ENCYCLOPÉDIE DE LA FRANC-MAÇONNERIE


01 type_Document_Title_here B
BABEL
BACON DE LA CHEVALERIE
BAKOUNINE
BANDEAU
BANQUET
BARERE DE YIEUZAC
BAROIN Michel
BARRUEL

B
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L'initiale B portée sur la colonne* de gauche du tableau* de loge*, ou représentée du même cote de la porte d'entrée, désigne Boaz la colonne du vestibule du Temple de Jérusalem* décrite dans le premier Livre des Rois (7, 21) et dans le deuxième Livre des Chroniques (3, 17), ce qui signifie en hébreux à peu près: dans la force. Le premier surveillant siège à son pied au Rite Ecossais Ancien et Accepte* et au Rite Ecossais Rectifie*, les positions sont inversées au Rite Français* mais dans les deux cas, elle fournit le mot sacre au grade* d'apprenti*. L'inversion des mots << J*... » et « B... », semble s'être faite vers 1730 dans le but de rétablir le secret* compromis par des réceptions incontrôlées et posa des problèmes pour la cohérence des significations symboliques qui y étaient attachées. Dans Masonry Dissected de Samuel Prichard (1730), les deux mots, « Jakin » et « Boaz », sont dits être révélés en même temps. Le manuscrit Dumfries n° 4 (17l0) le plus chrétien des Old Charges* affirme que la lettre B désigne l'Eglise des gentils, établie fermement pour les temps, et que le Christ écrira d'autres noms sur les colonnes. lnterprêtée comme un symbole essentiellement féminin au XIXe siècle, à l'image de la lettre Beth, deuxième et (( passive )) de l'alphabet hébreu, elle fut associée à la lune * et le plus souvent à la couleur* blanche et au mercure* alchimique.
J.–P. L.














BABEL
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La tour de Babel est au cœur du projet maçonnique du XVIIIe siècle. Elle prend toute son importance par rapport à la construction du Temple de Salomon récit de fondation par excellence de l'Ordre. Le Temple de Salomon, « maison de prières pour toutes les nations», selon Anderson et La Tierce*, apparaît fondamentalement comme l'anti Babel . Le chantier du Temple à la gloire du Grand Architecte de l'Univers*, auquel tout nouvel initie doit participer, est en effet porteur d'harmonie, de concorde, chaque ouvrier s'inscrivant dans une " chaîne d'union* ", à sa juste place, dans l'ordre le respect de la hiérarchie, de la différence et des plus humbles. Le chantier du temple* maçonnique est ambitieux: il ne projette rien moins que de réunir l'ensemble des frères disperses sur les deux hémisphères et d'élargir les bornes du cosmos maçonnique jusqu'aux limites des terres connues mais les ouvriers ne sont pas pris par la démesure, 1'hubris des anciens Grecs, qui rend fou et provoque la légitime colère des dieux. Bien au contraire, le franc–maçon prend conscience de sa faiblesse et apprend comment seules, la concorde et la bonne communication entre les ouvriers peuvent permettre d'élever de solides fondations.
La bonne communication est un leitmotiv des Constitutions d'Anderson et de l'histoire de la très vénérable confraternité des francs-maçons de La Tierce. Ecole de vertu le temple maçonnique apprend aux ouvriers à mettre leur compétence en commun, à apprendre les uns des autres comment progresser plus sûrement sur la voie qui mène à la lumière. Les travaux de l'Art royal * conduisent l'initié à se découvrir au miroir de 1'autre, en même temps qu'il reconnaît dans l'autre un frère. La maçonnerie est donc pour les bâtisseurs de l'Ordre une école de communication, son chantier permet à des hommes d'échanger, de progresser. Par opposition, la tour de Babel est le vivant et mortel symbole de la folle démesure sure qui s'empare des hommes. Ici, les textes fondateurs de la franc–maçonnerie se placent dans la droite ligne de l'Ancien Testament. Le chantier de Babel est celui de l'absence de communication entre ses ouvriers. Les rituels en usage dans les loges d'adoption*, dont Janet Mackau – Burlie a montré le constant attachement à la référence biblique au cours du XVIIIe siècle, sont très clairs sur le sujet. . Dans La Vraie Maçonnerie d'adoption de Louis Guillemain de Saint–Victor, catéchisme * en quatre degrés qui, avec une édition annuelle entre 1779 et 1786 et six pour la seule année 1787, connaît un exceptionnel succès auprès des francs–maçonnes, la candidate au 3° est interrogée sur la signification de la tour de Babel: "Quelle est la base de la tour ? -–La folie.–Que signifient les pierres ?–Les passions de l'homme.–Que signifie le ciment employé ?–Le poison de la discorde. " Le catéchisme souligne que la spirale de la tour est celle de la vanité humaine, avant que Dieu ne décide de semer le trouble parmi les ouvriers en introduisant sur le chantier la confusion des langages, à l'origine des quatre parties du monde (Genèse II, 1-8).

On retrouve ce thème de la dispersion des ouvriers de Babel entre les différentes parties du monde dans le grade de Noachite ou Chevalier Prussien (21° du Rite Ecossais Ancien et Accepte*). Phaleg, à l'origine du projet de la tour, se retira en Allemagne du Nord. Pour demander pardon à Dieu et implorer sa miséricorde, il éleva un temple en forme de triangle. Selon le rituel, Dieu a eu pitié de lui parce qu'il est redevenu humble. Les Noachites ou Chevaliers Prussiens s'affirment les descendants de Phaleg. Si Babel représente la démesure, il est intéressant de constater que, pour Anderson et La Tierce, la confusion des langues a paradoxalement permis aux francs–maçons dignes d'appartenir à l'Ordre, de se redécouvrir par–delà l'obstacle linguistique par l'échange de signes*, d'attouchements et par le commun partage de valeurs, qu'il n'est pas besoin d'exprimer par des mots: ( Leur faute ne diminue point le mérite de leur habileté dans la maçonnerie, puisqu'en se répandant sur la terre, ils ont porte leurs hautes connaissances dans ces parties les plus éloignées... Ainsi, malgré la confusion des langues l'Art royal fut transmis à la postérité la plus reculée et dans les climats les plus lointains...
On pourrait même croire que la différence des langages a du porter la faculté des maçons à un haut point, en introduisant parmi eux, sans distinction de nation, I'ancienne pratique universalité de converser sans parler, et de se connaître les uns les autres quoique à distance. Les francs–maçons ont donc su surmonter la démesure de Babel et mettre à profit leurs connaissances au bénéfice du chantier du temple à la gloire du Grand Architecte de l'Univers. Utopie planétaire (Armand Mattelart), au même titre que la République universelle des sciences de Condorcet ou celle du commerce d'Adam Smith, la République universelle des francs–maçons apparaît même parfois sous les traits d'une nouvelle Babel, d'une Babel redressée, harmonieuse et pacifiée, dont les ouvriers auraient réussi à transcender leurs antagonismes, leurs incompréhensions, à maîtriser leurs " métaux", pour se reconnaître comme frères. Symbole de la victoire de la lumière sur les ténèbres, de I'ordre maçonnique sur le chaos profane: ordo ab chao.
P.–Y. B.
BACON DE LA CHEVALERIE
Jean Jacques ( Lyon, 1731–Paris 1821) Figure importante de la maçonnerie des Lumières*, Bacon de la Chevalerie semble avoir commencé sa carrière maçonnique à Lyon*. Attiré par l'illuminisme* qui baigne la capitale des Gaules, on le trouve dans les années 1760 dans entourage de Martines de Pasqually* qui le nomme président du tribunal des Elus Coens*. En 1764, on le rencontre à Rouen, où il a des attaches familiales et où il participe à la fondation et aux travaux de L'Unité, loge d'avocats du parlement de Normandie dont il devient le représentant auprès de la Grande Loge*. Membre d'une loge militaire Iyonnaise située dans la mouvance de cette obédience*, Saint–Jean de la Gloire, il prononce encore, le 16 janvier 1766, I'oraison funèbre du vénérable* défunt de cette loge. C'est donc avec une carrière maçonnique déjà bien remplie que cet officier bien noté par ses supérieurs participe activement à la naissance du Grand Orient*, notamment à partir de mars 1773.
Il va, en effet, à cette occasion occuper un rôle essentiel, il est désigné comme député* auprès du duc de Chartres (Orléans*) et de Montmorency* le 8 mars pour leur annoncer leur accession aux plus hautes dignités, puis comme Grand Orateur en mai. Son action est marquée à partir de cette date par une évidente volonté de préserver le caractère nobiliaire de l'Art royal*. Peu favorable à la démocratisation de l'Ordre*, il est une des pièces maîtresses de la, mise en place d'une politique d'endiguement social de la pratique maçonnique menée par la noblesse initiée qui, paradoxalement, a pris les commandes à l'occasion de la réforme démocratique des institutions imposées durant les années 1771-1774. Bacon propose en effet le 27 octobre 1773 le maintien des artisans et domestiques parmi les frères servants*. C'est cependant la stratégie qu'il adopte lors de la mise en place des hauts grades* qui témoigne de l'élitisme de ses conceptions. Protestant d'origine mais converti au catholicisme et devenu Grand Profès de l'Ordre de la Stricte Observance* dont on connaît le pouvoir d'attraction sur la noblesse*, il parvient à faire signer un traité entre les Directoires Ecossais et le Grand Orient, ce qui permet aux maçons de l'obédience allemande, selon A. Joly, << d'adhérer à un Ordre étranger sans s'être séparé de la maçonnerie française >> . Plus tard, invité aux Convents de Paris organisés par les Philanthes*, il soutient les initiatives destinées à permettre l'unification des hauts grades. Or, l'attitude unitaire est socialement, salvatrice pour maintenir la pureté d'un Ordre en proie aux agitations.

Enfin, partisan de la maçonnerie féminine, il est l'un des initiateurs de la maçonnerie d'adoption* qui contribuera l'aristocratisation de la maçonnerie par son recrutement et par la concordance du fonctionnement de celle–ci avec mentalité nobiliaire et qu'il exprime à I'occasion de l'installation* de La Candeur*, le 9 juillet 1775: " Ne croyez pas que lorsque nous excluons les femmes* de nos mystères, qu'elles soient pour cela loin de nos cœurs, nous leur rendons au contraire un culte plus secret et plus pur mais nous craignons que leur présence nous séduise au point de nous détourner de nos travaux... ".

Dans les provinces où il est député de nombreuses loges, son action prolonge logiquement l'attitude qu'il a adoptée à Paris Ainsi, à Rouen, il soutient les parlementaires des Bons Amis* qui ont quitté l'Ardente Amitié, cet atelier méprisé par les loges nobiliaires rouennaises qui devient bientôt le support de la politique menée par le frère Matheus*. Soutenant pleinement l'initiative des rebelles, il défend leurs intérêts à la Chambre des Provinces.
Outre son importante activité sur le plan institutionnel il continue à fréquenter nombre d'ateliers parisiens A La Candeur il est maître des cérémonies en 1778, puis aumônier et il tient parfois le maillet en l'absence du vénérable*. Il figure aussi sur les tableaux* de La Fidélité. Simple associé libre en 1780, il est architecte de cette loge en 1782. Au sein ; d'une autre loge, La Double Intimité, il est le premier expert en 1788 auprès de Randon de Lucenay.


Les tensions dont est victime la maçonnerie dans les années 1780 I'éloignent ce pendant quelque peu des temples. Colonel d'infanterie, il est devenu brigadier des armées du roi. En 1780, puis lieutenant–général à Saint–Domingue. Il y dispose de biens considérables et parallèlement, place des intérêrts financiers dans le négoce familial à Rouen. La période révolutionnaire ramène Bacon, la tempête passée vers les colonnes des temples parisiens. Il fréquente en effet Les centre des Amis Réunis*, à partir de 1796. A cette date, son nom n'étant pas rayé des listes de membres, on a la preuve que le frère Bacon figure parmi les actifs de l'atelier. Fidèle à cette loge, sa signature se trouve encore en octobre 1807 au bas des correspondances entretenues par celle–ci avec la rue du Pot–de–Fer.
Il est vrai que le moment est crucial: Le Centre des Amis demande en effet, en octobre 1807 à pratiquer le Rite Ecossais Rectifié* et à reprendre la maçonnerie d'adoption sous les formes préconisées par le décret du 10 avril 1774. La signature* de Bacon, Grand Orateur Honoraire semble donner du poids à la demande de la loge. Bien rallié au régime napoléonien, on l'entend l'année suivante prononcer l'éloge funèbre de Roettiers* de Montaleau, autre grande figure qui a vécu le passage de la maçonnerie des Lumières à celle des Bonaparte*. Le discours prononcé le 5 mars 1808, par les qualités de vertu morale et de désintéressement qu'il attribue au défunt, résonne déjà comme le testament maçonnique d'un frère qui montre ce que, selon lui, doit être le parfait franc–maçon. En 1809, il est encore signalé comme dignitaire du Rite Ecossais Rectifie, comme Président Provisoire du Département de Paris, et avec le titre de membre honoraire de la loge parisienne où la pratique de ce rite s'est replié. Il meurt en 1821, laissant une fortune considérable et des biens importants à Saint–Domingue.
E. S.
BAKOUNINE
Mikhall Alexandrovitch (Priamuchin, 1814–Berne, 1876) Né de parents aristocrates et tout d'abord officier, Bakounine abandonne rapidement la carrière militaire, poursuit ses études à Moscou et à Saint–Petersbourg et devient un pur hégélien. Sa rencontre avec Herzen et Ogarev, rescapés de la déportation change sa vie. A 26 ans, il se rend à Berlin où il fraternise avec les positions radicales et révolutionnaires. Il séjourne à Dresde et en Suisse puis, de 1844 à 1847, il demeure à Paris où il fréquente Proudhon* et Marx. Bakounine veut le nivellement des classes, la communauté des biens, le salaire unique et l'abolition de l'absolutisme. Il s'engage activement durant les évènements européens de 1848. Il est arrêté lors de la Réaction et condamné, tout d'abord à Dresde puis à Prague. Le tsar obtient son extradition pour pouvoir le condamner à son tour. Apres avoir été envoyé en Sibérie, il réussit à s'enfuir et se réfugie à Londres en 1861. Il y retrouve tous ses amis et se consacre au projet d'un vaste mouvement anti–tsariste fondé sur la promesse de l'expropriation des terres. Après avoir tenté d'intervenir politiquement dans les évènements de Pologne et de Suède, Bakounine consacre son attention sur l'ltalie, où il arrive en janvier 1864, en provenance de Genève.

Dans les textes sur Bakounine, on a souvent fait référence à son appartenance à la maçonnerie à l'occasion de son voyage en Italie dans la perspective des revers qu'il a rencontrés. Bakounine avait été initié en 1845 et c'est à Turin qu'il fut élevé au degré de Rose–Croix*. A Caprera, Garibaldi* l'élève au 30°. Son entrée dans les cercles démocratiques florentins est favorisée par Giuseppe Mazzini*, Filippo De Boni, Aurelio Saffi ainsi que par Garibaldi lui–même.

Bakounine nourrit l'espoir de transformer la maçonnerie italienne en un instrument de propagande de sa pensée politique, qui prône la liberté intégrale à conquérir contre le dogme qui asservit l'esprit et contre l'Etat qui crée les inégalités. Il insiste aussi sur la polémique antireligieuse et dénonce l'esclavage qui peut dériver de la croyance dans le Dieu chrétien. Il prône l'abolition de toute théologie et la substitution du culte du Grand Architecte de l'Univers* par celui de l'Humanité. A Florence, Bakounine s'est engage dans une action politique intense et, n'ayant pas obtenu les résultas espérés, il se transfert à Naples en 1865 où il est en relation avec S Frisa, C Gambusia et S Molli, les fondateurs d'une loge atypique qui réunissait républicains et socialistes.

La tentative de Bakounine pour faire de la maçonnerie l'instrument de ses idées nihilistes (nihilisme*) était destiné à l'échec mais cela lui servit toutefois à se faire connaître et à présenter sa pensée à de nombreux démocrates déçus qui, par son intermédiaire, se rapprochèrent des idées socialistes et anarchistes. En 1866, il nie même dans une lettre à Herzen le fait d'être maçon. Les années 1864–1867 sont une période d'intense élaboration spirituelle pour lui: il est désormais décidé à promouvoir un mouvement révolutionnaire anarchiste dans toute l'Europe en agissant au milieu des grandes masses agricoles au centre de sa propagande. Sa prédication en Italie rallie plusieurs garibaldiens et républicains. C'est à partir de ce groupe, qui s'enrichit de jeunes recrues, que se développera dans les années qui suivirent 1870 le courant anarcho collectiviste.

En automne 1867, il s'installe en Suisse et continue de travailler sur son programme, sans grands résultats. En 1873–1874, il rêve encore de soulever l'Espagne et l'ltalie. Vieux et déçus, il meurt en juillet 1876.
A.–M .1.
BANDEAU
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Il est posé sur les yeux du profane quand celui–ci " passe sous le bandeau ". La symbolique était déjà banale lors des initiations d'Eleusis où, apres les purifications, le myste était introduit dans le télestérion l'immense bâtiment destiné aux initiations* et aux célébrations nocturnes, la tête recouverte d'une étoffe, l'instant de la révélation et le passage de l'obscurité à la lumière étaient ainsi dramatisés. Dans la maçonnerie première, opérative*, aucun texte ne signale la présence du bandeau dans les rituels de réception. Il apparaît avec la maçonnerie spéculative, qui transforme la réception en initiation au terme de laquelle est donnée l'illumination* toute spirituelle. L'isolement par le bandeau permet au candidat de plonger au plus profond de lui–même, dans la recherche d'une méditation silencieuse d'un recueillement spéculatif. Il est ensuite interrogé, les yeux toujours bandés car il importe qu'il ne puisse pas reconnaître les membres de la loge * qui l'écoutent avant d'être invite à opérer un choix. Si le vote est favorable, avec une majorité de boules* blanches l'initiation se déroulera aussi sous le bandeau. Lorsque le candidat est privé de la vue, l'imagination est féconde. Le monde extérieur se réduit à des pressions, un contact, des mots, des bruits étranges que le profane tente assez vainement, de comprendre.
Le moment fort est celui où l'on ôte le bandeau (on dit aussi << enlèvement >> ou – << chute du bandeau >> Ce rite est aisé à saisir: le profane est comme l'aveugle . Perdu dans les ténèbres où il errerait s'il n'était soutenu par un bras qui le maintient, guidé par des paroles sur la voie de I'initiation, jusqu'à la lumière, qu'il n'entrevoit d'ailleurs que graduellement. Lorsque le profane reçoit la lumière ou plutôt lorsque lui est révélée la voie vers celle-ci , il contemple alors des objets symboliques, distingue des gestes, perçoit des situations nouvelles qui lui seront peu à peu intelligibles. Les diverses obédiences n'ont pas la même interprétation de ce qu'est cette lumière révélée. L'instruction au 1° du Rite Ecossais Ancien et Accepté* précise par exemple: " La lumière n'éclaire l'esprit humain que lorsque rien ne s'oppose à son rayonnement.
Tant que l'illusion et les préjugés nous aveuglent, I'obscurité règne en nous et nous rend insensibles à la splendeur du vrai. "Au Rite Ecossais Rectifie"* de 1778, le "frère introducteur" s'adresse ainsi au candidat " II est absolument nécessaire que vous soyez dès à présent dans l'impossibilité où vous êtes d'avancer sans secours et sans guide vers le Temple de la Vérité; et pour nous donner une preuve sincère de la défiance où vous êtes de vous-même, vous devez consentir à être privé de la Lumière élémentaire, symbole évident des fausses lueurs qui font le partage de l'homme abandonné à sa propre direction". Il conclut par ces mots: " Vous êtes dans les Ténèbres, mais n'ayez aucune crainte, votre guide marche dans la Lumière et ne peut vous égarer. " Cette lumière délivrée à l'initié, est-elle enseignement spirituel, message christique ou Aufklörung de la philosophie des Lumières, rationaliste et hostile aux préjugés inscrits dans les dogmes? La question reste ouverte.
Vl. B.
BANQUET
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Le terme peut revêtir deux significations. Pris dans un sens étroit le banquet maçonnique prend une dimension sociale et culturelle à partir de l'ensemble des gestes concernant les << travaux de mastication >, et le rituel festif. Cette conception se rattache donc à la fonction ludique originelle suscitée par la simple organisation des agapes*. Lors du repas, le décor, le choix des mets ou celui d'ouvrir le moment du banquet au monde extérieur, montrent alors que celui–ci s'insère dans le processus constitutif de la société maçonnique en un moment donné. Ainsi, la part croissante des viandes dans les menus proposés, la valorisation des éléments participant à la mise en place du rituel festif permettent aux frères de reproduire leurs talents dans la société maçonnique et de voir s'assouvir le désir croissant des loges* de rayonner vers le monde profane. La mise en place d'activités annexes, ouvertes aux profanes (Les Arts et I'Amitié*), amplifie cette volonté qui, au XIXe siècle, témoigne de la conformité de 1'évolution de la sociabilité maçonnique avec les valeurs bourgeoises dominantes.

Parallèlement, le banquet revêt aussi une fonction plus idéologique qui s'affirme par des chansons qui en scandent le déroulement. II présente le caractère paradoxal de conjuguer une relative ouverture culturelle et sociale et une pratique fondée sur la théosophie et l'intériorisation: la dimension " pédagogique" revêtue par le banquet est ici cruciale. Il permet à la maçonnerie, par les paroles simples qui sont entonnées, de marteler ainsi les vertus qui doivent lier le frère aux valeurs fondamentales de l'Ordre*. Mais, à nouveau, l'évolution dans le temps est manifeste: on voit ainsi les cantiques chantés sous la Restauration témoignent par les thèmes valorises, d'une laïcisation croissante. On perçoit aussi au fur et à mesure, I'arrivée de valeurs nouvelles. Ainsi, à Caen, les cantiques du frère Théodore Jouenne vantent l'abolition de l'esclavage et flétrissent sans masques les jésuites et l'inquisition*.

Le banquet peut alors avoir un rôle politique et il n'y a pas toujours très loin du banquet maçonnique au banquet républicain. En effet, si, par les santés* à l'adresse du Roi, de l'Empereur puis des Bourbons restaurés dans leur autorité, les frères témoignent généralement de leur attachement au régime en place, on observe de manière récurrente, à partir de 1820, une subversion évidente dans laquelle le moment du banquet occupe une place de choix. Dans le contexte d'une maçonnerie touchée par le libéralisme* politique et mal acceptée par le pouvoir politique en place, le banquet devient en effet le lieu stratégique pour montrer sa sensibilité. On voit ainsi les loges de la vallée de la Seine, lors des élections capitales de 1827, transformer les fins de repas en moments d'adhésion unanimes autour d'une figure emblématique {Dupont de l'Eure*}, de symboles politiques forts (le drapeau tricolore) ou des chansons de Beranger qui remplacent les textes plus innocents du XVIIIe siècle. Le banquet maçonnique revêt définitivement une importance qui dépasse de loin le cadre festif. Il facilite la capacité des loges à s'intégrer dans la nébuleuse des cercles ou le politique s'insinue.
E. S.
BARERE DE YIEUZAC
Bertrand (Tarbes, 1755–1841) Fils d'un procureur au sénéchal de Tarbes, Bertrand Barere de Vieuzac nom d'une seigneurie appartenant à sa famille) fit des études de droit à Toulouse et fut reçu au barreau de cette ville le 8 juillet 1775. Bien que pourvu l'année suivante d'une charge de conseiller au sénéchal de Bigorre, il se fixa dans la capitale du Languedoc et y entama une brillante carrière d'avocat; mais c'est à Tarbes qu'il se fit élire le 23 avril 1789, député du tiers état aux Etats généraux. Ses nombreuses interventions à l'Assemblée constituante et le succès de son journal Le Point du jour l'ayant désigné comme un des principaux acteur du mouvement révolutionnaire, il fut nomme au Tribunal de cassation le 28 avril 1791 et élu, le 4 septembre 1792. député des Hautes–Pyrénées à la Convention. Président de l'Assemblée lors du procès de Louis XVI, il vota pour la mort contre l'appel au peuple et le sursis; rapporteur du Comité de salut public, dont il fut membre du 6 avril 1793 au 1er septembre 1794, il défendit la Terreur avec une éloquence qui lui valut d'être surnommé " l'Anacréon de la guillotine". La réaction thermidorienne le condamna à la déportation en Guyane (1er avril 1795). mais il parvint à rester en France et même à se faire élire député des Hautes Pyrénées au Conseil des Cinq–Cents (14 avril 1797) élection immédiatement invalidée. Amnistié après le 18 Brumaire. il se consacra à des travaux littéraires sans renoncer à briguer les suffrages de ses compatriotes bigourdans: candidat malheureux au Sénat et au Corps Législatif en 1805, il fut élu à la Chambre des représentants des Cent–Jours le 15 mai 1815. Proscrit en tant que régicide en 1816, il s'exila en Belgique* ou il demeura jusqu'en 1830. Il revint en 1832 à Tarbes; son élection à la Chambre des députés en 1834 fut une nouvelle fois annulée. mais il siégea au conseil général du département de 1833 a 1840.

La carrière maçonnique de Barère fut plus brève et moins remarquable que sa carrière politique. Initié, sans doute en 1781, à La Paix de Tarbes, où il ne résidait pas habituellement, il passa dès 1785 dans la catégorie des " associes libres" A Toulouse, alors qu'il se faisait admettre dans la plupart des sociétés académiques locales (le Musée* en 1784, I'Académie des Sciences en 1787, I'Académie des Jeux floraux en 1788), il se contenta de visiter quelques ateliers (Les Vrais Amis Réunis le 31 juillet 1782) et attendit le 23 janvier 1788 pour s'affilier à L'Encyclopédique vraisemblablement plus attire par l'orientation intellectuelle et philanthropique de cette loge atypique que par ses activités rituelles; nommé le 23 février président du Comité des sciences, il ne put s'acquitter de cette fonction, ayant quitte la ville peu après, mais il écrivit en mars 1790 à ses anciens confrères pour les encourager à continuer de cultiver les arts et les sciences. A la même époque, il fréquentait le Cercle Social. La tradition selon laquelle il aurait été chargé par le Comité de salut public d'un rapport sur le danger que pouvait constituer la franc–maçonnerie ne paraît pas fondée; en juin 1794, il laissa sans réponse une des loges " républicaines*" de Toulouse qui s'était inquiétée auprès de lui des bruits annonçant une prochaine interdiction de l'Ordre. En 1805 il figure, comme "ex–membre" La Paix de Tarbes, sur le tableau* de la loge parisienne Le Temple des Muses, rattachée au Rite Ecossais Ancien et Accepte*: c'est la dernière trace connue de son appartenance maçonnique.
BAROIN Michel Michel (1930 – 1987)
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Fils de fonctionnaire, diplômé de l'Institut d'études politiques, docteur en droit, Michel Baroin a d'abord été commissaire principal de la Sûreté (1956-1964), sous–préfet de Nogent–sur–Seine (1964–1969), puis secrétaire général du conseil général de l'Aube, de 1969 à 1971.Il est ensuite charge de mission au cabinet de deux présidents de l'Assemblée nationale, Achille Peretti et Edgar Faure. Il se situe au centre gauche avec des sympathies marquées pour le radicalisme* et le gaullisme chiraquien, et il est élu maire de Nogent–sur–Seine, puis conseiller général de l'Aube en 1973. Il devient, en 1974, P.D.G. de la Garantie mutuelle des fonctionnaires. Il fait de cette entreprise de dimension moyenne une des plus importantes sociétés mutuelles d'Europe (2 500 000 sociétaires, 3 700salaries...) et un pilote de l'économie sociale. Elle deviendra propriétaire de la Fnac. Baroin préside aussi la Fondation d'économie sociale, assure la vice–présidence du Comite national de liaison des activités mutualistes, coopératives et associatives et est l'un des créateurs de la Charte de l'économie sociale. Il crée une Fondation de l'homme–citoyen. Il est appelé en 1987 à présider le Comite du Bicentenaire de la Révolution française* avant de mourir accidentellement au cours d'un voyage en Afrique.

Initié le 12 mai 1960 à la loge* Les Amis de l'Humanité, en même temps qu'un ami d'enfance, compagnon* le 8 juin 1961 et maître* le 25 avril I962 il en devient le vénérable* de 1973 à 1976. Il entre au Conseil de l'Ordre en septembre 1976 après avoir présidé, en 1974–1975, le congrès des loges de la région parisienne. II est élu Grand Maître en septembre 1977 succédant à Serge Behar, et est réélu en septembre 1978. Reçu au 32° en 1982, il accédera au Grand Collège des Rites. Il se réclame de la tradition du socialisme humaniste de Groussier* et de Sembat* tout en s'appuyant sur l'aile la plus modérée de l'obédience*. Dans son discours d'ouverture du Convent* de 1978, il oppose le Temple* et le Forum, insistant sur la valeur initiatique et symboliste, traditionnelle et progressive de la maçonnerie. L'une des questions les plus retenue par le convent est de savoir dans quelle circonstance et sous quelle forme la maçonnerie peut et doit se manifester pour défendre ses principes. Les autres questions concernent les problèmes posés par la révolution scientifique et technologique et la finalité du travail. Au cours de l'année, le Grand Orient* progresse avec la création de 17 loges. Au Convent* de 1979, il définit la maçonnerie comme << une harmonieuse conciliation entre une attitude de perfectionnement intérieur et une volonté enthousiaste et active de servir l'humanité>>.

De son mandat, on retient une motion dénonçant les massacres commis en Iran* par les partisans du shah et surtout l'organisation du 26 au 28 janvier 1979 d'un convent extraordinaire centré sur la recherche d'une nouvelle éthique de société. Il s'achève par la mise en forme de questions auxquelles le Grand Orient est appelé à répondre au cours des années suivantes. On relève notamment le vote de la motion suivante: << Les francs-maçons du Grand Orient de France affirment qu'aucune institution (...), qu'aucune religion, qu'aucun pouvoir ne doit se substituer à la conscience humaine. La Loi, au contraire, doit favoriser la liberté des choix individuels. En conséquence, les francs–maçons du G. O. D. F., tout en réaffirmant la nécessité de développer l'information sur la contraception, se prononcent pour l'amélioration et l'application réelle de la loi Vieil sur l'interruption de grossesse.

Le Grand Maître qui le remplace est l'ingénieur Roger Leray qui, bien que relevant d'un courant de gauche au sein de l'obédience, manifeste son estime pour son prédécesseur. Baroin, qui était croyant, est le premier président de l'obédience à être enterré religieusement, depuis les Grands Maîtres du Second Empire*. En hommage à son action, une loge née d'un essaimage des Amis de l'Humanité, en 1990, porte le titre distinctif de L'Homme Citoyen.
A.C. BARRUEL Augusitin de Villeneuve-op-de-Berg, Ardèche, 1741–1820) Entré au noviciat de Toulouse en 1756 puis nommé régent au collège de la ville, Barruel devient professeur de cinquième en 1762 quand le Parlement de Toulouse interdit la Compagnie de Jésus et ordonne l'expulsion des Jésuites et la confiscation de leurs biens. Aussi, Barruel ne fera–t–il sa profession solennelle que cinquante huit ans apres ses premiers vœux le 15 octobre 1816. Etabli quelque temps en Allemagne, il est surtout connu par le combat qu'il mena contre les philosophes (Les Helviennes ou Lettres provinciales philosophiques, 1781); Barruel collabora de 1774 à 1784 à L'Année littéraire de Freron, puis au Journal ecclésiastique. Exilé à Londres de 1792 à 1798, c'est là qu'il écrivit ses fameux Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme qui paraîtront de 1797 à 1799, en cinq volumes. Mais on lui doit aussi divers ouvrages relatifs à l'actualité, en particulier sur la Constitution civile du clergé et une Histoire du clergé pendant la Révolution. De retour à Paris après Brumaire, il donne, le 8 juillet 1800, un Opuscule où il recommandait avec chaleur la fidélité au gouvernement consulaire; cela lui valut la bienveillance du Premier Consul qui le nomma chanoine de la cathédrale de Paris. En 1803, Barruel voit paraître, en deux forts volumes, une apologie du Concordat, intitulée De I'aulorite dil pape. Quand Napoléon revint de l'Ile d'Elbe, Barruel s'empressa de lui prêter de nouveau serment de fidélité. 11 mourut a 80 ans, en septembre 1820.
Barruel reste connu par son combat mené contre les philosophes et les francs-maçons; ses Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, avidement lus par les émigrés, développent ce qu'il est convenu d'appeler la théorie du complot, et c'est vraisemblablement la simplicité de la thèse qui en explique le succès. Pour Barruel, la Révolution* est le résultat d'un complot ourdi par les philosophes ("sophistes de l'incrédulité et de l'impiété" ), les francs–maçons (" sophistes de la rébellion) et les Jacobins qui furent le produit de leur alliance. La Révolution est le fruit de la décision que certains ont pris de déstabiliser le Trône et l'Autel sous couvert des principes de Liberté et d'Egalité: " Dans cette révolution française, tout, jusqu'à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité combiné, résolu, statué; tout a été l'effet de la plus profonde scélératesse, puisque tout a été amené par des hommes qui avaient seuls le fil des conspirations longtemps ourdies dans les sociétés secrètes, et qui ont su choisir & hâter les moments propices aux complots ") (Discours préliminaire).

Les encyclopédistes, Voltaire* Rousseau, Mably, Raynal, font d'abord les frais de la démonstration, mais leurs exclamations auraient été vaines sans le travail de sape mené par les francs–maçons dans le secret de leurs "arrière-loge". Cependant, Barruel qui connaît fort bien la réalité maçonnique française (il dit avoir été reçu dans une loge*), et que, les milieux fortement latomisés ont accueilli en Angleterre, se garde d'accuser les maçons en général: il accuse les "hauts maçons" ceux qui appartiennent aux degrés supérieurs de la maçonnerie. Amalgamant l'activité politique des Illuminaten*, auxquels il consacre un important développement, et celle, "philosophique" des membres de la loge des Neuf Sœurs*, brochant des citations qui hors contexte, prennent une valeur subversive, il croit que la Révolution n'obéissait à aucune nécessite autre que celle de la volonté de comploteurs issus du Grand Orient* pour l'essentiel.
Dans sa radicalité , la thèse n'a été retenue par aucun historien –à l'exception peut–être de Louis Blanc qui est un relais essentiel dans l'historiographie du complot; il est vraisemblable que les Mémoires furent un texte de propagande contre–révolutionnaire, sûrement commandité : c'est ce qu'affirment quelques contemporains et que paraît confirmer le long silence de Barruel sur les causes de la Révolution avant ses fameux Mémoires, quand dix factums l'imputaient dès 1790 aux francs-maçons. IL reste que Barruel était informé et que, malgré les amalgames et les simplifications auxquelles il se livre le procès qu'on lui a fait doit être instruit en révision. Il est clair que l'action contradictoire des francs–maçons n'explique pas la Révolution. Reste que l'on sait, de puis peu il est vrai, que dans la mouvance des Philalèthes*, une "arrière–loge" s'était constituée en 1787 qui voulait en découdre avec la monarchie. Quand on s'aperçoit que celle–ci était souchée sur celle des Amis Réunis*, qui rassemblait tout ce que l'appareil de l'Etat monarchique comptait de hauts représentants, on se doit, au moins, d'y réfléchir.
C. P.