MORCEAU D'ARCHITECTURE
MORIN
MOT DE PASSE
MOZART Léopold
MOZART Wolfang
MÜFFELMANN
MURAT Joachim
MURAT Lucien
MUSÉES
MUSIQUES
MYSTÉRES D'ÉLEUSIS
MORCEAU D'ARCHITECTURE
(planche d'architecture, planche tracée ou planche) L'expression désigne le discours prononcé en loge*. Il est improvisé par l'orateur (lors d'une simple prise de parole) ou établi par un frère à partir d'un texte de réflexion écrit. La maçonnerie anglaise (tout au moins dans les grades bleus* ou grades symboliques) en ignore l'existence car l'orateur n'existe pas et il n'y a pas non plus de « planche » c'est-à-dire de travail écrit lu par un frère faisant l'objet au moment des agapes* de commentaires par la loge. L'usage de faire des planches ou morceaux d'architecture en loge, en particulier des travaux d'érudition sur un sujet maçonnique, s'est fait petit à petit au cours du temps. Au XVIIIe siècle seuls, semble-t-il, l'orateur ou le secrétaire faisaient des interventions en loge, par exemple lors de la réception d'un nouveau frère (discours de bienvenue) puis, peu à peu, l'orateur hit des discours dont le contenu moral ne pouvait que fortifier les frères dans Sur démarche. Les discours sur les vertus maçonniques sont de plus en plus nombreux au XIXe siècle. Les procès-verbaux ou « planches tracées » d'assemblées maçonniques ou «livres d'architecture» rédigés par le secrétaire de la loge d'après les notes prises au cours des tenues*, aux XVIIIe et XIXe siècles, sont cependant peu bavards sur ce genre d'usage.
Sur un plan sémantique, le maçon devant bâtir un temple spirituel il est normal qu'il utilise le mot « architecture » (science de l'art de bâtir) pour désigner les sujets de réflexion qui sont débattus lors des travaux maçonniques.
J.-Fr. B.
MORIN
Étienne (Cahors, vers 1717-Kingston 1771) La patente qui aurait été délivrée en 1761 à Étienne Morin pour transmettre les hauts grades* est à la source du Rite Écossais Ancien et Accepté* dont elle assure la légitimité. Cette « Patente Morin » dont on ne connaît que des copies tardives et controversées est devenue presque mythique. Document fondateur, mais absent, du système de hauts grades le plus pratiqué dans le monde, il a donné lieu à de nombreux débats. Paul Naudon pouvait ainsi écrire: « Rien n'établit l'authenticité de la Patente Morin. » La question est d'importance quand on connaît l'attention portée par la franc-maçonnerie à la légitimité et à la continuité des filiations rituelles.
Jusqu'à ses dernières années, Étienne Morin lui-même était entouré d'un halo de mystère voire d'irréalité. On en a fait successivement un juif, un protestant né à New York et un sang-mêlé de Saint-Domingue. On sait aujourd'hui, par un passeport délivré par l'amirauté de Bordeaux le 24 mars 1762, qu'il est né vers 1717 (sic !) à Cahors en Quercy et qu'il déclarait professer la religion catholique. L'itinéraire qui l'a conduit de Cahors à Bordeaux* pour s'embarquer vers Saint-Domingue, puis tenter sa chance dans le négoce entre la métropole et les îles françaises d'Amérique, est un parcours classique pour les fils de la petite-bourgeoisie, quercynoise du milieu du XVIIIe siècle. Étienne Morin fut d'emblée un maçon zélé. On retrouve souvent son nom dans les plus anciens documents maçonniques concernant l'activité de l'Ordre* à Bordeaux et aux Antilles dans les années 1740 et 1750, notamment pour tout ce qui concerne les hauts grades. Ainsi dès le milieu des an-nées 1740, soit à Bordeaux, soit aux Antilles, (. le très digne frère Morin [initie] aux mystères de la Perfection écossaise " c'est-à-dire qu'il pratique et diffuse le grade d'Écossais de la Voûte Sacrée. On le trouve aussi lié au développement du grade de Chevalier d'Orient et aux débats qu'il suscite. Dans les années 1750, il fonde à Saint-Domingue un Conseil de Chevaliers du Soleil*. Maçon zélé et voyageur de métier, on le retrouve à Paris en 1761 parmi les animateurs de la première Grande Loge de France*. C'est le Grand Conseil des Chevaliers Kadosh* le cercle interne dirigeant la Grande Loge, qui lui octroie une patente avant un nouveau départ pour les Amériques.
Cette « Patente Morin » a été délivrée le 27 août 1761 par la Grande Loge des Maîtres de Paris dite de France. Elle autorise son détenteur à pratiquer et propager la maçonnerie telle que la professe alors la première Grande Loge* de France. Étienne Morin était investi d'un pouvoir sur l'ensemble des grades maçonniques y compris et surtout sur l'essentiel les « sublimes degrés de la plus haute perfection », c'est-à-dire les hauts grades. Après un périple assez long-qui le conduit en Angleterre et même en Écosse*-, il arrive à Saint-Domingue en 1763 et y amène le système maçonnique dont il avait été investi à Paris. Il s'agit d'une hiérarchie de 25 grades superposant aux 3 grades symboliques les 22 hauts grades les plus classiques de la pratique maçonnique française de l'époque. Le sommet de la hiérarchie n'est cependant plus le Chevalier Kadosh, comme à Paris en 1761, mais le Sublime Prince du Royal Secret. L'historiographie maçonnique a pris l'habitude de dénommer le système propagé par Morin « Rite de Perfection » mais lui-même le baptisait « Ordre du Royal Secret », soulignant ainsi l'importance de ce nouveau grade terminal. Est-ce un complément inventé par Morin de toutes pièces ? On l'a écrit. Peut-être lui a-t-il été communiqué lors de son périple en Angleterre et en Écosse ?
Étienne Morin consacra la fin de sa vie à la diffusion dans les îles françaises d'Amérique du système maçonnique ramené de Paris en 1761. Il fut notamment renié par les nouveaux dirigeants de la première Grande Loge de France au mi-lieu des années 1760. Il bénéficia néanmoins d'un fort soutien parmi les maçons de Saint-Domingue. Un de ses adversaires pouvait écrire: « 11 est fort éclairé et sait le tout sur le bout de son doigt. [...] I1 bouleverse toutes les loges de Port-au-Prince, des Cayes et de Saint-Marc avec les titres dont il est porteur tant de la Jamaïque que de France. Tous les F.F. de ces trois Orients le respectent comme un dieu tutélaire. » I1 meurt en novembre 1771, à Kingston, sur l'île voisine de la Jamaïque.
L'historiographie maçonnique du XIXe siècle et du début du XXe siècle accusait globalement Étienne Morin d'être I inventeur du Rite de Perfection et d'avoir forgé la plupart des grades maçonniques qu'il diffusait. Force est de constater que rien ne vient renforcer cette hypothèse dans les documents qui nous sont parvenus. Morin apparaît scrupuleusement fidèle aux usages maçonniques qui lui ont été transmis à Paris. N'écrit-il pas, par exemple à Chaillon de Jonville son souci d'« éviter [...] de pareilles innovations [...] et de faire observer uniquement le seul et même règlement de la Souveraine et Grande Loge de Paris ». Cette correspondance suggère un sérieux qui jure avec le portrait peu flatteur, voire l'image de faussaire, qu'en ont dressé certains historiens maçonniques. En implantant « aux îles» le système de la maçonnerie parisienne des années 1760, Étienne Morin a assuré la survie de ce témoin de l'âge d'or des hauts grades. C'est des Antilles via l'Amérique, que quelques maçons le ramenèrent à Paris en 1804 où il avait dis-paru depuis bien longtemps. Sous le nom de Rite Écossais Ancien et Accepté il connut un succès croissant jusqu'à devenir le système de hauts grades le plus pratiqué dans le monde.
P. M.
MOT DE PASSE
La première mention de cette expression intervient seule-ment en 1745 dans un ouvrage publié à Amsterdam par un auteur anonyme L'Ordre des francs-maçons trahi, pâle copie du Secret des francs-maçons de l'abbé Pérau (1742) et du Catéchisme des francs-maçons de Louis Travenol (1744) . La section du catéchisme intitulée « Signes, attouchements et mots » présentait l'interrogatoire suivant:
« Q- Quel est le mot de passe d'un apprenti* ?
-R-...
-Q- Celui d'un compagnon* ?
-R-...
Q- Celui d'un maître* ?
-R-... »
En outre, une note infrapaginale s'efforçait d'expliciter les raisons de l'introduction de cet usage, considéré comme une exception dans le déroulement des cérémonies des trois premiers grades*: « Ces mots de passe ne sont guère en usage excepté en France et à Francfort-sur-le-Main lls sont dans la nature des mots du guet introduits pour s'assurer d'autant mieux des frères que l'on ne connaîtras. »
Cette présence est également attestée, au cours des années suivantes dans deux autres satires Dans La Désolation des entrepreneurs (1747), qui comprend des catéchismes distincts pour chacun des trois grades. on demande au candidat, après lui avoir préalablement dévoilé et explicité: « Quel est le mot de passe des apprentis?». afin qu'il restitue la réponse adéquate. Le Maçon démasqué (1751) s`attache à une description plus minutieuse de la cérémonie d'initiation*. Le nouvel apprenti, dès la communication du mot approprié, fait le tour de la loge* afin d être examiné par les différents officiers*, puis retourne vers le maître qui s'adresse à lui en ces termes: « Nous avons découvert, mon cher frère, que le mot... était venu à la connaissance d'un profane par la perfidie ou par la négligence de quelque frère, et la maçonnerie, toujours soucieuse de cacher ses profonds mystères au profane avait sur-monté cette difficulté par l'invention ingénieuse d'un mot de passe, afin de renforcer son secret. Ce mot est... »
L'identification du cou an (le manoeuvre étranger au métier) était une coutume fortement ancrée chez les opératifs* et dans le monde des guildes*. En 1452, Dotzinger, l'architecte* de la cathédrale de Strasbourg, envisageait de donner aux maçons un mot de passe et un signe* de reconnaissance. En 1655, les autorités religieuses de la Sorbonne tenaient à y faire référence dans leur condamnation solennelle des pratiques sacrilèges des guildes. Enfin, la présence, au sein des premières loges françaises d'un nombre non négligeable de membres de ces confréries aurait favorisé la pérennité d'un usage que le chevalier Ramsay*, dans son célèbre Discours du 26 décembre 1736, inscrivit dans une tradition chevaleresque: « Nous avons des secrets, ce sont des signes figuratifs et des paroles sacrées [...] pour le ; communiquer à la plus grande distance :*t pour reconnaître nos confrères [...] C'étaient des mots de guerre que les croisés se donnaient les uns aux autres pour se garantir des surprises des Sarrasins, qui se glissaient souvent parmi eux afin de les égorger. »
En Angleterre, l' introduction des mots de , passe est indéniablement liée à la création de la Grande Loge des Anciens* ainsi que l'atteste une divulgation publiée en 1760, The Three Distinct Knocks qui expose leur pratique rituelle. Absents au premier grade, les " mots de passe du métier », tels qu'ils sont également désignés sont conférés à l'impétrant en préalable de son accession aux grades de compagnon et de maître: « Q.- Comment espérez-vous l'atteindre ?-R.- Par le bénéfice d'un mot de passe. »
Cet usage pourrait avoir été en vigueur dans les loges irlandaises dès le début des années 1730. Ainsi, un atelier qui regroupait presque exclusivement des catholiques irlandais expatriés, avait été formé à Lisbonne en 1733-1734. Fermé dès la promulgation de la bulle d'excommunication contre les francs-maçons (1738) ses membres furent déférés devant l'inquisition* et, au cours de son interrogatoire, un des frères incriminés, Dionizio Hogan, originaire de Newton en Irlande et présentement lieutenant de cavalerie dans le régiment d'Alcantara, fit la déposition suivante: « Et les cérémonies exécutées consistaient à donner certains signes permettant de se reconnaître mutuellement selon le grade atteint dans la-dite société, aussi bien que certains noms tels que B-J-T-. »
En 1798,l'écrivain rituéliste John Browne, dans The Master Key, qui expose les usages en vigueur chez les Modernes* précisait que la communication du mot de passe intervenait après celles des mots signes et attouchements du grade.
Conscient de ces graves déviances le maître de la Lodge of Promulgation, lors de la séance du 28 décembre 1810, essaya de rappeler son importance: après avoir « esquissé une vision rétrospective du déroulement d'une tenue* dans les trois degrés de l'Ordre* [il] se mit à désigner des parties distinctes au sein et entre les différents grades sur lesquelles il conviendrait absolument de porter l'attention pour préserver les landmarks* de l'ordre, tels que [...] la restauration des mots de passe à chaque grade et la communication des mots de passe entre un grade et l'autre et non plus au sein du grade même ».
Fr. D.
MOZART Léopold
(1719-1787) Le père de Wolfgang auteur de la célèbre Symphonie des jouets, pâtit d'une image négative. Père autoritaire, il n'aurait eu de cesse que de faire valoir les dons de ses deux enfants, Wolfgang Amadeus et sa soeur violoniste Nanerl qu'il mena de cour en cour entre 1762 et 1770. Sous l'emprise de leur père admiratif et intéressé, les deux prodiges auraient été privés d'enfance. On impute en outre à Léopold l'épuise ment prématuré de son fils. Adulte, Wolfgang Amadeus porte en lui l'image d'un père exigeant, soucieux de sa carrière. Pourtant, les lettres qu'il lui adresse témoignent de sentiments plus complexes, mêlant amour, dévouement, désir d'indépendance et de conflits étouffés. La maçonnerie donnera d'ailleurs à Wolfgang Amadeus l'occasion de renverser les rôles. En effet, initié depuis en 1784, il incite son père à entrer dans sa loge*; La Bienfaisance de Vienne le reçoit donc le 6 avril 1785. Léopold est promu compagnon* par La Vraie Concorde le 16, et maître* le 22 du même mois. La rapidité des promotions s'explique par le fait que Léopold Mozart doit retourner rapidement à Salzbourg. Après un banquet organisé le surlendemain de son élévation par L'Espérance Couronnée, Mozart père quitta Vienne. Il ne devait plus jamais revoir son fils.
Chr. N.
MOZART Wolfang
Amadeus (Salzbourg, 1756-Vienne, 1791) Il est certainement le compositeur auquel les musicologues ou « musico maçonnologues » ont consacré le plus de recherches et d'analyses. La lecture symboliste des ouvres maçonniques, ou à caractère maçonnique, de Mozart a soulevé des débats, notamment depuis I essai de Jacques Chailley (1991) sur La Flûte enchantée. L'ouvrage développe l'hypothèse d'une symbolique des tonalités dont se serait inspiré Mozart, symbolique assortie d'autres référents sonores maçonniques tels que les formules rythmiques ou les procédés d'écriture. Plus précisément, Philippe Autexier a mis en valeur l'influence de la rythmique maçonnique (les batteries*) dans les ouvres de Mozart. Une chose est certaine: l'entrée en maçonnerie de Mozart fut une étape déterminante de sa vie, et son initiation* eut sur lui des répercussions sociales et morales, mais aussi artistiques (les thématiques maçonniques constituèrent pour lui une nouvelle source d'inspiration) et spirituelles (il intègre l'idée d'une mort « domptée », amie de l'homme, synonyme de commencement plutôt que de néant) .
En loge*, il se révèle un musicien actif participant aux concerts, les dirigeant parfois. C'est un agent efficace du rayonnement maçonnique. Mozart-maçon laisse apparaître un être profond et enthousiaste, pensant et réactif, qui trouve appuis et sou-tiens auprès de ses frères, probablement plus dispendieux que miséreux et entouré et admiré autant qu'incompris et jalousé.
C'est à 28 ans qu'il a été initié, à La Bienfaisance, le 14 décembre 1784. A cette époque, la maçonnerie viennoise reste fragile: sur sept loges, trois seulement ont une quinzaine d'années d'existence. La loge de Mozart est issue d'un autre atelier, La Vraie Concorde; elle est créée en 1783, et ses effectifs sont si limités qu'il faut demander le concours de la loge mère* pour les cérémonies. L'admission de Mozart a donc lieu à La Vraie Concorde que préside Ignaz von Born*. Élevé au grade de compagnon* le 7 janvier 1785, il devient rapidement maître*, le 13 du même mois.
Les loges viennoises, qui ont fusionné pour constituer La Nouvelle Espérance Couronnée, deviennent des lieux où s'épanouissent pratiques mondaines philanthropiques et culturelles. Le compositeur côtoie d'éminentes personnalités du monde musical. Sur son parcours, Mozart rencontre des éditeurs, Ignaz Alberti et Torricelle, des artistes lyriques* Ludwig Fisher (basse) et Adamberger le compositeur Adam Mitscha. L. L. Haschka (auteur des paroles de l'Hymne imperial), les cornistes V. Springer et A. David, le haut-boïste N Colombàzzo l'amateur A. Tinti violoniste de talent ou encore le chef de choeur Georg Spangler (église Saint-Michel de Vienne),
Son entourage offre des conditions idéales aux pratiques musicales et à la composition.
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Dés janvier 1785, il transcrit ses « impressions maçonniques » dans deux oeuvres instrumentales (les quatuor à cordes en la majeur K 464 et en ut majeur K 465) et, en mars, il achève son Concerto pour piano et orchestre (ut majeur, K 467), dans l'andante duquel on relève des éléments de la cantate maçonnique (K 471).
Ce mois-là, il propose sa première oeuvre vocale spécifiquement maçonnique (Die Gesellenreise « Le voyage du compagnon », K 468) puis, le mois suivant, il finit Die Maurerfreude (« La joie des maçons », K 471 ).
Viennent ensuite un cantique de chaîne d'union* O .heil' ges Band (« Ô lien sacré » K 148). une pièce pour choeur et orchestre sur un texte latin, une mise en musique de deux poèmes de K. J. Friedrich, Des Todes Werk et Vollbracht ist, die Arbeit. L'année 1785 est fructueuse et s'achève en novembre par la composition de l'Ode funèbre maçonnique (K 477). Entre-temps, Die Maurerfreude a connu deux éditions, l'une maçonnique (au profit des pauvres) et l'autre profane. .De plus, Mozart a très probablement participé (en octobre et en décembre) à deux manifestations de bienfaisance organisées par sa loge pour venir en aide à deux maçons virtuoses du corde basset (Anton David et Vinzent Springer). L'intense activité du compositeur en 1785 donne la mesure de l 'engouement lié à son entrée dans sa « nouvelle famille ».
Après l'« envolée », les années 1786 et 1787 semblent faire pâle figure. On note la mise en musique de deux poèmes (Unissez-nous aujourd'hui et Vous, nos nouveaux guides) pour l'inauguration de la nouvelle loge de L'Espérance Couronnée (janvier 1786).
L'année 1788 voit Mozart commencer à solliciter des aides financières auprès de son frère Johann Michael Puchberg. Il lui adresse trois lettres en juin et une en juillet. En 1789 Puchberg finance les soins apportés à la femme de Mozart en convalescence à Baden. La correspondance s'intensifie en 1790 et se prolonge jus-qu'en 1791. Les reconnaissances de dettes s'accumulent, mais Mozart trouve toujours le loisir d'écrire pour sa loge. En 1790 il met en musique trois poèmes et compose sa cantate pour orchestre Laut verkünde unsere Freude (K 623). Elle doit être interprétée pour la fête d' inauguration du nouveau temple de L'Espérance Couronnee et fait directement référence à la chaîne d'union*. Mozart est souffrant et craint de ne pouvoir assister à la cérémonie. Finalement, il dirige lui-même son oeuvre, le 17 novembre, mais deux jours plus tard il est. frappé par la maladie qui l'emportera.
On est peu surpris, en janvier 1792, de voir sa loge lui rendre hommage al cours d'une cérémonie de réception et décider de prendre en charge une édition de luxe de sa dernière cantate; le produit de la vente étant destiné à sa veuve et à ses deux orphelins. La loge témoigne de son attachement à Mozart et à sa famille. El le montre que le compositeur n'est pas mort dans l'isolement et le dénuement laissant les siens dans l'infortune. Durant l'année 1791, il toucha en effet environ 6000 florins et, après son décès, son épouse put vendre plusieurs de ses compositions pour la somme de 3 600 florins. Si son corps fut bien mené sans cortège à la sépulture communautaire, c'est que la réglementation obligeait à de telles pratiques, par crainte des épidémies.
Les ouvres maçonniques de Mozart (une quinzaine) sont les plus abouties et les plus inspirées jamais écrites pour l'Ordre. En France, on a d'abord entendu en loge des extraits des Mystères d'lsis, adaptation de Die Zauberflote, intégrés aux pro-grammes maçonniques dès le début du x~r siècle. Cela explique peut-être l'intérét suscité par La Flûte enchantée chez les musicologues français. L'adoption de cet opéra par les maçons français a pu inciter certains analystes à le considérer comme le testament maçonnique de Mozart.
Chr. N.
MÜFFELMANN
Leo (Rostock, 1881-Berlin, 1934) Après de brillantes études universitaires, couronnées le 15 février 1902 par un doctorat en philosophie magna cumlaude, Leo Müffelmann est engagé à la Dresdner Bank à Berlin, puis devient directeur d'une usine de produits chimiques à Güstrow. Il est initié à Berlin le 20 novembre 1913 à la loge Humanitas (Grande Loge de Hambourg) par son père, Ludwig Müffelmann, qui en est vénérable* en présence de Hjalmar Schacht (1877-1970) futur président de la Reichsbank. Officier pendant la Première Guerre mondiale, il reçoit la Croix de fer de llt classe. En 1919, il fonde le syndicat des cadres à Berlin.
Le 4 juin 1921 jour de l'installation* de la loge Zu den alten Pflichten (Grande Loge de Hambourg) qu'il fonde avec son père à Berlin et dont il est l'orateur, il sou-ligne la signification des théories d' Einstein pour l'appréhension du monde et ajoute: « À mon avis, la bienfaisance de même que la propagande nationaliste ont, tout compte fait, peu de rapports avec l'Art royal*. Tout ce qu'accomplissent d'autres organisations ne peut pas constituer l' essence de la maçonnerie . Si celle-ci veut conserver-peut-être devrait on dire retrouver-sa signification, alors elle doit donner un nouveau contenu à ses formes anciennes. »
En septembre 1926, il est alors vénérable de la loge Bluntschli zur reinen Erkenntnis* de la Grande Loge Zur Sonne de Bayreuth, Müffelmann participe à une réunion organisée à Belgrade par l'Association Maçonnique Internationale (AMI) au cours de laquelle il dit: « Belgrade doit devenir le Locarno de la franc-maçonnerie » et échange spontanément le baiser de paix avec Arthur Groussier*, Grand Maître du Grand Orient de France*. Une loge de son obédience* de-mande son exclusion. Le Grand Maître Adjoint de Bayreuth l'historien Bernhard Beyer, tente vainement de l'influencer pour qu'il ne participe pas au congrès de la Ligue Universelle de Francs-maçons (LUF) qui doit se tenir à Bâle les 1er et 2 octobre 1927. Muffelmann y est élu président de la section allemande. En janvier 1928, le comité directeur de sa Grande Loge discute à nouveau de son exclusion. Müffelmann assiste en avril à Paris à une réunion à laquelle participent les Grands Commandeurs Dop (Pays-Bas*) et Lennhoff (Autriche) au cours de laquelle l'introduction du Rite Écossais Ancien et Accepté* en Allemagne est évoquée. L'hostilité que rencontre son action internationale force Muffelmann à quitter la Grande Loge de Bayreuth. Sa lettre de démission, datée du 2 juin 1928, lue le lendemain à la réunion annuelle de son obédience qui se préparait à l'exclure, sera abondamment commentée dans la presse maçonnique allemande.
Il s'affilie alors à la loge Labor de Vienne relevant de la Grande Loge d'Autriche*, dont fait également partie le journaliste hongrois Ede Janos (Edward John) Bing. En septembre 1929, Müffelmann est co-opté au directoire de la LUF et, le 24 novembre il est élevé au 33° en même temps que Bing par le Suprême Conseil d'Autriche. Bing et Müffelmann fondent ensemble le Suprême Conseil d'Allemagne le 10 février 1930 à Berlin. lls assistent à Paris à la fête de la loge Goethe, le 25 avril. Les 26 et 27 juillet, la Grande Loge Symbolique d'Allemagne est fondée à Hambourg, Müffelmann en est élu Grand Maître. L'ensemble de la presse maçonnique allemande se déchaîne contre ces deux créations.
En octobre paraît 1e premier numéro de l'organe de la nouvelle Grande Loge Die alten Pflichten, dont l'article de tête est écrit par Müffelmann . Il y résume les deux raisons fondamentales qui ont amené la fondation d'une dixième Grande Loge en Allemagne: la nécessité d'une coopération maçonnique internationale et celle de l'approfondissement du travail commencé dans les trois grades symboliques au sein des hauts grades* du Rite Écossais Ancien et Accepté, deux idées, écrit il, qui ne sont acceptées ni par les trois Grandes Loges de Prusse, ni par le groupe des Grandes Loges Humanitaires. Le 31 mars 1931, il crée la loge Zur Quelle Siloah à Jérusalem « Palestine). Le même jour, Muffelmann et sa Grande Loge sont violemment attaqués dans un article du Völkischer Beobachter. En février 1932, il écrit dans Die alten Pflichten: « Le national-socialisme est l'ennemi de la franc-maçonnerie. La franc-maçonnerie adopte et doit adopter une position de combat envers le national-socialisme. »
Après l'accession au pouvoir de Hitler auquel les Grands Maîtres des Grandes Loges Prussiennes adressent des télégrammes de félicitations, Muffelmann et ses Grands Officiers décident de mettre leur Grande Loge en sommeil le 28 mars 1933. Le Suprême Conseil fait de même le 31 mars mais, au cours d'une réunion te-nue au mois de juin, nomme Muffelmann Grand Commandeur Intérimaire. Le 5 septembre, il est arrêté par la Gestapo. Emprisonné pendant un mois à la préfecture de police de Berlin, il est interné au camp de Sonnenburg le 6 octobre et violemment maltraité. Sa libération le 26 novembre est due à l`intervention du Grand Commandeur de la Juridiction Sud des États-Unis*, John Henry Cowles, auprès de l'ambassadeur d'Allemagne. À nouveau interrogé par la Gestapo en février 1934, il est mis en demeure de signer une lettre par laquelle il affirme ne pas avoir subi de sévices. Leo avril, il part à nouveau pour la Palestine, y fonde la Grande Loge Symbolique d Allemagne en exil, élève quatre frères au 33°, puis rentre à Berlin où il meurt le. 29 août des suites de son internement.
L'action de Müffelmann sera délibéré-ment déformée et occultée après 1945 à tous les niveaux de la franc-maçonnerie allemande. Sa vie prouvait qu'il était concevable de résister passivement au fascisme*, ce qu'une infime minorité de frères allemands avait accompli, et qu'une résistance active était possible. On prétendra qu'il était juif, alors qu'il était protestant. On affirmera qu'il aurait créé sans autorisation (!) un Suprême Conseil d'Allemagne en exil, ce qui était inexact Pour accréditer la légende d'une franc-maçonnerie allemande résistante, Muffelmann devait être d'autant plus oublié que sa Grande Loge et le Suprême Conseil dont il était Lieutenant Grand Commandeur n'avaient pas été reconnus par les maçonneries de langue anglaise. Quelques historiens contemporains ont empêché la manoeuvre de réussir.
A.B.
MURAT Joachim
(La Bastide-Fortunière, 1767-Calabre, 18t5) Fils d'un aubergiste, Joachim Murat se distingue lors de la campagne d'ltalie en 1796: il est promu général de brigade le 10 mai 1796 puis sert en Égypte. En 1800 il épouse Caroline Bonaparte* et accompagnera Napoléon tout au long de sa carrière. Le 20 avril 1800, il est nommé commandant de la cavalerie en Italie. Il se fait initier le 26 décembre 1801 à Milan à la loge* L'Heureuse Rencontre. Maréchal d'Empire' en 1804, il s'empare de Vienne l'année suivante. Sa carrière maçonnique se poursuit brillamment: le 5 avril 1805 il devient Grand Maître Adjoint du Grand Orient de France* et, le 30 septembre. il est élu Premier Grand Surveillant Nommé Grand Amiral et prince de l'Empire, Grand Aigle de la Légion d'honneur il resoit les duchés de Berg et de Clève`s en 1806. L'année 1808 voit Murat continuer son ascension aussi bien dans le corps maçonnique que dans la société profane: il est vénérable* de La Colombe, une loge qui change bientôt son titre contre celui de Sainte-Caroline en l'honneur de son épouse la sœur de l'Empereur. Le 15 juillet de la même an-née, il devient Joachim 1er roi de Naples et de Sicile. Le 27 octobre 1809, il fonde le Grand Orient du royaume de Naples dont il devient le Grand Maître. Il est Très Puissant Souverain Grand Commandeur et Grand Maître du Conseil Suprême des Puissants et Souverains Grands Inspecteurs Généraux pour le royaume des Deux-Siciles.
Mais l'Europe napoléonienne est menacée: il se rapproche des Alliés après la campagne de Russie dans l'espoir de conserver son trône. Il est cependant déchu en 1815. Alors qu'il tente de reconquérir son trône, il est arrêté et fusillé.
P.-Fr. P.
MURAT Lucien
(La Bastide-Fortunière, 1803-Calabre, 1878) Représentant du Peuple puis sénateur en 1852, Lucien Murat n'apparaît sur la scène maçonnique qu'en 1851 quand l'état-major du Grand Orient*. craignant que l'obédience* ne soit dissoute, cherche un protecteur efficace. Son nom est mis en avant par le frère Kiener, un des signataires de l'Appel maçonnique à voter Bonaparte*. I1 aurait été initié en Autriche à l'âge de 18 ans dans le château de Frohsdorf par des officiers amis de son père, réunis en loge* « sauvage »
Aprés le coup d'État du 2 décembre 1851 il fallait trouver un Grand Maître susceptible de rassurer les autorités. Le titre était vacant depuis 1814. Le Grand Orient n'a pas le choix: le nom de Murat, cousin du Prince-Président s'impose. Lucien accepte après avoir consulté le président de la République qui aurait tenu « les propos les plus flatteurs sur la franc-maçonnerie* ». On comprend son accord: dirigée par Murat, contrôlée par son équipe, elle n'est plus dangereuse et peut servir sa cause comme elle avait servi celle de son oncle. La suite n'est qu'une formalité. Le Conseil du Grand Maître, le 9 janvier 1852, approuve. Les députés du sénat maçonnique, réunis le soir même, votent favorablement à l'unanimité. 27 opposants, pour concilier les impératifs de leur conscience et les nécessités politiques, ont « couvert le temple* ».
Murat est installé le 26 janvier comme « Grand Maître de l'Ordre maçonnique en France » au cours d'une cérémonie grandiose à laquelle participe la musique du 58' de ligne et en présence de délégations de 200 loges. Dans son intervention, il sou-ligne que sa nomination offre des garanties de sûreté « tant au gouvernement qu'à l'Ordre maçonnique lui-même ». Son objectif est de faire du Grand Orient une obédience loyaliste, qui pratique la charité et regroupe des croyants rendant un culte au Grand Architecte de l'Univers*.
Dans un premier temps, il obtient la réouverture de nombreuses loges fermées après le coup d'état. Il conclut, le 10 juillet l'achat de l~hôtel Cadet pour loger l'obédience et dans ce but constitue une société civile car le Grand Orient n'a pas d'existence légale. Il procède à un premier toilettage de la constitution mais, comme il se heurte à la mauvaise volonté du sénat maçonnique il va faire procéder à sa révision complète au cours d'un Convent* qu'il réunit en 1854. La définition de la maçonnerie est débarrassée de toute connotation républicaine et devient: « L'Ordre* des francs-maçons a pour objet la bienfaisance l'étude de la morale universelle et la pratique de toutes les vertus. Il a pour base: l'existence de Dieu, I'immortalité de l'âme et l'amour de l'humanité. ll est composé d'hommes libres qui, soumis aux lois se réunissent en société régie par des statuts généraux et particuliers. » Sa devise est prudemment reléguée, et sous conditions, à l'article 111 qui précise: « La maçonnerie conserve toujours son ancienne devise: Liberté, Égalité Fraternité mais elle rappelle à ses adeptes que travaillant dans le domaine des idées, un de leurs premiers devoirs, comme maçons et comme citoyens, est de respecter et d'observer les lois des pays qu'ils habitent. »
Murat, élu Grand Maître pour 7 ans, s'attribue pratiquement tous les pouvoirs.
Il est entouré de dignitaires qu'il nomme pour le temps qu'il juge convenable: les deux Grands Maîtres Adjoints, les trois Grands Dignitaires, les sept Grands Officiers d'honneur.
En revanche, le Conseil du Grand Maître se compose de 21 membres élus par le Convent pour trois ans et renouvelables chaque année par tiers.
Tout candidat doit obtenir préalablement le. consentement du Grand Maître, et il ne dispose d'aucun pouvoir.
Il se tient désormais un Convent annuel le lundi de la Pentecôte avec la participation des maçons membres de l'exécutif et d'un délégué par atelier. Les diverses chambres disparaissent. Privée de permanence et d'initiative, l'assemblée ne peut qu'émettre des veux et adopter des me-sures fiscales mais, pour la première fois, les loges de province participent directe-ment à la vie de l'obédience.
Les ateliers doivent verser de lourdes charges, ce qui provoque la mort des petites loges à recrutement populaire. Murat impose aux divers convents des règles de fonctionnement insupportables. Il crée, en 1856, pour «professer le dogme » un institut dogmatique composé de maçons de hauts grades* qu'il désigne.
Le Grand Orient, en 1857, touche le fond, d'où de graves difficultés financières. Le nombre des ateliers passe de 323 en 1855 à 244. Seuils quelques ateliers bonapartistes sont enviés pour l'éclat de leurs cérémonies. Ils n'attirent pas les élites du régi me , car la maçonnerie reste mal co n-sidérée.
Aussi le premier souffle de libéralisation provoque la chute de Murat. Celui-ci vote au Sénat un amendement en faveur du maintien de la souveraineté temporelle du Saint-Siège*, ce qui provoque un tollé dans les milieux maçonniques et fait surgir la candidature rivale du prince Jérôme, également cousin de l'empereur mais « bonapartiste de gauche ». Les promoteurs de cette candidature sont suspendus. Le Convent de 1861 doit élire le nouveau Grand Maître. Les délégués reprennent d'emblée le droit usurpé par le Conseil de vérification des pouvoirs. Vexé, Murat reporte les séances au vendredi mais les bureaux décident de se réunir et de procéder à l'élection du prince Jérôme. Les sergents de ville appelés par Rexès, le factotum du Grand Maître, n'osent intervenir.
Le lendemain Murat revient sur sa décision de prorogation et les délégués, légalement, élisent le prince Jérôme. Murat réagit brutalement en faisant intervenir les autorités. Le préfet de police fait sa-voir, par affiche, qu'il est interdit aux maçons de se réunir avant le mois d'octobre. La validité du vote n'est pas reconnue. Comprenant qu'il ne sera jamais ré-élu, Murat confie les pleins pouvoirs à une commission de Grands Conservateurs, choisis parmi ses proches, et le 30 octobre, quand ses fonctions prennent fin, il fait savoir qu'il ne se représentera pas. Son successeur, le maréchal Magnan, est nommé par l'empereur.
A.C.
MUSÉES
Les musées témoignent de la volonté des élites réformatrices de la fin de l'Ancien Régime de renouveler le champ de la sociabilité académique (académies*) en proposant une structure ouverte aux non-catholiques et au monde du négoce. Dès sa fondation, à laquelle les francs-maçons ont largement contribué, en 1783, le Musée de Bordeaux* rend un hommage appuyé au négoce. « premier des arts, si bienfaisant et si méprisé », alors que l'Académie dévalorise encore le negotium, cette agitation perpétuelle de la marchandise qui fait la fortune du port atlantique, au bénéfice de l'otium, le loisir aristocratique. Sensibles à l'utilitarisme des Lumières*, les musées proposent des cours de mathématiques. de chimie de physique, d'anatomie de langues étrangères de dessin... à tel point qu'ils deviennent parfois de véritables institutions supérieures d'enseignement libre. Ils publient des recueils de travaux voire des journaux. Les musées répondent ainsi à la soif de culture profane d'une bourgeoisie à talents qui peut parallèlement au chantier de l'Art royal*. cultiver les muses dans ces cercles au recrutement choisi mais sans exclusive. Porteurs d'un projet éducatif et philanthropique, leur philosophie apparaît proche de celle des loges maçonniques les plus dynamiques, qui recherchent le parrainage des élites mais s'épanouissent en marge des cadres de l'Ancien Régime.
Signe d'une réelle convergence et d'une complémentarité en terme de sociabilité, les francs-maçons donnent une impulsion décisive aux fondations des différents musées. À Paris Les Neuf Sœurs*, qui se définissent comme une « société de francs-maçons qui cultivent les sciences et les beaux-arts » sont à l'origine de la Société apollonienne (1780), le futur Musée de Paris de Court de Gébelin*, dont le concurrent n'est autre que le musée scientifique et futur Lycée du frère Pilâtre du Rosier. À Bordeaux, 55 des 150 membres ont pu être identifiés comme francs-maçons, mais Johel Coutura estime que la double appartenance devait en fait concerner la plupart des membres du Musée. On note que, lorsque les projets de musée n'ont pas pu se concrétiser, les francs-maçons sont à l'origine de sociétés aux ambitions comparables C'est le cas du Collège des Philalèthes* de Lille, de la Société des Philathènes de Metz ou encore du Cercle des Philadelphes, seule structure académique coloniale, à mi-chemin entre l'académie et le musée, animée par les francs-maçons de Saint-Domingue qui la dotent d'un réseau de correspondance particulièrement étoffé.
P.-Y. B.
MUSIQUES
Dès ses origines, la maçonnerie spéculative a intégré la musique comme mode d'expression à la propagation de ses principes et la diffusion de ses enseignements. Les textes d-Anderson* (1723) comprennent quatre chansons, données en annexe. Même en marge, la publication de ces chants est significative. Elle est d'ailleurs suivie de faits: en 1725, la ioge* londonienne Queen's Head reçoit deux compositeurs, E. P. Ball et F. Geminiani. Leur recrutement est motivé: il s'agit d'assumer la direction artistique de la Philo-Musicae et Architecturne Societas .Apollini. Non reconnue par la Grande Loge*, elle peut être considérée comme une première forme de société musicale paramaçonnique. Malgré son « irrégularité », ses artistes ne tardèrent pas à rayonner dans les ateliers et le modèle fait bientôt des émules sur le continent, essentiellement à partir des années 1770-1780. On sait ainsi que La Société Olympique* fut commanditaire de certaines symphonies de Haydn*.
Lorsque l'on observe de façon globale et diachronique les relations qui unissent la musique et la franc-maçonnerie* on s'aperçoit qu'il n'existe pas une musique type mise en œuvre dans des pratiques figées. S'il est d'usage de placer au premier plan la musique dite rituelle interprétée par des maçons pour des maçons au cours de cérémonies précises, les faits montrent que la réalité des pratiques musicales maçonniques est variée. De manière schématique on peut classer les musiques maçonniques en trois groupes distincts.
Le concert de loge est une séance musicale incluse dans une cérémonie véritablement indépendante. C'est ce type de pratiques qui a fait le prestige de La Loge Olympique ou celui des Neuf Sœurs* au XVIIIe siècle. Plus modestes sans doute au XIXe siècle ces concerts permettaient au monde profane d'entrer en contact avec la maçonnerie: le public pouvait être en partie composé de non-initiés. Les musiciens n'étaient pas nécessairement maçons et la loge organisatrice utilisait d'autres locaux que son temple*.
La chanson est une pratique plus démocratique bien ancrée dans les travaux intimes des loges. Les chants sont entonnés en chœur et un frère non artiste tient à l'occasion le rôle de soliste en chantant les couplets, tandis que ses frères reprennent le refrain. Ces pratiques appartiennent incontestablement à l`environne-ment musical du maçon. Elles sont à l'origine d'une production massive de chansons maçonniques écrites sur timbre (air connu).
Un troisième groupe rassemble des manifestations variées, qui se diversifient un peu plus au XIXe siècle sous l' influence d'une musique amateur florissante. Les contacts entre les loges maçonniques et les sociétés chantantes ou philharmoniques sont très nombreux. Il arrive aux musiciens maçons de participer à des fêtes de commémoration à l'extérieur. Par exemple, en 1845, les artistes de l'harmo-nie des Frères Réunis participèrent, avec leur loge à l'inauguration de la statue d'Erwin de Steinbach, dans le Grand-Duché de Bade.
Inversement, une société d'amateurs peut venir prêter main-forte aux frères de l'harmonie. C'est le cas de la chorale des Enfants de Lutèce qui se joignit aux frères Triebert Lincelle et Jancourt pour agrémenter une fête philanthropique (1852) organisée à Paris par la loge Isis-Montyon dans la salle Valentino. Pour sa part, la loge Jérusalem des Vallées Égyptiennes invita en 1860 la société Les Tyroliens de Montmartre. Les musiques régimentaires également eurent souvent l'occasion de travailler avec les musiciens francs-maçons. À Strasbourg, L'Harmonie Militaire agrémente des travaux maçonniques en 1870.
La musique a été pour la maçonnerie un outil aux fonctions diverses et complémentaires. Sans vouloir remettre en cause la fonction rituelle, elle n'est pas systématiquement la fonction primordiale. Le langage musical maçonnique et ses interprètes constituent un outil efficace de prosélytisme (concerts) et de formation (chants à usage interne), un outil d'ouverture sur le monde extérieur (cérémonies en partenariat avec d'autres associations) un moyen d'inscrire la maçonnerie dans le tissu social et de ramifier ses réseaux de sociabilité.
Durant la première moitié du XXe siècle, quelques manifestations ont été organisées rappelant les concerts de bienfaisance de jadis. Généralement, le répertoire* utilisé était profane, de meme que celui des matinées récréatives proposées dans les années 1920-1940 par certaines loges pour leurs membres et leurs familles. C'est pendant ces années qu'une nouvelle forme de pratiques musicales appariait: le concert-conférence. L un et l'autre n'ont pas nécessairement de rapport thématique. L entre-deux-guerres voit ainsi un regain d'intérêt pour les cérémonies avec musique vivante. Leur augmentation, en comparaison avec des pratiques analogues au cours des deux décennies précédentes, est de I ordre de 28 %... mais ce regain d'intérêt est éphémère.
Après la Seconde Guerre mondiale, la question des pratiques musicales occupe peu les maçons. Au demeurant, l'enregistrernent discographique vient judicieuse-ment résoudre les problèmes matériels et humains qu'elles supposent. De nos jours, les cérémonies maçonniques donnent la priorité à une musique purement ornementale, essentiellement enregistrée sur cassette. Les pratiques musicales vivantes hormis le chant dans le temple ou pendant le banquet, sont exceptionnelles.
Chr. N.
MYSTÈRES D'ÉLEUSIS
De nombreux mystères ont fait rêver le monde antique. Les souvenirs et les légendes qui leur sont rattachés ont fait divaguer nom bre de nos contemporains. Les, documents concernant les secrets d'Eleusis, thème important dans la question. des « origines* » de la franc-maçonnerie* sont rares. On parvient néanmoins à dégager l'essentiel: la ré actualisation dans des rites* d'événements primordiaux et exemplaires, rapportés dans le mythe qui célèbre Déméter et sa fille Perséphone nommée aussi la Vierge, Korè (Choré) Hadès roi des enfers, enlève Perséphone et l'entrâîne au fin fond du monde chtonien, dans l'insondable Tartare. Perséphone avait eu la faiblesse d'accepter de son ravisseur des pépins de grenade (fruits que l'on retrouve d'ailleurs dans les décorations des colonnes de temples maçonniques). Désespérée, Déméter se lance à la recherche de sa fille, pendant neuf jours, neuf nuits, sans repos ni nourriture. Zeus informé ne veut prendre parti; il ne souhaite pas se brouiller avec Ha-des. Déméter rend alors stérile la terre et l'humanité est menacée de disparition. Cette affaire de famille se règle grâce à l'intervention de Rhéa qui propose un compromis: Perséphone vivra trois mois par an sous terre avec son infernal époux. Le reste de l'année, sous le nom de Korè, elle demeurera auprès de sa mère. Déméter rentre à Éleusis et redonne sève et vigueur à la végétation Elle initie à son culte quelques bergers, fils de rois, et accorde aux hommes la chance de survivre dans la prospérité en leur enseignant la culture des céréales et des figuiers.
Déjà. dès décembre 1736, dans son fameux Discours, Ramsay* tentait d'exhumer. dans des lignes lyriques, tous les anciens mystères (de Cérès, Isis, Minerve, Uranie ou Diane) pour les relier à l'histoire. ou à la légende, maçonnique, On a pu encore, sans grand succès, surtout au XIXe siècle, soutenir que la franc-maçonnerie avait son origine dans les secrets d`Éleusis. De façon générale, l'importance de ces filiations controuvées provient du fait que tous ces mystères antiques mettaient l'accent sur la mort et la renaissance symbolique de l' homme initié. Mais il convient de rester prudent et de savoir saisir les limites des analogies séduisantes: le cabinet de réflexion* se situe-t-il vraiment dans le prolongement des mystères de la grotte sacrée d'Éleusis,? Il est vrai que dans les Mystères d'Eleusis, le moment de la mon symbolique demeure essentiel et le jeu de mots entre mort (teleutân, mourir) et initiation* (teleîsthai, être initié) peut suggérer un lien. Intéressantes sont également les traductions latines du grec mystèria par initia, de myein par initiare et de myèsis par initiatio qui forgent, dans notre langue, le mot « initiation ». Mais, de là à soutenir que les initiations maçonniques proviendraient en ligne directe des Mystères d'Éleusis. il y a un pas que l'on ne saurait franchir.
Vl. B.