ENCYCLOPÉDIE DE LA FRANC-MAÇONNERIE


01 type_Document_Title_here BREST DE LA CHAUSSEE HENRI JOSEPH
BRISSON HENRI
BROUSSE, PAUL
BRUNSWICK
BUONARROTI, FILIPPO
BURKE, EDMUND
BURNS, ROBERT

BREST DE LA CHAUSSEE
Henri Joseph (Paris, 1733– ?) Directeur de la Loterie royale et militaire, maître de la loge l'Exactitude depuis mai 1761, Henri Joseph Brest de La Chaussée devient la même année Grand Garde des Sceaux Timbre et Archives de la Grande Loge de France* et du Conseil des Chevaliers d'Orient. Un fonctionnaire moyen et honnête qui trace ainsi son autoportrait: " Je jouis d'un état décent, ma fortune n'est pas brillante, mais au moins elle me met au–dessus du besoin; jamais je n'ai été dans le cas de mériter le plus léger reproche dans mon honneur; ma réputation est intacte."

On sait que plusieurs anciens membres de la Grande Loge du plumassier Peny, nommés officiers " lors de la réunion " de la Grande Loge, n'avaient pas retrouvé leurs postes aux élections du 27 décembre 1765, qu'ils avaient exprimé leur mécontentement par des libellés et que, pour cette raison, certains avaient été exclus en 1766. Après la suspension imposée le 2I février 1767 par l'autorité royale ces exclus tentent de faire croire aux loges de province qu'avec l'accord du Substitut Général Chaillon de Jonville, ils ont de nouveau assemblé la Grande Loge. En octobre 1769, Chaillon et La Chaussée adressent aux loges de province une double lettre circulaire dénonçant l'inexactitude de ces allégations, La Chaussée ajoutant: << par la pièce ci- jointe vous verrez que plusieurs de ces f. qui ont l'audace de s'annoncer comme G. L. ont été par la G. L. même, déclarés indignes de la qualité de Maître de Loge et du nom de maçon >>. Or, apres la mort du comte de Clermont, ces frères exclus sont parvenus à obtenir que le duc de Chartres (Orléans*) accepte la grande maîtrise, la Grande Loge convoquée par eux s'est réunie le 24 juin 1771, un procès–verbal antidaté au 2I juin 1771 a été rédigé et un accord conclu le 17 octobre suivant * qui impose un silence absolu sur les plaintes & recherches réciproques sur tout ce qui s'était passe précédemment >>, ce qui, comme l'écrira La Chaussée, signifiait respecter un silence éternel sur tout ce qui pouvait être relatif aux décrets rendus contre les FF. exclus >>.

Cet accord est rompu lors de la réunion de la Grande Loge du 18 avril 1772, au cours de laquelle La Chaussée est accusé de détournement de fonds. Condamné par la Grande Loge le 9 octobre, ne parvenant pas à faire appel de sa condamnation, La Chaussée se résout à écrire un "Mémoire justificatif" le fait imprimer et le publie dans les premiers jours de mars 1773. Ainsi qu'il l'expliquera lors de la dernière assemblée de la Grande Loge Nationale, le 1er septembre 1773: " J'avois à démontrer que ce jugement étoit enfanté par une cabale monstrueuse; il falloit que je découvrisse les causes, les progrès et les ressorts cachés de cette cabale; ils étoient liés aux détails historiques de la Grande Loge. Le Mémoire justificatif ayant été distribué aux représentants de la Grande Loge Nationale de France, celle–ci nomme le 11 mars une commission << pour juger des faits relatifs à ce mémoire et énonces en celui qui se réunit pendant cinq mois, entend des témoins, et rend le 13 août 1773 un "Jugement définitif ", en dernier ressort, imprimé et adressé à toutes les loges du royaume. Passage clé de ce Jugement: << nous avons déclaré téméraires & indiscrètes, les qualifications par lui données au Jugement du 9 octobre 1772, & aux Juges qui l'ont rendu. Déclarons pareillement téméraires & indiscrètes les articulations contenues audit Mémoire, au sujet des avènements survenus dans l'ancienne Grande Loge, & concernant les Membres qui la composent; pour raison de quoi, ordonnons que ledit Mémoire soit & demeurera supprime. >> Autrement dit: La Chaussée n'a pas respecté la raison d'Etat, mais pas un mot des huit pages du Jugement ne lui reproche d'avoir été inexact.

Réhabilite, La Chaussée, alors "commis pour l'examen des comptes de la Marine" est nommé le 27 décembre 1773 officier honoraire du Grand Orient de France où il occupe le 3e rang, après Carbonnel et Le Lorrain, comme l'indique le tableau général du 14 juin 1776. Le << Tableau des RR. Commissaires nommés par le G. O." de ce même tableau général indique ses nominations successives comme Commissaire pour le Secrétariat et la Correspondance le 12 août 1774, pour le Traité d'Union entre le Grand Orient et les Directoires Ecossais le 14 avril 1775, pour la Rédaction et la Révision des Règlements le 5 juillet 1775, et pour la rédaction des Grades le 14 mars 1776. Alain Le Bihan a relevé son nom sur le tableau du 15 juillet 1781 de la loge Saint–Etienne de 1a Vraie et Parfaite Amitié dont il est alors vénérable*. Il faudra attendre deux siècles pour que soit retrouvé le texte intégral de son Mémoire justificatif, l'un des documents essentiels de la maçonnerie française du XVIIIe siècle, qui n'était alors connu que par les citations falsifiées qu'en avait faites Thory et celles de Jouaust*. En 1976, dans les archives léguées par Jean Baylot* à la Bibliothèque nationale, une copie dactylographiée du mémoire est identifiée par Pierre Chevallier qui la publie chez Lauzeray un an plus tard. Par une coïncidence étonnante, un exemplaire de la brochure originale est alors retrouvé presque simultanément à Zurich par Daniel–Paul Lobreau et par le brigadier A. C. F. Jackson à Londres. Deux éditions en fac-similé suivent, en 1979 par Robert Amadou et en 1981 par Lobreau. A l'exception de 17 introductions dont Pierre Chevallier avait accompagne son édition, il n'y eut aucun commentaire pendant quatorze ans.
A. B.


BRISSON HENRI
{Bourges, 7835–19129 } Henri Brisson est souvent présenté comme l'œil et le bras de la maçonnerie dans le radicalisme* d'avant 1914. La tradition veut même qu'il ait contribué de façon décisive, en juin 1899, à rallier la Chambre au ministère Waldeck–Rousseau en faisant le signe* de détresse à la tribune. C'est peut–être une légende, mais il est sur que son aura maçonnique était l'une des composantes de son influence politique. Pourtant, Brisson n'a été réellement actif dans la maçonnerie qu'au début de sa carrière. Il l'a reconnu dans un discours de distribution des prix aux élèves des cours commerciaux du Grand Orient*, en janvier 1898: il est entré en maçonnerie en 1856 car c'était " le seul endroit en France où l'on put encore parler, parler bas, mais parler encore avec une certaine liberté". Mais il évoque avec un certain détachement son " ancienne vie maçonnique " " Si j'ai fréquenté beaucoup les temples de 1856 à 1870, la vie m'a jeté ailleurs",

Le jeune avocat et journaliste républicain a été, dans les années 1860, le vénérable* de la loge L'Ecossaise 133*, fréquentée par d'autres futures gloires radicales comme Floquet ou Mesureur*, et aussi par de futurs communards. Cet atelier, qui milite pour la démocratisation du Rite Ecossais et pour l'abandon de la référence au Grand Architecte de l'Univers*, jouera un rôle moteur dans la scission écossaise de 1880. Mais, quand se crée la Grande Loge Symbolique*, ou Mesureur sera très actif, Brisson a déjà cessé de fréquenter assidûment les loges. Son prestige dans le milieu maçonnique est peut–être dû principalement à sa collaboration à La Morale indépendante, la revue fondée en 1865 par Massol*, l'un des ennemis personnels du Grand Architecte au Grand Orient.

En l871, Brisson est élu député de la Seine, qu'il représentera jusqu'en 1902 (sauf entre 1885 et 1889, où il a opté pour son département natal, le Cher). Menacé d'un ballottage difficile, il est parachute, entre les deux tours des élections de 1902 à Marseille, dont il restera député jusqu'à sa mort. Le radicalisme de Brisson n'est pas le radicalisme intransigeant de Clemenceau et de Pelletan*. Il est resté un fidèle de Gambetta* mais il a pris ses distances avec la version ferryste de l'opportunisme. Sa nuance politique est celle des radicaux modérés qui fondent en 1881 le groupe de la Gauche radicale, mais Brisson s'est déjà éloigné de la politique des groupes: peu attiré par les responsabilités gouvernementales, nourrissant des ambitions élyséennes (il sera trois fois candidat à l'élection présidentielle), il succède à Gambetta à la présidence de la Chambre en 1881. Il va occuper cette fonction jusqu'en 1885; il la retrouvera en 1894–1898, en 1904, puis de 1906 à sa mort. Ses expériences gouvernementales se limitent à deux brefs passages à la présidence du Conseil: apres la chute de Ferry*, il dirige d'avril 1885 à janvier 1886 un éphémère cabinet de < concentration republicaine,>; en juin 1898, il constitue un gouvernement radical modéré qui sera emporté en octobre par la tourmente de l'affaire Dreyfus*.

Dans les années 1890, Brisson s'est rapproché des radicaux les plus avancés, essentiellement sur le terrain de l'anticléricalisme. Il est de ceux qui ne croient pas à la sincérité du ralliement de l'Eglise à la République, qui voient dans la politique d'apaisement religieux de Spuller et de Meline une << désertion des vieilles doctrines >>, un " abandon de la vigilance nécessaire ". Avec Goblet, Floquet, Allain Targe et Léon Bourgeois*, il parraine en 1894 la création du Comité central d'action républicaine, d'où sortira l'année suivante le Comité d'action pour les réformes républicaines, ancêtre du Parti républicain radical et radical–socialiste de 1901.

Son retour au pouvoir, en 1898, est une expérience douloureuse. Il déçoit d'amblée les radicaux de conviction en présentant une version très édulcorée du programme radical et il laisse se déployer l'antidreyfurisme virulent de son premier ministre de la Guerre, Cavaignac. Il ne se ressaisit qu'après le suicide du faussaire Henry et c'est son gouvernement qui décide, le 26 septembre, d'engager la procédure de révision du procès Dreyfus. Mais Brisson ne parvient à rallier à la révision aucun de ses trois ministres de la Guerre successifs, ce qui provoque la chute du ministère le 25 octobre. Ses hésitations, son impuissance à empêché que le colonel Picquart soit traduit devant la justice militaire, lui ont valu de sévères critiques des dreyfusistes. La présidence de la Chambre, retrouvée en 1904, suffit à satisfaire son ambition. Il accepte pourtant avec Goblet et Bourgeois, de patronner la création du Parti radical en 1901. Son discours au congrès fondateur ne fait aucune allusion aux reformes économiques et sociales et se caractérise toujours par un anticléricalisme à toute épreuve. Il veut aussi ouvrir le parti sur son aile droite à "ces républicains qui, sans avoir jamais reçu ni pris l'épithète de radicaux ou de radicaux–socialistes, se sont joints avec honneur, avec indépendance, aux radicaux et aux radicaux–socialistes pour livrer la bataille qui se livre depuis deux années "
La vénération dont Brisson est entouré dans son parti pendant les dernières années de sa vie peut surprendre. " C'est un faux col et rien dedans " aurait déjà dit Gambetta. Pendant l'affaire Dreyfus, Clemenceau se demandait si Brisson était " plus bête que lâche ou plus lâche que bête" En 1909, Combes* traite en privé le président de la Chambre, dont "l'austérité " fait partie des poncifs journalistiques du temps, de "jouisseur" qui ne songe qu'a "vivre tranquillement à l'abri de toutes secousses ". Et la fraternité maçonnique n'empêche pas le socialiste Sembat* de dénoncer les "crasses" et les "cochonneries" de Brisson lorsque celui–ci, en octobre 1910, refuse l'accès au Palais–Bourbon d'une délégation de cheminots grévistes...

La gloire de Brisson, finalement, est un peu la contrepartie de la méfiance fréquemment éprouvée par les radicaux pour les trop fortes personnalités, pour les véritables hommes de gouvernement qu'ils s'appellent Gambetta, Ferry ou Clemenceau. &. B.

BROUSSE , Paul
{Montpellier 1843Neuilly–sur–Seine, 1912) Fils d'un professeur agrégé de médecine et lui-même médecin, Paul Brousse obtient la médaille d'or des hôpitaux pour son dévouement lors de l'épidémie de choléra qui sévit, en 1867 dans sa ville natale. Il est reçu maçon en 1870, vraisemblablement à la loge du Suprême Conseil de France Les Libres Pionniers du Progrès qui s'est ouverte l'année précédente à Montpellier où le Grand Orient* n'est pas représenté. Nous n'avons pas la preuve d'une activité maçonnique avant 1903.

Il se consacre à l'activité révolutionnaire. Favorable à la Commune*, proche de Jules Guesde, il doit s'enfuir en 1872 en Espagne* où il édite une feuille anarchiste. La Solidarité révolutionnaire, émanation en 1873, d'un fantomatique Comité de propagande révolutionnaire socialiste de la France méridionale. Expulsé pour propagande républicaine, il s'installe à Berne où il devient assistant dans un laboratoire de chimie. Il participe au Congrès de l'Association internationale des travailleurs à Genève en 1873, où il fait l'apologie de l'anarchisme. Il est alors un des dirigeants de la fédération jurassienne. En 1877, il est condamne à trois mois de prison à la suite d'une manifestation de rue et se trouve expulsé du canton de Berne. A nouveau arrêté en décembre 1878 pour un article approuvant le régicide, il est banni de Suisse. Il s'installe à Bruxelles d'où il est expulsé, puis à Londres avant de revenir en France en juillet 1880.
Il peut maintenant soutenir sa thèse devant la faculté de médecine de Montpellier et il s'installe à Paris. Il a alors évolué et se prononce pour un socialisme réformiste. Devenu le chef de la tendance dite " positiviste" ou " broussiste", il est. en 1883, l'un des fondateurs et le principal dirigeant de la Fédération des travailleurs socialistes de France d'où se retire, en 1890, une tendance la plus révolutionnaire conduite par Allemane : (allemanisme*). Adepte du socialisme municipal, médecin des pauvres, il met en pratique ses théories en tant qu'élu parisien, de 1887 à 1908, du quartier des Epinettes. Maintenant de bonnes relations avec les radicaux, très anticlérical, il défend la République parlementaire contre le boulangisme* et se mobilise (tardivement) en faveur de Dreyfus*. Il approuve l'entrée de Millerand* dans le cabinet Waldeck Rousseau. Brousse participe aux différents congrès qui aboutissent à la création du P.S.F. en 1902,puis de la S. F. I.O. en 1905. Après avoir connu deux échecs à la députation (à Montpellier en 1881 et à Paris en 1902), il est élu député de la 3e circonscription du XVIIe arrondissement en 1906. Brousse ne reprend une activité maçonnique qu'en 1903. Il est élu vénérable* par les neuf fondateurs de la loge du Grand Orient Les Travailleurs socialistes de France, ouverte le 22 février 1904. Cette loge destinée à regrouper des militants ouvriers compte quatre autres conseillers municipaux " broussistes "parisiens (L. Paris, J. Poiry, S. Paulard, P. Morel). Dès la première séance, s'y sont affiliés Frédéric Brunet (futur député), Henry Bagnol (député de la Seine), Jean Colly (conseiller municipal). Auguste–Louis Heippenheimer, du Conseil supérieur du travail et futur conseiller municipal, l'économiste Victor Dalle; ce jour–là un autre conseiller municipal, Arthur Rozier, prononce une conférence, "Socialisme et franc–maçonnerie ".
Parmi les futurs affiliés, on relève les noms de Jean–Baptiste Dumay (député et maire du Creusot), du Dr Meslier (député socialiste) et d'Abel Craissac, trésorier de la Fédération nationale des syndicats d'ouvriers peintres, qui mène la campagne, avec la loge, pour l'interdiction de l'emploi de composés du plomb et notamment du blanc de céruse dans les travaux publics ou particuliers. La loge travaille en relations étroites avec deux autres ateliers parisiens: La France Socialiste et L'Union Socialiste, mais elle décline dans les années 1910. Brousse, et pour cause, déclare au Grand Orient, lors de la fondation, avoir égaré son diplôme de maître*, grade qu'il dit avoir obtenu le 30 avril 1870. Au bout de deux mois, il abandonne la présidence à Frédéric Brunet et devient vénérable d'honneur. Il ne semble pas s'être beaucoup investi dans la maçonnerie mais son courant y est bien implante. C'est notamment un groupe de maçons possibilistes, la plupart très actifs au sein de l'obédience* (Brunet, Dalle, Bachelet, Lahy, Sacques Cohen) qui l'aident à relancer, en 1908, 1'hebdomadaire Le Prolétaire. Sa fille épouse, en 1904, Paul Lagarde, orateur de la loge Unité Maçonnique. Brousse finit ses jours comme directeur de l'asile d'aliènes de Ville–Evrard.
A. C.

BRUNSWICK
: voir BRAUNSGHWEIG



BUONARROTI, Filippo
(Pise, 1761Paris, 1837) Issu d'une grande famille de l'aristocratie toscane, Buonarroti poursuit des études de droit à l'université de Pise où il se lie d'amitié avec le futur conventionnel Saliceti*. Passionné par l'enseignement philosophique de Sarti et Lampredi qui l'initient à la pensée de Rousseau et l'encouragent à la lecture de Mably et de Morelly, il obtient un doctorat en droit en 1782. Il s'oriente cependant vers le journalisme et publie en 1788 une gazette politique. Il critique alors les timides reformes de l'archiduc Pierre Léopold. Surveillé par la police, il est improbable que son initiation* maçonnique ait eu lieu à Florence, et il n'y a aucune preuve de son appartenance à l'Ordre* à la veille de la Révolution française*. Fasciné par le déclenchement de celle–ci, il est inquiété par les autorités toscanes et émigre en Corse durant l'automne de 1789. Il y fonde Le Journal patriotique de Corse, un instrument de propagande des idées nouvelles. Nommé à la direction de la vente des biens ecclésiastiques au sein du directoire départemental, il s'attire l'hostilité de la population attachée au culte catholique et indignée par son anticléricalisme militant. Il est contraint à quitter la Corse lors de la journée contre–révolutionnaire qui agite Bastia le 3 juin 1791. Emprisonné dès son arrivée à Livourne, il est libéré à la faveur de l'intervention de la Constituante.
De retour sur l'île il devient commissaire national de l'arrondissement de Corte. Il n'hésite plus à dénoncer les agissements paolistes. Chargé de la coordination de l'expédition manquée qui visait à la conquête de la Sardaigne, il participe en janvier 1793 à la prise de l'île de Saint-Pierre, " île de la Liberté " qui est dotée d'une constitution inspirée clairement des principes rousseauistes. En mars reçu aux Jacobins de Paris, il critique l'orientation politique de Paoli qu'il rend responsable de l'échec de l'expédition de Sardaigne. Naturalisé le 27 mai 1793, il est nommé commissaire du pouvoir exécutif en Corse le 7 juin. Il ne peut cependant accomplir sa mission en raison de la crise fédéraliste car, arrivé à Nice, il ne peut traverser la Méditerranée. Commissaire national à l'armée d'ltalie en avril 1794, il est chargé d'administrer les territoires conquis sur le royaume de Piémont et, sous son proconsulat, l'ancienne principauté d'Oneille constitue un véritable laboratoire jacobin qui perdure après Thermidor. Arrêté le 5 mars 1795, il est conduit à Paris, rejoint les robespierristes et hébertistes enfermés à la prison du Plessis... et fait la connaissance de Babeuf. Libéré le 9 octobre 1795 et progressivement gagné aux thèses de Babeuf, il devient l'un des animateurs de la Société du Panthéon et appartient au directoire secret de la conspiration babouviste formé le 30 mars 1796. Véritable théoricien du projet insurrectionnel, il est arrêté et traduit devant la Haute Cour de justice siégeant à Vendôme. Condamné à la déportation le 27 mai 1797, incarcéré au fort national de Cherbourg jusqu'en mars 1800, transféré à l'île d'Oléron et à Sospel (Alpes–Maritimes) avant d'être placé en résidence surveillée à Genève (juin 1806), il s'engage dans une activité souterraine aux multiples ramifications en Europe; il rencontre alors la maçonnerie.

Il joue un rôle de premier plan au sein de la loge Les Amis Sincères, un atelier qui a été fondé à la fin du XVIIIe siècle. Placé sous les auspices du Grand Orient* et très étroitement surveillé par les préfets successifs du département du Léman, il compte dans ses colonnes un certain nombre d'anciens jacobins hostiles au régime napoléonien (T. B. Terray, Thomas Villard). Secrétaire puis vénérable*, Buonarroti est suspecté de se servir de l'outil maçonnique afin de recruter sur une base politique des adeptes pour sa société secrète, les Sublimes Maîtres Parfaits. Accusée d'être un club subversif, la loge Les Amis Sincères est fermée le 12 avril 1811. Soupçonné de complicité dans la conspiration du général Malet , Buonarroti est expulsé de Genève et astreint à résidence à Grenoble en 1813. Dès son retour en mai 1814 il renoue avec l'activité maçonnique en retrouvant le vénéralat des Amis Sincères qui a repris ses travaux apres quelques années d'interruption. Il s'affilie également à deux autres ateliers, L'Union des Cœurs et Les Anciens Réunis, puis inaugure en 1820 un nouveau chapitre. Le 24 avril 1823, ses activités lui valent d'être expulsé une nouvelle fois de Suisse; il se réfugie à Bruxelles. Fixé dans cette ville sous le nom de Camille, Buonarroti appartient à la direction de la vente centrale de la Charbonnerie* .

Sa nouvelle société secrète, Le Monde, est une organisation internationaliste fondée sur les principes de Liberté et d'Egalité... et la maçonnerie apparaît de nouveau dans la stratégie de Buonarroti comme un modèle à la structure clandestine et un abri derrière lequel peut se dissimuler l'action conspiratrice fondée sur la lutte armée. Très hiérarchisée, la société secrète buonarrotienne ne dévoile son véritable objectif qu'aux membres du corps suprême qui fixent la ligne de conduite à laquelle tous les adeptes obéissent. C'est pendant ces années bruxelloises que Buonarroti publie, en 182S, la Conspiration pour l'Egalité dite de Baheuf. De retour à Paris en 1830, il tente de donner une nouvelle vigueur à la Charbonnerie et conçoit, en 1832–1833, la Charbonnerie reformée et démocratique universelle.

Vers la fin de sa vie, Buonarroti connaît la misère. Il est hébergé par le républicain avance Voyer d'Argenson. Atteint de cécité, il interrompt toute activité à partir de 1835, mais reste inébranlablement fidèle aux idéaux égalitaires de sa jeunesse. Maçonniquement actif durant une période de transition culturelle, le patriarche révolutionnaire a contribue aussi à transmettre les valeurs républicaines à un Ordre* maçonnique encore peu enclin sous la Restauration à voir perturber ses paisibles travaux. La stèle funéraire de Buonarrotti érigée à sa mémoire est d'ailleurs une initiative du frère Teste*, et cela montre bien la réappropriation dont sa personne fut l'objet par les maçons sensibles aux nouveaux courants de pensée


BURKE, Edmund
(Dublin, 1 729–Beaconsfeld, 1797) Né d'un père protestant et d'une mère catholique, Burke reçut une éducation protestante dans l'université la plus prestigieuse d'lrlande, Tinnily College C'est cependant en Angleterre qu'il commença sa carrière philosophique et politique. En 1756, il écrivit ses deux premières œuvres, Vindication of Naturat Sociefy et Anquiry into the Ongin of out Icieos of the Sublime and Beautiful Il devint député à la Chambre des Communes en 1765 ou il y critiqua l'absolutisme de George III à plusieurs reprises, en particulier à propos de la question américaine. Il prononça deux discours au Parlement sur ce sujet: American Taxation (1774) et On Conciliation with the Colonies (1775). En 1788 il poursuivit en justice le gouverneur britannique du Bengale, Warren Hastings, l'accusant de corruption, en vain, car il perdit le procès en 1795. L'ouvrage qui le rendit le plus célèbre fut Reflections on the Revolution in France (1790), condamnation sans appel de la Révolution française*. Sa francophobie est plus criante encore dans les lettres qu'il écrivit à la fin de sa vie afin de protester contre la paix avec la France, Letters on a Regicide Peace (1796)

L'affiliation maçonnique du célèbre philosophe et homme politique britannique , est méconnue, sans doute en raison du mystère qui entoure la date exacte de sa réception dans une loge*. Il fut membre de la Jerusalem Lodge n° 44, à laquelle il donna même son nom, puisque cette dernière fut mieux connue sous l'appellation Burke Lodge On ignore si Burke devint maçon dans une autre loge avant de s'affilier à la Jerusalem Lodge n° 44 ou si ce fut cette loge qui le reçut, avant 1769, date à laquelle les membres de la loge de Burke se seraient rendus à la célèbre prison de Londres, King's Bench Prison, pour y initier John Wilkes*. Selon William R. Denslow, Burke aurait joue un rôle important dans cette démarche originale de la loge.
Burke est essentiellement connu pour sa condamnation de la Révolution française et sa fidélité à la tradition et aux préjugés en faveur de la monarchie, de l'Eglise et de l'ordre établi. Or, ces préjugés burkéens sont conformes aux principes inviolables de la franc–maçonnerie que les Anglais appellent landmarks* Burke défend ainsi souvent le principe de "prescription" pour justifier la validité de la propriété de certains aristocrates, même en l'absence de titres, pour expliquer que la tradition à force de loi. Ce goût de la tradition est puisé chez lui notamment dans le cérémonial maçonnique, dans le respect des Landmarks. Sur le plan politique, ce respect du passé se traduit par l'allégeance à la Constitution britannique, qui à l'heur de lui plaire justement parce qu'elle n'est pas écrite, parce qu'elle repose sur des conventions orales. Au nom du respect des traditions, et dans une moindre mesure, de l'intégrité morale, il défend les coutumes ancestrales indiennes et accuse le gouverneur Hastings de ne pas les respecter et de vouloir corrompre des valeurs fondamentales. En termes maçonniques, Burke aurait très bien pu dire qu'il enfreignait les anciens Landmarks

Burke respecte la " glorieuse " Révolution de 1688 parce qu'elle a préservé l'équilibre des pouvoirs en mettant un terme à l'absolutisme de Jacques II. Cette notion d'équilibre fondamentale chez Burke, est également centrale dans tous les écrits maçonniques de son époque. Il s'agit d'équilibre architectural, mais également d'équilibre moral, d'équilibre de la pensée; les proportions doivent être respectées, la géométrie est une science chère à tous les maçons britanniques du XVIIIe siècle. Ainsi, Burke est trop attaché à la monarchie pour permettre qu'elle se compromette en pêchant par absolutisme il prend la défense du parlementaire John Wilkes parce qu'il estime qu'il est victime de l'abolutisme du roi. C'est sans doute Burke qui incite Wilkes à rejoindre la franc–maçonnerie. Il critique la politique de North parce qu'il estime qu'elle met en péril l'équilibre entre la métropole et les colonies américaines, et donc, l'Empire britannique naissant. C'est pour éviter le pire qu'il prend la défense des colons américains, et non parce qu'il soutient la Révolution d'Amérique.

Il abhorre la Révolution française, avant même le début de la Terreur, parce que ses auteurs ont attaqué ces institutions à ses yeux intouchables que sont la monarchie, l'aristocratie et le clergé. Lorsque Barruel se réfugie en Angleterre, c'est d'ailleurs Burke qui l'héberge. Bien qu'initié, il le félicite pour ses Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, pourtant très antimaçonniques. Burke n'éprouve aucune solidarité avec les francs–maçons d'outre–Manche et prône un soutien indéfectible à ce qu'aujourd'hui Iron nommerait l'Establishment.
C. R.


BURNS, Robert
Burns.jpg - 213603,0 K (Ayr 1759–1796) Evoquer la vie de ce poète, c'est aussi retracer l'itinéraire du maçon. C'est sans doute ce qui explique l'extraordinaire popularité de Robert Burns, à son époque mais également de nos jours puisque, chaque année, en janvier, des dîners, les Burns Dinners, rassemblent des francs-maçons écossais ainsi que des admirateurs " profanes " du poète.

Né le 25 janvier 1759 dans un village écossais, fils de petits paysans, Burns est entièrement autodidacte. Il a 18 ans lorsqu'il commence à travailler dans la ferme de son père, près de Tarbolton. C'est dans ce village qu'il adhère à un club de jeunes célibataires libertins, The Tarbolton Bachelors' Club, qu'il préside bientôt ce qui n'est sans doute pas totalement du goût de sa famille, calviniste de père en fils. La loge maçonnique de Tarbolton se réunissant dans la même auberge que le club, Robert Burns a tôt fait de franchir le pas: il est initié à la loge* St. David le 4 juillet 1781, à l'âge de 22 ans. Il reçoit les grades de compagnon* et de maître* au cours d'une même soirée, le 1er octobre 1781, comme en attestent les annales de la loge. En 1782, la loge se scinde et Burns, en compagnie de quelques frères, recrée une ancienne loge, St James, à Tarbolton. Le 27 juillet 1784 il est élu deputy master, c'est–a–dire vénérable adjoint. En Ecosse*, à cette époque, le poste de vénérable maître est essentiellement honorifique, occupé dans la mesure du possible par un aristocrate, et la loge est dans les faits gouvernée par le deputy rnaster. De nombreux procès–verbaux de l'atelier sont signes de la main de Burns qui occupe ce poste stratégique jusqu'en 1788. C'est sans doute un des frères de sa loger Gavin Hamilton, qui lui conseille de rassembler ses poèmes et de les publier. Il organise une souscription parmi les francs–maçons des loges avoisinantes et c'est également un franc–maçon, John Wilson, qui imprime la première édition des poèmes de Burns, connue sous le nom de Kilmarnock Poems.
La même année, Burns adresse un poème d'adieu aux membres de sa loge, The Farewell, lorsqu'il envisage de s'exiler à la Jamaïque, sans doute pour régler sa situation financière alors très précaire car, quand l'édition de Kilmarnock remporte un succès inespéré, il renonce à ce projet et envisage une seconde édition, toujours avec le soutien de ses frères. De plus, il fait la connaissance de son principal mécène, lord Glencairn, au sein de la loge Canongate kilwinning d'Edimbourg*, qui lance en sa faveur la souscription connue sous le nom de Caledonian Hunt pour cette seconde édition. Burns est "exalte" dans le chapitre du Royal Arch* d'Eymouth, le 1er mai 1787. Même si la vie sentimentale agitée de l'ancien membre du club des célibataires ne fut pas toujours du goût des loges maçonniques, Burns bénéficia de l'appui et de la complicité d'un grand nombre de ses frères. Outre les deux poèmes dédiés aux loges auxquelles il appartint, "L'Adieu "(The Farewell) et "LeChant maçonnique (Masonic song), il composa de nombreux chants et ballades empreints de symbolisme maçonnique: ainsi Tam o'Shanter "Rien ne changera l'homme" (A Man's a man or a'that sans oublier "l'Adresse au Diable" (Address to the De'il). Burns manifesta longtemps des sympathies pour les partisans des Stuarts les jacobites* et, contrairement aux aristocrates de la Grande Loge d'Ecosse, il fit preuve de peu d'enthousiasme pour l'Union de 1717. Son hostilité aux Hanovriens le porta à soutenir la Révolution américaine* et, plus tard, les prémisses de la Révolution française*. Il joignit cependant sa voix au chœur des francophobes et adhéra même aux corps des Volunteers, la milice chargée de donner à la population locale un entraînement militaire pour faire face à une éventuelle invasion française...

Burns doit beaucoup aux francs–maçons qui lui apportèrent le soutien matériel nécessaire à sa réussite littéraire. Cependant Burns s'est bien acquitté de sa dette puisque la Grande Loge Ecossaise est aujourd'hui encore très fière d'avoir compté le poète parmi les siens. C. R.