare le récipiendaire à « laiser ses métaux à la porte du temple».

On retrouve également le coq dans le bijou * de Knight Templar dans la maçonnerie anglaise.

J.–P. L


COR
Contrairement au trombone*, le cor, intégré à la colonne d'harmonie* fut également mis en valeur de façon autonome, grâce, en particulier! aux compositions de deux illustres cornistes.

Louis–François Dauprat (1781–1868) fut professeur adjoint du Conservatoire, instrumentiste de la Chapelle impériale, puis de la Musique particulière de Louis XVIII et Charles X, et enfin. soliste de l'Académie royale de musique. Il fut également compositeur de musique maçonnique. En 18011 il propose son Concerto polir cor pour une cérémonie du Grand Orient*.

Frédéric Duvernoy (1765–1838), compositeur*l corniste célèbre, professeur au Conservatoire, premier corniste de la Chapelle impériale puis royale, collaborateur des Annales maçonniques est le premier représentant d'une grande famille de musiciens francs–maçons. Mernbre de L'Ãge d'Or {1804–1808}, il a composé un Duo pour cor er piano (1805) à l'occasion d'une cérémonie funèbre, qui fut édité par Gaveaux.

Chr. N.


CORNELOUP, Joannis
CORNEL.JPG (22K) (La Clayette, 1888–Garches, 1978) Né dans une famille aisée de tanneurs et de meuniers de Saône–et–Loire, Joannis Corneloup conservera toute sa vie un accent bourguignon prononcé. Son père Jules Isidore (1851–190791 maître tanneur et franc-maçon, épouse en 1880 Antoinette Royer décédée en 1935) qui lui donne 5 enfants. Ruinés en 1897 (la tannerie chimique vient de faire son apparition et la tannerie familiale a été mise trop tard en vente), les Corneloup vont habiter Soissons. Le père devient manutentionnaire dans une entreprise d'abattage, puis servant* de la loge du Grand Orient de France* où son fils est reçu lowton* à 10 ans par Jean–Baptiste Blatin*, Grand Commandeur du Grand Collège des Rit . s. Après avoir obtenu son certificat d études en 1899 et fait des études comme boursier au collège de Sois,sons, i est admis 7e sur 400 candidats à l'école des Arts et Métiers de Lille, à 16 ans. Il en .sort en 1907 et est engagé comme dessinateur au bureau d'études de l'artillerie de la Compagnie des forges et aciéries de la Marine et d'Homécourt avec un salaire mensuel de 180 francs. Reçu maçon à Paris le 10 décembre 1908 à la loge Les Étudiants* il y fait la connaissance du professeur Lapicque qui restera son ami. Quelques mois plus tard, à l'occasion d'un bal rue Cadet, il rencontre une Géorgienne Thamara Korganiantz, et l'épouse en septembre 1909. Il fait ensuite deux ans de service militaire. Chargé d'installer un atelier de réparations mécaniques pour une société de pétroliers, il part à la fin de 1911 pour Balsou où naît sa fille en janvier 1912. Stationné au début de la guerre à l'aérostation militaire d'Épinal, il est envoyé en Roumanie en 1916 et revient en France, après être passé par Moscou (où il a fait la connaissance de Lénine), en 1918.

Le 14 avril 19191 Corneloup reçoit les grades* de compagnon* et de maître*, de vient secrétaire de sa loge* et est élu vénérable* 10 ans plus tard. Il reçoit entre temps le 18° en juillet 19231 le 30° en juin ] 1281 puis les 31°, 32° et 33° de 1932 à 1938. Sur la proposition d'Oswald Wirth*, son maître, dont il a fait la connaissance en 1922, Corneloup est élu en 1936 fellow de la Philalethes Society, fondée en 1928. Il en sera radié en 1955 parce que, lui écrit le nouveau président Alphonse Cerza, « les loges françaises ne sont généralement pas reconnues actuellement»,. Coopté au Grand Collège des Rites après la Libération, le 7 juillet 1945, il en est élu Grand Commandeur en 1958. Mais, écrira–t–il en janvier 19771 « mon influence [y] est limitée parce que je ne sais pas remplir le rôle représentatif indispensable. C'est la raison qui m'a fait abandonner assez rapidement la Grande Commanderie en passant le flambeau à Viaud ». Ce qu'il fait en 1962; il reçoit alors le titre de Grand Commandeur d'honneur ad vitam.

À partir de 1945, il dirige Le Symbolisme revue fondée par Oswald Wirth en 1913; il en transmet la direction à son ami Marius Lepage* en 1955. Après avoir effectué en 1961 la traduction de The Scottish Rite for Scotland (1958) de Robert Strathern Lindsay, il écrit 5 livres maçonniques, publiés entre 1963 (Unirversalisme et franc–maçonnerie) et 1976 (Histoire et causes d'un échec). Il apporte ses observations sur l'évolution de la franc–maçonnerie et décrit les événements maçonniques auxquels il a été mêlé ou dont il a été témoin. Il en profite pour exposer les idées qui ne sont pas toujours accueillies comme elles auraient pu l'être au sein du Grand Orient de France auquel il resta toute sa vie indéfectiblement attaché. Il ne se lasse jamais de répéter que a le Convent de 1877 n'a pas aboli le symbolisme du Grand Architecte de l'Univers*. Il a simplement modifié l'article 1er de la constitution de 1849 [...] ,>. En décembre ]9451 Corneloup publie dans Le Symbolisme un « Plaidoyer pour le Grand Architecte de l'Univers », reproduit dans son second livre, Schibboleth (1965). Dans une lettre de 1975, il ajoute à ce propos: « Contrairement aux affirmations intéressées inlassablement répétées la Bible nia jamais figuré au G. O. de France, au moins au Rite Français. Le Régulateur de 1801 en apporte la preuve. >) La fin de sa vie est assombrie par le décès de sa femme en 1967 et celui de sa fille en 1971.

A. B.


CORRESPONDANCES
(réseaux de)
CORRESP.JPG (152K) La correspondance et ses réseaux, au XVIIIe siècle, tiennent une place essentielle dans la vie des loges* et des obédiences*, et plus largement de l'ensemble des structures de sociabilité des Lumières. Enjeux de pouvoir, sources de rivalité, objets de fierté, ils permettent à la fraternité européenne de se concrétiser par delà l'utopie, en transcendant les bornes trop étroites de l'orient local et de l'espace régional. La correspondance maçonnique entretient l'espoir d'une réunion des francs–maçons dispersés sur les deux hémisphères, elle permet de nouer de fructueux contacts avec des loges soeurs et néanmoins distantes de plusieurs centaines de kilomètres. Elle « rend cohérente une communauté d'individus dispersés et séparés » (Daniel Roche).

Le renouveau de l'étude des structures académiques a permis depuis trois décennies de restituer à leurs réseaux toute leur importance. Toutefois, la correspondance maçonnique et ses réseaux demeurent encore trop méconnus, alors que les francs–maçons ont très tôt perçu leur importance et leur exigence: les réseaux ont besoin d'être entretenus, nourris d'informations régulièrement mises à jour restructurés. Les dossiers des loges suggèrent l'existence de multiples réseaux qui s'ignorent, se recoupent ou sont inter connectés. Ils sont d'autant plus difficiles à isoler et à restituer que les loges hésitent souvent à faire figurer sur leurs tableaux de correspondance leurs liens avec des loges étrangères, alors qu'ils sont avérés, de peur d'inquiéter l'obédience et les autorités. D'autre part, interfèrent avec les réseaux « institutionnels », c'est–à–dire des loges et des obédiences, des réseaux particuliers, qui s'organisent autour de liens professionnels, confessionnels et d'amitiés.

En France, ce sont d'abord les francs–maçons des provinces périphériques qui prennent conscience de l'importance stratégique de la correspondance. Elle leur permet de demeurer en relation avec le centre maçonnique parisien – Grande Loge* puis Grand Orient de France*–, de se rapprocher dés loges de 1 ' intérieur, et de valoriser leur fonction d'intermédiaire culturel entre la franc–maçonnerie française et ses soeurs étrangères. Elle sert de vecteur à la diffusion dans l'Empire, dans les États itaLiens, en Pologne, ou encore en Scandinavie*, des rituels des hauts grades* français dont les francs–maçons continentaux sont friands. En retour, elle permet aux frères français de s'informer des réformes maçonniques qui fleurissent au–delà du Rhin avant qu'elles n'atteignent le royaume. La correspondance, vecteur d'acculturation, véhicule consciemment et inconsciemment des normes et des modèles de comportement. La reconstitution de différents réseaux, ceux de Marseille, Metz, Reims et Palerme par exemple, a montré l'aptitude des loges à saisir les occasions qui s'offrent à elles, de transformer en relation durable une rencontre fortuite, lors d'une tenue*, avec un négociant, un touriste, un étudiant étranger, ou un prisonnier de guerre, par l'échange d'une correspondance régulière. On retrouve les loges les plus dynamiques dans la plupart des réseaux de rang européen. Elles jouent ainsi le rôle de véritables synapses du corps maçonnique. Le réseau de Saint–Jean d'Écosse de Palerme en Sicile, coïncide presque parfaitement avec celui de la loge Saint–Jean de Metz ! La couverture des principaux axes commerciaux, des grandes places financières et des foires, celle de Beaucaire notamment, permet aux négociants suisses, nombreux à Palermer de se retrouver partout en terrain de connaissance. Aux touristes de haut rang et aux étudiants effectuant leur Grand Tour* à travers l'Europe aux musiciens et aux artistes, les réseaux de correspondances permettent d'activer à distance des réseaux de solidarité, avant même que les voyageurs présentent leur certificat maçonnique et se fassent reconnaître comme maçons réguliers. Les loges sont prévenues de leur arrivée prochaine et les inquiétudes liées au déplacement en terre étrangère diminuent. La correspondance et le certificat maçonnique représentent une solide assurance contre les aléas du séjour à l'étranger et sont largement à l'origine du succès de la franc–maçonnerie auprès des étrangers.

CORRES2.JPG (53K) Après le temps des pionniers, comme Meunier de Précourt* une véritable soif de commerce épistolaire s'empare des francs–maçons européens à partir des années 1770. Plusieurs raisons permettent d'expliquer cette floraison de réseaux de correspondances.

Mettre sur pied son propre réseau de correspondances, c'est gagner en autonomie et passer d'une position de périphérie à celle de centre dynamique; c'est échapper à la source d'information unique contrôlée par l'obédience maçonnique et ébaucher les contours d'un espace maçonnique de rechange, au cas où la rupture avec l'obédience nationale serait consommée. L'orient de Reims fournit un exemple intéressant. Lorsqu'une fraction de La triple Union tente de se faire constituer par la Grande Loge de France sous le titre distinctif de la Parfaite Union, la majorité des frères fait avorter le projet. Les dissidents mettent a]ors à profit la correspondance amicale qu'ils avaient nouée par le passé avec une loge francophone de Berlin, Royale York de l'Ametié pour lui demander et en obtenir des constitutions allemandes. Pour les figures de proue de la maçonnerie européenne, comme Willermoz* ou Savalette de Langes*, la souplesse du réseau particulier qui s'articule avec le réseau institutionnel, sans se confondre avec lui, accroît l'audience de leurs systèmes respectifs, permet de recruter de nouveaux sympathisants, de collecter discrètement une masse d'informations, de prévenir manoeuvres et oppositions. Par leur souplesse, ces réseaux particuliers peuvent être aisément réorganisés en fonction d'exigences nouvelles, ou d'évolutions à prendre en compte: le tropisme germano–scandinave du réseau de Savalette de Langes s'accentue incontestablement au cours des années 1780, au fur et à mesure que le centre de gravité de la franc maçonnerie européenne glisse vers l'intérieur du continent.

Cependant, dans leur enthousiasme, certains francs–maçons qui se lancent dans l'aventure de la correspondance avec l'étranger sous–estiment manifestement les contraintes, les aléas et surtout le coût de tels réseaux de « télé–communication ». Car, si flatteuse et intéressante que soit une correspondance avec l'étranger, son entretien est délicat, sa fréquence aléatoire et sa durée de vie très inégale. La traduction des lettres pose tout d'abord un problème sérieux aux francs maçons des Lumières et représente un incontestable obstacle à la réunion rêvée par les pères fondateurs. Le problème peut même se poser à deux loges Géographiquement proches, ainsi entre loges romandes et alémaniques en Suisse*. Mais le principal obstacle au maintien d'une correspondance régulière en est bien évidemment le coût.

Devant l'ampleur du phénomène, les obédiences ont très rapidement compris qu'elles ne pouvaient laisser se développer des réseaux indépendants sans risquer de perdre toute autorité sur leur ressort. Inversement, une correspondance maîtrisée, des flux épistolaires canalisés, représentent la meilleure courroie de transmission entre le centre, dont les officiers, peu nombreux, partent trop rarement en tournée d'inspection, et les ateliers locaux. Maîtriser les réseaux de correspondances, c'est du même coup contrôler l'lnformation maçonnique. La laisser vagabonder au gré des loges et des francs–maçons provinciaux, c'est risquer de voir des systèmes et des obédiences concurrentes s'introduire dans ses réseaux, et bientôt venir butiner sur un espace que les obédiences qualifient déjà de national, pour mieux se le réserver. Significativement, la Chambre des Provinces, véritable bureau de correspondances, occupe une place essentielle dans l'organigramme du Grand Orient de France. Elle adresse aux loges les circulaires de l'obédience, leurs lettres de constitution; en retour, elle reçoit leurs tableaux de membres ainsi que les textes des discours prononcés en loge. Minutieusement archivées et annotées, ces correspondances permettent aux dirigeants de l'Ordre de se tenir régulièrement informés de la vie des loges. Mais le Grand Orient ne saurait en la matière se contenter d'une source unique, de surcroît partiale, puisqu'elle provient de l'atelier lui–même. L'entretien d'une correspondance parallèle avec les ateliers voisins, et le plus souvent.. rivaux, permet alors aux officiers de la Chambre des Provinces de se faire une idée assez exacte de situations locales qu'ils auraient bien du mal à connaître autrement, une fois le départ fait entre l'exagération, la mauvaise foi manifeste et les informations sures. Le fait que le Grand Orient désigne les loges de son obédience par l'expression « loges de sa correspondance » révèle d'ailleurs l'importance de la correspondance comme moyen de cohésion d'un corps maçonnique composé de plusieurs centaines de loges.

Mais le Grand Orient de France n'entend pas se limiter au contrôle de la correspondance interne au royaume. Il tente de convaincre l'ensemble des francs–macons européens que la raison et le bon sens dictent de réserver aux obédiences La correspondance avec l'étranger. Au contraire, les loges locales auraient tout intérêt à se limiter à un dialogue exclusif avec leur obédience nationale. C'est le conseil qu'il donne à la loge du Parfait .Silence, orient de Varsovie: « Une correspondance avec l'étranger entraîne toujours de graves inconvénients. La distance des lieux occasionne des retards dangereux, et il peut même arriver que toute communication soit interrompue alors une loge reste isolée et languit, privée des avis et des secours dont elle à besoin. Au contraire, une correspondance avec un Grand Orient national n'est exposée à aucun danger et produit les plus grands avantages.» Preuve qu'au XVIIIe siècle déjà les réseaux de correspondances et d'informations sont des enjeux de pouvoir et de liberté... En se passionnant pour eux, les francs–maçons des Lumières retrouvent les préoccupations des républicains des Lettres soucieux de mettre sur pied des bureaux de correspondances indépendants du contrôle de l'État et de toute censure préalable.

P.–Y. B.


COULEURS
La symbolique des couleurs occupe une place importante dans l'organisation du champ des significations de la maçonnerie mais à la suite de la symbolique religieuse dont elle a hérité pour une bonne part, ses eaux sont mêlées d'affluents divers et la constitution d'un ensemble fondé sur une typologie unique et une articulation générale des sens est impossible. L'alchimie*, la Kabbale*, un pythagorisme revisité, la découverte de l'Egypte*, de l'Orient, puis des peuples « primitifs », ont compliqué le coloriage biblique qui intervient dans la constitution des rituels. Goblet d'AIviella* tenta de démêler les sources (La Migration des symboles, Paris, 1891). Les manuels n'ont pas manqué, depuis le milieu du XlXe siècle principalement; les plus récents s'attachent surtout à décrire des classifications.

Les trois premiers grades* (apprenti*, compagnon* et maître*), dans le système de l'écossisme, sont groupés sous le nom de «maçonnerie bleue* », en rapport, semble–t–il, avec le caractère cosmique du temple* à ces grades où le décor est bleu; dans les hauts grades* les chapitres Rose–Croix* sont dits « maçonnerie rouge* »; les aréopages des Kadosh*, « maçonnerie noire »; et le Suprême Conseil, « maçonnerie blanche »–les temples sont tendus à ces couleurs ou parfois en vert. Cependant, l'utilisation de ces couleurs dépasse la place qui leur est attribuée par la hiérarchie des grades Ainsi, le blanc quasi pontifical du sommet de la hiérarchie est aussi la couleur des tabliers* d'apprenti et de compagnon et « une tenue blanche » désigne une réunion ouverte aux profanes. Le candidat à l'initiation* est enfermé dans le cabinet de réflexion*, tendu de noir. Au Rite Écossais Rectifié*, les décors sont verts aux trois premiers grades. Les tabliers de maître sont bordés de bleu à ce rite alors que les lisières sont rouges au Rite Écossais Ancien et Accepté*. Les cordons et sautoirs* que les maçons portent autour du cou aux différents rites et degrés sont aux couleurs correspondantes.

Parfois, les couleurs sont associées à un langage crypté qui pouvait être utilisé. Les réponses faites par l'apprenti interroge dans La Maçonnerie disséquée de S Prichard (1730) en témoignent: « Avez-vous vu votre maître aujourd'hui? – Oui. – Comment était–il vêtu ? – D'une veste jaune et d'une culotte bleue » (la première désignant le compas* et la seconde, les pointes d'acier de celui–ci); « la couleur» figurait de façon inattendue en tête de la liste des choses apprises par « l'opératif*». Mais la discontinuité est complète dans les textes et l'on pouvait lire sans étonnement, dans Les Plus Secrets Mystères des hauts grades de la maçonnerie dévoilés ou le vrai Rose Croix, 1878): « La loge qui représente le cabinet de Salomon doit être proprement décorée. La tapisserie peut être de plusieurs couleurs. »

Une dynamique propre et une cohérence de sens existent cependant à l'intérieur de ces ensembles symboliques. La présence de l'Ancien Testament est particulièrement sensible, avec la construction du temple par Salomon (1 Rois, chap. 5-6; 2 Chroniques, chap. 1–5), véritable mythe fondateur des bâtisseurs, précédée par les prescriptions relatives à l'édification du sanctuaire (la tente), à son mobilier et à la tenue de ses ministres (Exode 25–29); le rouge et l'or prédominent, liés à la lumière (avec le blanc) et au sang du sacrifice. En ce qui concerne les grades « christiques », la correspondance entre le sacrifice de Moïse scellant l'alliance dans le sang (Exode, 24, 6–8) et « la laine écarlate » avec Jésus revêtu d'une « chlamyde écarlate » (Épître de Paul aux Hébreux, 9, 191–20) peut être appliquée: le pélican* déchire ses entrailles sur le bijou de Rose–Croix.

Des couleurs sont encore associées à l'orientation du temple liant la déambulation rituelle à la marche du soleil : vert à l'orient, jaune au midi, rouge à l'occident, noir au nord, mais l'organisation change lorsque une cinquième couleur (jaune et blanc) intervient et la séparation est alors inévitable dans le jeu de renvoi symbolique entre le soleil* et la lune*.

La symbolique alchimique meuble le cabinet de réflexion du noir de la matière première primordiale. L'oeuvre au noir des alchimistes, de la décomposition avant la transmutation des corps et des âmes, se retrouve dans le décor de la chambre du milieu* où le futur maître assimilé à Hiram* mort, est découvert et relevé par ses pairs. Au noir correspond donc la terre, et, pour les autres éléments, l'eau au vert, le bLeu à l'air et le rouge au feu; cependant la cohérence des assimilations opérées avec les sept métaux–planètes et les saisons est plus aléatoire et ne correspond pas à celles de Jules Boucher (I,e Symbolisme maçonnique, 1948).

Les « teintures » blanche et rouge, marquant les étapes successives de l'oeuvre, se prêtaient également à la hiérarchie des grades en liaison avec le texte de l'Apocalypse où les fléaux préparant la descente de la Jérusalem* céleste, pierre philosophale par excellence, sont qualifiés par des couleurs: chevaux blanc rouge, noir et verdâtre prostituée de Babylone « assise sur la bête écarlate» (Apocalypse, 6 et 17)... Les anges qui arpentent et mesurent, la canne* ou le cordeau à la main, c'est–à–dire dans le rôle de médiateur entre le Grand Architecte* et le maçon, sont décrits, au long du texte biblique, au milieu d'une grande lumière, portant une robe d'une blancheur éblouissante.

J.–P. L.


COURT DE CÉBELIN, Antoine
(Genéve, 1719–Franconville, 1784) Né d'un « prédicant du Désert », réfugié après avoir restauré le protestantisme* en France, Court de Gébelin est consacré ministre du Saint–Évangile en 1754 et enseigne la théologie à l'Académie de Lausanne. Son père mort, il vient à Paris et participe au synode de 1763. Sans abandonner la défense de sa religion puis qu'il aide à préparer l'édit de Tolérance, il renonce au ministère pastoral. Et le voilà Franc–maçon pseudo–rationaliste, du moins à en juger par ses appartenances: Saint–Jean d'Écosse du Contrat Social et surtout Les Neuf Soeurs*. Membre des Amis Réunis* (à partir de 1778) dont la 12e classe abrite les Philaléthes* Court de Gébelin, réformé nommé censeur royal, semble fraterniser avec les philosophistes Lalande* et Bailly ou avec les illuminés, comme Savalette de Langes*, mais, en 1784 il est exclu des Philaléthes au motif d'inassiduité. Il reste président du Musée* de Paris, issu en 1781 de la Société Apollonienne fondée en 1780 par Les Neuf Soeurs* comme il l'avait été presque sans interruption depuis le commencement de cette dernière société. A peine vient–il de publier une Lettre à Mesner sur le magnétisme animal qui l'a guéri d'une maladie des reins, qu'il meurt d'une rechute, le 12 mai.

Court de Gébelin fut Élu coën*. La date approximative de sa réception se situe en mai 1781; lié à Willermoz*, Tavannes et son célèbre coreligionnaire Pierre de .Joux, dont il sollicitera la collaboration littéraire à Saint–Martin* aussi qui l'aimera il fraye avec l'illuminisme* radical. Les grands thèmes entrepris au XVIIIe siècle paraissent ambigus tant dans leur interprétation contre–illuministe que dans leur interprétation illuministe. Cette contradiction déchire la vie de Court de Gébelin. Elle est sous jacente à l'ambiguïté un peu dissimulée et de son livre et de la pensée qu`il trahit.

Le Monde primitif analysé et comparé avec ~e monde moderne s'étend sur 30 volumes. Neuf ont paru (1773–17829: du génie allégorique et des allégories (1), de La grammaire universelle et comparative (II), de l'origine du langage et de l'écriture (III), de l'histoire civile, religieuse et allégorique du calendrier ou almanach (IV), de l'étymologie française m et latine (VI–VII), de l'histoire, des blasons, monnaies, jeux, des voyages des Phéniciens autour du monde, des langues américaines (VIII), de l'étymologie grecque (IX); en supplément, un Plan général ( 1783). L'allégorie rigoureusement expliquée est la clef et la base de l'Antiquité. « Le génie allégorique " exquise l'histoire et le développement des emblèmes et des symboles découvre les vérités. Ainsi, au volume VIII, du tarot, dont les 2:? arcanes majeurs seraient des feuillets lisibles du livre égyptien de Thot. En linguistique, en mythologie, en histoire des religions, et dans leur étude comparative, le Monde primitif marque une étape majeure. Mais queL en est le sens intrinsèque ? Il est. lui aussi, peu cohérent, à l'image d'une vie qu'il a absorbée et d'une pensée dont l'ouvrage suit et confirme l'armature en même temps que sa fragilité.

Court recherche dans le monde primitif, précisément dans sa langue, les secrets de la nature et l'exploration des origines lui permet de dessiner une utopie universelle: grammaire unique, ordre social unique, religion unique. Les hiéroglyphes, objet privilégié du déchiffrement général, conduisent–ils à l'Égypte* de Cagliostro* ou à celle de Dupais? Et, par conséquent, la religion unique est–elle celle de Martines de Pasqually* ou bien celle de Voltaire*r ses deux frères en deux loges * antinomiques ?

Court prône une religion naturelle, mais il n'imagine pas de se passer d'une révélation. « La vérité est de tous pays et de toute nation » est–ce indifférentisme, latitudinarisme ou cette unique religion dont le bienheureux Augustin disait qu'elle existait depuis le début du monde, avant de s'appeler chrétienne après l'lncarnation ? La société idéale estelle celle des Physiocrates, que Court fréquentait, ou la « démocratie » du Philosophe inconnu ?

Pour Court de Gébelin, les consonnes étaient l'image des idées et les voyelles celle des sensations. Saint–Martin le convainquit du contraire et Court se plia avec douceur et docilité. De même, Saint–Martin le corrigea, a propos des signes et de la langue primitive: « J'ai su de lui–même que par la suite ses idées avaient pris une autre direction, comme on s'en aperçoit dans ses derniers volumes. Il m'a même avoué plusieurs fois que mes conversations avec lui avaient un peu contribué à sa nouvelle manière de voir. » Voilà en bref, l'homme, la pensée, l'oeuvre, au supplice d'une théorie complète du monde écartelée.

R. A.


COUSTOS–VILLEROY
COUSTOS.JPG (99K) Ironie du sort, la perquisition de police qui mit fin en juillet 1737 à l'activité de cette loge*–qui porte le nom de ses deux vénérables, le lapidaire Jean Coustos et, à partir du 7 février 1737, le duc de Villeroy–a permis de sauvegarder un ensemble de documents exceptionnel, qui éclaire d'un jour nouveau l'existence d'une des premières loges parisiennes. Parmi les documents saisis figure le livre d'architecture de la loge pour la période du 18 décembre 1736 au 17 juillet 1737. Son fondateur, Jean Coustos, né à Berne en 1685, est le représentant type de ces huguenots du Refuge, modestes artisans d'art, qui ont fui le royaume du Très Chrétien pour ne pas renier leur foi réformée. Séjournant à Paris de 1736 à 1741, après avoir passé 22 ans en Angleterre–il apparaît sur les listes de la Grande Loge d'Angleterre en 1730 et 1732–, Coustos travaille comme lapidaire aux galeries du Louvre. La loge dont il tient le maillet répond manifestement à une demande très vive de la part des milieux diplomatiques et aristocratiques en terme de sociabilité, puisque dès les premières tenues* on est frappé de constater le. caractère mondain et cosmopolite du recrutement, qui tranche sur les origines de son fondateur. De même, il faut bien se garder d'accoler l'étiquette « hanovrien » ou « anglais » à l'atelier. l'étude montre la complexité de l'Ordre* et des choix de ses membres dès l'origine. En effet, l'élément britannique est loin de dominer l'atelier face à la composante germano–scandinave–8 membres contre 24. On remarquera, d'autre part qu'à la différence de Saint–Thomas II* fondée par un autre artisan d'art, Thomas Pierre Le Breton, et qui attire un important contingent aristocratique français, Coustos–Villeroy ne s'est pas fait constituer par la Grande Loge de Londres. Malgré des relations conflictuelles, elle reconnaît le très catholique jacobite comte Darwentwater comme « Grand Maître des Loges de France " (12 mars 1737).

Si l'existence de la loge Coustos–Villeroy est brève, elle se situe à une période d'inflexions décisives pour l'Ordre maçonnique. Son registre contient une allusion critique à des innovations de la loge du Grand Maître « tenir l'épée à la main dans les réceptions N}, dans lesquelles on a pu voir les prémices des hauts grades*. Le même livre d'architecture livre les noms de francs–macons polonais, scandinaves et russes qui devaient bientôt relayer le flambeau maçonnique jusqu'aux confins orientales de l'Europe, promouvoir l'influence maçonnique française et accentuer la continentalisation de l'Ordre.

P.–Y B.


CRÂNE
CRANE.JPG (36K) Un crâne est toujours présent dans le cabinet de réflexion* mais également au revers du tablier* (où sont peints crânes et tibias, pour les tenues* de deuil} et sur le tableau* de la loge de maître*. Ainsi, la loge au 3° du Rite Écossais est décorée d'une tenture noire parsemée de têtes de morts et d'os en sautoir* Pendant la cérémonie d'élévation à la maîtrise, le Rite Français* dis pose aussi un cénotaphe couvert d'un drap noir, contenant la représentation au moins d'un crâne. C'est à cet emblème macabre, serti sur une bague, que Pierre Bézoukov, l'un des héros de Guerre et Paix, reconnaît pour franc–maçon son interlocuteur martiniste. Le crâne symbolise toujours, avec la faux* et le sablier*, la brièveté de la vie, et lorsque Pierre Bézoukov entreprend de se faire initier, il peut contempler, dans le cabinet de réflexion «un crâne humain avec les cavités, des orbites et les dents » et « un cercueil plein d'ossements humains ». Au terme de cette initiation*, l'orateur rappelle alors que la mort est aimable et qu'il convient de la considérer comme délivrance, avant repos et récompenses.

Cette orientation mystique de la maçonnerie correspond à une interprétation particulière des symboles de la mort. Celle–ci est proche de celle montrée par le geste d'Hamlet, se saisissant au bord d'une tombe du crâne d'un fou pour méditer sur l'inconsistance de la vie et la légèreté des hommes. En effet « vain » ou « vanité » ne signifient–ils pas, originellement, vide ( «vanus ») ? Cette pensée de la vanité des biens du monde a largement inspiré la peinture classique, des XVIe et XVIIe siècles, et une Vanité n'est autre alors qu'un tableau déclinant sur un mode symbolique (avec crâne, miroir, sablier, ossements, vers, mouches et chandelle) l'insignifiance de la vie, la toute puissance de la mort. À y regarder de plus près, le « message » n'est jamais aussi simple S'il est clair que la Vanité de Philippe de Champagne {Le Mans, musée Tessé) présente, dans une intention édifiante, un crâne aux orbites vides, il n'en est pas moins vrai que nombre de Vanités sont profondément ambiguës, disant tout à la fois l'inconsistance de la vie et l'urgence à en jouir.,ans différer. Elles rappellent que la mort réduit tout à néant mais que La conscience douloureuse dé cette fin peut donner u–. sens à l'existence et l'orienter vers les arts. les sciences et les plaisirs encore présents Les tenues funèbres, qui commémorent le souvenir de francs–maçons disparus, commencent dans l'affliction et la tristesse, mais elles s'achèvent touXours par des mots d'espérance. La batterie* de deuil {« Gémissons | ») est toujours suivie d'une batterie d'allégresse (« Espérons ! »).

Vl. B.


CROIX
Elle a pris différentes formes suivant les époques, les cultures et les civilisations, l'archétype de la croix semblant être le tau*, représenté par la lettre T (majuscule)–son nom provenant de la lettre grecque.

Autre croix, le swastika* est le symbole du mouvement de rotation autour d'un centre ou d'un axe, symbole qui est surtout en relation avec Le feu, donc avec la lumière et la vie. Représentation du Principe, elle met en mouvement l'espace et le Temps. Si dans le christianisme la croix est le symbole de 1' instrument du supplice par lequel le Christ rédempteur a versé son sang pour sauver le monde, en franc–maçonnerie, le symbole de la croix ne se rencontre que dans les hauts grades*, en particulier les hauts grades chevaleresques (croix templiére, croix de Malte...). La croix de Saint–André est en forme d'X. Elle figure dans tous les grades représentant le patron de l'Écosse*, en particulier au grade de Maître Écossais de Saint–André, 4° du Rite écossais Rectifié*, et au 29° du Rite Écossais Ancien et Accepté*. Le tablier* de Chevalier Rose Croix (18° de ce rite) perte aussi une croix au centre de laquelle figure une rose.

J.–Fr. B.


CRUCHE
Elle est présente dans le cabinet de réflexion*, lors de certains rites*. On dispose devant le candidat, sur une table, un flambeau allumé, un crâne* humain, trois coupelles contenant mercure*, sel*, soufre*, et une cruche d'eau.

Durant la cérémonie d'initiation*, on utilise également l'eau pure, mise en carafe, et le flacon (ou calice) d'amertume On propose parfois au néophyte, au moment de la prestation de serment*, trois coupes qui permettent trois types de libations. La première contient l'eau sucrée qui se boit aisément. La deuxième surprend; son eau est amère ou salée: le travail sera difficile, rempli de surprises de difficultés, mais cette sensation désagréable est apaisée par la troisième libation, d'eau pure et fraîche qui désaltère. Dans des cérémonies d'adoption, on présente sur une table un petit vase à demi rempli d'une eau dans laquelle les mains de l'enfant seront trempées pour marquer sa pureté morale.

La coupe et la cruche sont là pour étancher une soif pour satisfaire une volonté de savoir et de comprendre. Une des leçons de sagesse propre à la philosophie antique consistait à ne pas écarter avec dédain les plaisirs simples et naturels: Épicure ne rappelait–il pas à son disciple que si le principe d'une vie heureuse réside dans le plaisir, « du pain d'orge et de l'eau procurent le plus vif plaisir à celui qui les porte à sa bouche après en avoir senti la privation » ?

Vl. B.


CUBA
I. Panorama historique
II. L'historiographie
Avec Saint–Domingue Cuba est l'un des principaux points d'appui du développement de la franc–maçonnerie aux Antilles. Son étude présente un intérêt majeur tant sur le plan de la richesse institutionnelle et humaine que sur celui de l'historiographie qui s'est développée dans ce morceau de l'empire espagnol*.


1. Panorama historique
Les origines lointaines de la maçonnerie cubaine remonteraient au XVIII siècle après l'invasion de La Havane par les Anglais (1762) Au sein des forces d`invasion travaillait une loge militaire, San Juan n° 218, qui attribua quelques diplômes mais qui ne devait guère influer audelà des cercles militaires. Quant aux ateliers formés par les Français venus d'Haïti, il semble qu'ils n'aient guère eu de survivance.

C'est en fait dans le premier quart du XIXe siècle que les faits s'éclaircissent avec la formation de la loge* Templo de las Virtudes Teologales qui reçoit des lettres patentes de la Grande Loge de Pennsylvanie, puis celle d'ateliers dépendant de la Grande Loge de Louisiane*, de la Grande Loge Espagnole des Francs–Maçons Acceptés du Rite d'York (vers 1820) et du Gran Oriente Territorial Americano en mai 1821. En 1822, les deux dernières obédiences, fusionnent en une Gran Logia Espanola del Rito de York (jusqu'en 1828) et, pendant le trienno libéral (18201823), plus de 30 loges rattachées à la maçonnerie nord–américaine fonctionneraient à Cuba (35 selon E. Garrigo Roca jusqu'en 1828), mais le fait n'est pas confirmé par les sources documentaires. Cette croissance suscite des tensions internes qui prennent une tournure nouvelle quand commence le soulèvement indépendantiste. C'est véritablement entre 1855 et 1880 que la maçonnerie gagne du terrain. En 1857, à Santiago de Cuba, les loges Fraternidad et Perseverancia sont fondées et, en 1859, Andres Cassard délégué du Suprême Conseil de Charleston* , fonde El Supremo Consejo de Colon para Cuba y demas islas de las Indias occidentales (qui s'installe en 1882 à La Havane). La même année, à Santiago, la loge San Andres constitue, avec les deux ateliers cités, la Gran LogEa de Colon. De 1859 au soulèvement séparatiste de Céspedes en 1868, le développement de la maçonnerie est remarquable. En revanche, la formation d'un Cran Oriente de Cuba y lus Antillas par Antonio de Castro (1862) entraîne une crise. Finalement il semble que, au début de 1880, 18 ateliers appartiennent à la Grande Loge de l'îlle de Cuba et 28 à la Grande Loge de Colon dont les sièges respectifs sont La Havane et Santiago de Cuba. Elles s'unissent en janvier 1880 alors pour constituer la Grande Loge Unie de Colon et de l'îlle de Cuba (Grande Logia unida de Colon e isla de Cuba), un organisme reconnu par la Grande Loge Unie d'Angleterre* et par diverses autres puissances maçonniques, dont le premier Grand Maître fut Antonio Govin. Elle reprend le nom de Grande Loge de l'île de Cuba (Grande Logia de isla de Cuba) au début des années 1890. De son côté, le Suprême Conseil obtient à son tour l'appui du Congrès maçonnique de Lausanne, en 1875, les 22 conseils existant décidant de se fédérer et de réformer quelques aspects du Rite Écossais Ancien et Accepté*. Par ces processus successifs, la maçonnerie cubaine obtient ainsi son indépendance de l'Espagne*. La maçonnerie cubaine rassemble 44 ateliers et 2 793 membres et les obédiences espagnoles ont également une représentation maçonnique importante à Cuba. par leurs organismes provinciaux. Elles rassemblent plus de 200 loges, ce qui en fait le second centre après l'Andalousie. Vers 1880, Cuba aurait compté en tout 8 000 maçons dont 5 000 dépendaient des organisations maçonniques de la péninsule. Beaucoup de maçons sont des créoles qui firent preuve d'un grand « espagnolisme ».


II. L'historiographie
Sur le plan historiographique, l'étude de la franc–maçonnerie cubaine souffre du fait que celle–ci a été menée en grande partie par des francs–maçons sans formation scientifique dont le but était d'insérer la Grande Loge de Colon et la Grande Loge Unie comme éléments constitutifs de la nation cubaine. Cette tendance peut s'appuyer en outre sur le cadre conceptuel offert par Jorge Manach, qui pense l'évolution historique cubaine autour des principes antagonistes de « singularisme» et de « pluralisme ». Le « singularisme », incarné par la métropole et l'Église catholique et dont la tendance profonde serait la propension à combattre tout danger contre sa prédominance, a pour principes constitutifs l'intolérance, le fanatisme et la tyrannie, alors que le « pluralisme », symbole de tolérance, pose le débat scientifique comme fondement du progrès. Or, les racines de la seconde tendance sont à rechercher du côté du rôle joué par le comte de Albemarle, introducteur à Cuba ce la Réforme anglaise, plus tard du côté des émigrés français d'Haïti dans les premières années du XIXe siècle... et de l'établissement de la première loge cubaine El Templo de las Virtudes Teologales. La franc–maçonnerie serait donc à Cuba le socle d'une idéologie émancipatrice qui se manifesterait dans les conspirations de Roman de La Luz, de la société Soles y rayos de Bolivar* (Soleils et éclairs), et de la Gran Logia de! Aguila negra (Grande Loge de l'Aigle Noir}. La tradition historiographique cubaine voit dans toutes ces sociétés la main de la maçonnerie bien qu'elles ne soient que des groupes révolutionnaires parfois soutenus par les gouvernements de l'Amérique insurgée pour créer un malaise sur l'avant–dernier front espagnol du Nouveau Monde. Cette vision a atteint son apogée dans la manière dont est considérée, en 1862, la création du Cran Oriente de Cuba y las Antillas (Grand Orient de Cuba et des Antilles). Les maçonnologues cubains l'ont en effet présentée comme un instrument culturel et philosophique devant par essence exalter l'idéal d'indépendance nationale.

Malgré la désagrégation du Gran Oriente de Castro (1868) et le soulèvement de Céspedes, la maçonnerie aurait été la force motrice du processus et se serait même déplacée dans les maquis pour, « entre deux combats », mener à bien ses travaux ! La disparition du Gran Oriente de Cuba y las Antillas et la rare présence de loges dans la zone insurgée sont pourtant des limites observables que les maçonnologues cubains ont peu considérées.

Si l'un d'entre eux, Fernandez Callejas, reconnaît que les liens entre la maçonnerie et la conspiration ne sont pas clairement prouvés, il attribue quand même aux loges un rôle dans l'émancipation des Antilles avant le premier affrontement. D'autres soutiennent que les maçons conspirèrent hors de leurs ateliers pour ne pas enfreindre les pratiques orthodoxes qui interdisent de traiter des questions politiques et religieuses. L'historiographie rnaçonnique cubaine a beaucoup moins applique ce schéma d'analyse à la guerre d'indépendance (1895–1898), sinon pour rappeler l'affiliation réelle ou incertaine des leaders du mouvement comme José Marti*. Eduardo Torres–Cuevas explique que ce furent les structures organisatrices des partis politiques, en particulier le Parti révolutionnaire cubain, qui soutinrent cette phase du conflit. L'un des effets de l'ensemble de cette tradition historiographique reste d'avoir induit des erreurs. L'une des principales est celle qui consiste à attribuer en 1891 à Antonio Govin, le Grand Maître de la Gran Logia Unida, l'abandon du courant autonomiste au profit d'une ligne insurrectionnelle Sa démission à la tête de l'institution maçonnique s'expliquerait alors par le fiait qu'il ne voulait pas compromettre l' institution maçonnique dans son entreprise. Or, on sait qu'il revint des États–Unis pour accepter d'être ministre de l'lntérieur et de la Justice d'un gouvernement d'autonomie octroyé par les Espagnols pour freiner le mécontentement des rebelles et tenter de trouver un appui auprès des classes dominantes En outre, Torres–Cuevas fait également remarquer que la maçonnerie de la Gran Logia de Colon cubaine fut fortement touchée par la discrimination raciale sous l'influence de la maçonnerie nord–américaine .

M. de P. S.