LORENZO
LORULOT
LOUISIANE
LOWTON
LUCIPIA
LUMIÈRES
LUNE
LYON






LORENZO
Anselmo (Toléde, 1841 Barcelone, 1914) Lors des deux dernières décennies du XIXe siècle, alors que le mouvement ouvrier espagnol vivait une crise idéologique interne et était victime de la répression gouvernementale, une affluence significative de militants anarchistes se manifeste dans les loges d'Espagne*, surtout en Catalogne et en Andalousie. Suivant les traces de Bakounine*, de Proudhon, de Paul Robin*,d'Élisée Reclus ou de Charles Malato des membres de l'ouvriérisme radical, comme R. Farga, A. Pellicer, J. Ilunas, J. Lopez Montenegro, J. Serrano Oteiza et F. Garrido, décidèrent de s'initier pour faciliter le prosélytisme et parce qu'ils étaient très attirés par la force du messianisme maçonnique latin marqué par l'anticléricalisme et l'aspiration à transformer radicalement l'individu. La figure de proue de ces hommes fut Anselmo Lorenzo, à la fois chef charismatique des libertaires et maçon respecté et convaincu.

Exerçant très jeune la profession de typo graphe, comme nombre de militants du mouvement ouvrier tôt engagé dans celui-ci il fonde la Fédération régionale espagnole de la 1e Internationale en 1870 et, un an après, assiste comme délégué à la conférence de Londres où il s'entretient avec Marx.

En avril 1872 il participe au IIe congrès de la Fédération et tente de concilier les positions divergentes des partisans de l'Alliance et des marxistes, mais il échoue et démissionne de son mandat au conseil fédéral. Il se rend en France puis revient en Espagne, en 1874.11 s'installe à Barcelone entre dans la Section des typographes de la Fédération barcelonaise de L'lnternationale et, secrètement, dans l'alliance. Entre 1874 et 1880, il dirige le mouvement ouvrier espagnol dans la clandestinité puis en 1881 quand le cabinet Sagasta* accorde une plus grande liberté d'association, il est expulsé de la Fédération pour avoir falsifié un vote. Il reste donc en marge des organisations ouvrières. C'est à ce moment qu'il rencontre la maçonnerie.

Il est initié dans la loge Hijos del Trabajo (F.ils du Travail) de Barcelone (Grand Orient d'Espagne) le 13 décembre 1883 sous le nom de « Guttenberg ». La maçonnerie apparaît donc comme son .. quartier d'hiver » où il propage ses idéaux de rédemption et peut exprimer ses inquiétudes sociales. En 1885, il réintègre la Société des ouvriers typographes. Il se consacre alors à l'écriture d'articles dans la presse, publie ses premières brochures et participe à plusieurs rencontres socialistes.

Mais son activité maçonnique ne ralentit pas. Au sein de sa loge (passée en 1890 sous l'égide du Grand Orient Espagnol), il est orateur de 1886 à 1888 puis en 1892 et 1896, vénérable* entre 1889 et 1891. D'autre part, il se montre sensible aux hauts grades* puisqu'il atteint le 30° du Rite Écossais Ancien et Accepté*. En 1895 il intègre également la loge Lealtad (Loyauté) à Barcelone avec laquelle a fusionné sa loge mère*: il en devient orateur en 1895 et vénérable en 1896. Mais surtout, son activité i amène à voir son role maçonnique dépasser le cadre régional: depuis 1890, il est président du Grand Conseil Régional de Catalogne et de la Grande Loge Régionale Catalane n° 2 constituée par le Grand Orient d'Espagne puis, de 1891 à 1894, il fait partie du Grand Conseil du Grand Orient Espagnol.

A partir de 1896, on perd cependant la trace de son activité de maçon. Cette année-là, il part pour la France. En effet, son militantisme qui l'a conduit en prison dès 1890 pour avoir préparé les manifestations ouvrières du 1e mai, l'amène à être condamné en 1896, après l'attentat terroriste de la rue Tiempo Nuevos. Il est exilé et, en 1897 et 1898, il réside à Paris où il devient l'ami de figures importantes comme Malato et Albert puis profite d'une amnistie du gouvernement espagnol en 1899 pour retrouver son pays natal. Installé de nouveau à Barcelone en 1900, il écrit alors la première partie d'El Proletariado militante (Le Prolétariat militant) et, en 1901 commence une période de collaboration étroite avec Ferrer* Guardia dont il est l'homme de confiance.

Il dirige la maison d'édition de l'école Moderne pour laquelle il traduit les ouvres de Reclus, Grave, Kropotkine... et l'aide à diffuser son journal, La Huelga general (La Crève générale). En 1902, il est encore incarcéré car il est accusé d'etre l'auteur de la grève générale de Barcelone. Infatigable défenseur de l'anarcho-syndicalisme il est après la Semaine tragique de 1909 détenu avec d'autres collaborateurs de l'École Moderne et déporté à Alcaniz. Relaxé, il anime la Confédération nationale du travail dans ses premières années et publie la deuxième partie d'El Proletariado militante La Vida anarquista (La Vie anarchiste) et Hacia la emancipacion (Vers l'émancipation) .

Comme le montre son entourage, il ne s'est pas détaché de la mouvance maçonnique et, en décembre 1913, peu de temps avant sa mort il assiste encore à un banquet* solsticial organisé par les membres de la loge Lealtad. De plus, il ne cacha jamais sa condition de maçon à ses amis militants, malgré l'hostilité de nombre d'entre eux qui considéraient la franc-maçonnerie comme une organisation porteuse de valeurs bourgeoises. Ainsi il leur réplique en ces termes: « En tant que maçon et anarchiste qui jouit d'un certain prestige dans l'un et l'autre camp, je suis une protestation vivante contre cette préoccupation et, en meme temps un trait d'union entre ceux qui aiment vraiment le progrès et la justice quelle que soit la classe à laquelle ils appartiennent. » C'est avec raison qu'on affirme (P. Sanchez Ferré) qu'il conçoit l'anarchie comme une théorie générale de salut qui libérait l'homme en tant qu'être social, et la maçonnerie comme une organisation qui aspirait à laver l'être humain de toute la scorie dont l'avait avili le monde injuste et dégradant.

P.A.


LORULOT
André (Paris, 1885-1963) De son vrai nom André Roulot, Lorulot, nanti du certificat d'études primaires, devient coursier chez un commerçant, manoeuvre, garçon de bureau, puis employé aux Messageries Hachette. Il est exempté de service militaire pour raisons de santé. En 1906 il fonde une éphémère colonie libertaire à Saint-Germain-en-Laye. Il collabore à L'Anarchie à partir de 1904 et en assure la direction de 1906 à 1911, date à laquelle il l'abandonne à Kilbatchich ( Victor Serge). Il lance alors une autre revue libertaire, L'idée libre. Employant divers membres de la bande à Bonnot, il est cité comme témoin lors de leur procès, mais n'est pas inquiété ce qui le rend suspect à certains anarchistes qui voient en lui un agent de la Préfecture de police. Il est toutefois condamné pour contrefaçon de timbres-poste en 1914. Non mobilisé il est soupçonné de complicité–mais non poursuivi, contrairement à d'autres–dans une affaire de distribution de tracts pacifistes et antimilitaristes et doit quitter Paris.

Après la guerre, il tente à plusieurs reprises de devenir franc-maçon mais diverses loges, tant du Grand Orient* (Ernest Renan) que de la Grande Loge de France* (L'Équerre La Montagne et Emmanuel-Arago) le repoussent. Le 12 avril 1921, le vénérable* de La Montagne insiste sur «l'ignominie de ce personnage indigne de faire partie de la franc-maçonnerie »; le 6 mai 1921, les frères de la loge Emest-Renan repoussent ce postulant considéré comme « mi-bandit mi-indicateur ».

Pourtant, en 1935 il rédige Pour ou contre la Franc-Maçonnerie, un opuscule plutôt favorable à celle ci ! Il se consacre alors à la réorganisation de la Libre Pensée*; il appartient à la Fédération nationale de libre pensée et d'action sociale puis à la Fédération nationale des libres penseurS de France et des Colonies. Il est le leader incontesté de la Libre Pensée durant tout l'entre-deux-guerres. En 1940, il souhaite poursuivre la publication de L'idée libre et entame des démarches auprès des Kommandantur de Versailles puis de Paris, comme le prouve une lettre qu'il adresse le 19 octobre 1940 à Jean Bossu (I.F.H.S.).

L'état français lui retire sa qualité de libraire à compter du I er janvier 1944, ses ventes étant estimées insuffisantes. À la Libération pour la deuxième fois il restaure un mouvement décimé et désorganisé durant les hostilités. Désireux de « débourrer les crânes » par le rire André Lorulot pratique un anticléricalisme agressif et trivial, son journal La Calotte, ses livres (Les Sermons de I abbé Rasibus, La Bible comique illustrée, La Vie comique de Jésus illustrée, La Soutane et l'Amour) et ses nombreuses brochures le montrent. Durant plusieurs décennies il parcourt la France pour prononcer des conférences, souvent contradictoires, au cours desquelles il affronte ses adversaires catholiques. À Strasbourg, en mars 1934, la Jeunesse catholique sabote sa conférence, les protagonistes se battent à coups de chaises et la police doit faire évacuer la salle.

Libertaire, libre penseur, André Lorulot est aussi un militant convaincu des causes naturiste et néo-malthusienne. En 1921 il est condamné à une peine d'amende pour propagande anticonceptionnelle.

Il meurt à 78 ans, le 11 mars 1963. Le milieu maçonnique, comme le milieu anarchiste est alors revenu de ses préventions contre lui. En effet, un délégué du Droit Humain*, Lemoine, et un délégué du Grand Orient, le Dr Dumont, prennent la parole lors de la cérémonie d'incinération, le 16 mars. Le second définit Lorulot comme « un maçon sans tablier* », « un frère de combat » pour tous les francs maçons.

J. L.


LOUISIANE
Colonie de la couronne de France depuis 1731, la Louisiane est cédée à l'Espagne par les Préliminaires de Fontainebleau en novembre 1762, le transfert n'étant accompli qu'en 1769. Rétrocédée à la France par le traité de St Ildefonso (1800) mais revendue immédiatement par Bonaparte* aux États-Unis*, la Louisiane passe sous autorité américaine en 1803 et devient un État de l'Union en avril 1812. Conséquence de cela, l'histoire maçonnique de la Louisiane est la plus complexe de toutes celles des États-Unis les rites les langues et les races y entrant en conflit dès le début du XIXe siècle. L'importance de celle ci semble avoir échappé à l'attention des historiens français, à l'exception de J. Corneloup*, depuis les écrits (1848 et ]852) de Leblanc de Marconnay et les rapports Charassin et Hermitte, publiés en 1845 et 1868 dans le 8ulletin du Grand Orient de France.

Au mois de décembre 1751 La Parfaite Harmonie loge sauvage de La Nouvelle Orléans, adresse une demande de constitutions à la Grande Loge de France*. Quelques semaines plus tard, elle envoie trois de ses membres à la Martinique où La Parfaite Union « lui accorde l'affiliation » et lui remet des règlements. Le 12 avril 1756, une Parfaite Loge d'Écosse souchée sur La Parfaite Harmonie, se constitue à La Nouvelle-Orléans. Un de ses membres, François Roussillon, va à Bordeaux* où la mère ioge* lui remet des constitutions qu'il ne pourra rapporter en Louisiane qu'une fois la guerre de Sept Ans terminée. Ouverte officiellement à La Nouvelle-Orléans le 12 avril 1764, La Parfaite Loge d'Écosse est le plus ancien atelier écossais connu du continent nord-américain.

Sous la domination espagnole, la francmaçonnerie est persécutée et plusieurs de ses membres sont exécutés en 1769. Elle renaît lorsqu'un membre de la Grande Loge du Rite d'York (AYM) de la Caroline du Sud (Charleston*) Laurent Sigur, en vertu d'une patente de Rose Croix* qu'il avait reçue à Nancy, tient la première réunion de La Parfaite Union à La Nouvelle-Orléans, le 28 avril 1793. Un an plus tard des Français fondent L'Étoile Polaire s'adressent sans résultat au Grand Orient* à Paris, puis à La Sincérité de Marseille qui leur accorde des constitutions en 1796. En 1801 et 1802, la Grande Loge de Pennsylvanie constitue deux loges dont La Charité qui a pour vénérable* Jean-Baptiste Marie Delahogue. Celui-ci habite la Louisiane depuis décembre 1802 et y reçoit la nationalité américaine mais rentre en France peu après.

En 1804, le Grand Orient de France adresse des constitutions à L'Étoile Polaire, puis à La Réunion Désirée ancienne loge de Port-au-Prince reconstituée par des maçons exilés après la proclamation de l'indépendance d'Haïti et le massacre des Français. Le 2 septembre 1807, la Grande Loge de New York constitue la Louisiana Lodge. En 1810, la Grande Loge de Pennsylvanie constitue trois nouvelles loges, Concorde n° 117, Persévérance n° 118 et Harmony n° 22 alors que La Bienfaisance n° I est fondée le 13 août au nom du Suprême Conseil de Kingston (Jamaïque:) par Gabriel Jastram. Jastram, originaire de la Martinique, orateur de la loge Le Choix des Hommes à Jacmel (Saint-Domingue) en 1788 avait reçu le 336 du Souverain Sénat de Kingston le 15 mars 1807. À La Nouvelle-Orléans le 10 novembre 1809 il élève Louis Jean Lusson au 33°.

Le 28 mars 1811, un Grand Consistoire de Princes du Royal Secret est créé par Lusson dans les locaux de La Parfaite Union et passe sous l'autorité du Suprême Conseil de Charleston* l'année suivante. Mais un Grand Conseil du même grade, présidé par Emmanuel Gigaud (vénérable maître de Persévérance en 1810), est installé le 19 juin 1813 sous l'autorité d'une patente délivrée à New York par le Grand Consistoire de Joseph Cerneau*

Entre-temps le 20 juin 1812 deux jours après la déclaration de guerre des États-Unis contre l'Angleterre, la Grande Loge de Louisiane est fondée au Rite d'York par cinq loges de langue française, car Louisiana et Harmony ont refusé de participer à sa création. L'histoire de la Louisiane illustrera désormais l'opposition des loges de langue et de culture anglaises et françaises. Emmanuel de La Motta ayant nommé Lusson représentant du Suprême Conseil de Charleston le 28 septembre 1814 la Louisiane sera désormais avec la Caroline du Sud, le théâtre de la lutte entre ce Suprême Conseil et Joseph Cerneau.

En septembre 1832, Orazio de Attellis marquis de Santangelo, membre du Suprême Conseil pour l'Hémisphère occidental – nouveau corps maçonnique issu de l'union réalisée cinq mois plus tôt à New York entre le Suprême Conseil fondé par Joseph Cerneau, maintenant dirigé par Elias Hicks et celui du comte de Saint-Laurent–vient en visiteur à La Nouvelle-Orléans. Il y élève au 33> plusieurs frères du Grand Conseil et devient le premier Grand Commandeur du Suprême Conseil de Louisiane, qui ne se constitue le 27 octobre 1839 qu'a près s'être assuré que son propre Suprême Conseil et ceux de New York (Gourgas') et de Charleston sont entrés en sommeil

Le Suprême Conseil de Louisiane est reconnu par le Grand Orient de France en 1843. Jacques Foulhouze, natif de Riom, juge à La Nouvelle-Orléans, qui avait reçu le 33° à Paris en 1845 en est élu Grand Commandeur le 31 janvier 1848.

En 1847, en réaction contre l' influence française, la Grande Loge du Mississippi s'arroge le droit d'accorder plusieurs patentes à des loges de langue anglaise de Louisiane qui se constituent en « Louisiana Grand Lodge, Ancient York Masons » le 8 mars 1848. En janvier 1850, cette Grande Loge se réunit à la Grande Loge de 1812 pour fonder l'actuelle Grande Loge de l'état de la Louisiane.

Albert Mackey était alors Grand Secrétaire de la Grande Loge de Caroline du Sud et du Suprême Conseil de Charleston, réveillé depuis 1844. En avril 1851, il entre en relation avec John Gedge, Grand Maître de la Grande Loge de l'état de la Louisiane, et lui écrit qu'il considère que le Suprême Conseil de Louisiane est irrégulier. Au mois de février 1852, Mackey vient à La Nouvelle-Orléans installer un consistoire du 32° dont Gedge est élu président.

Deux ans plus tard des relations établies entre le Suprême Conseil de Louisiane et ce consistoire aboutissent à un concordat signé en février 1855. Le Suprême Conseil de Louisiane accepte de se dissoudre et la majorité de ses membres sont admis membres honoraires de celui de Charleston, mais se reconstitue l'année suivante. En 1857, Charleston nomme 18 nouveaux 33° à La Nouvelle Orléans, parmi lesquels Albert Pike* qui devient membre actif de la Juridiction Sud en mars 1858 et son Grand Commandeur en janvier 1859.

Ayant reconnu la validité du Concordat de 1855 et nommé Mackey comme garant d'amitié, le Grand Orient de France demande en juin 1858 à Foulhouze de dissoudre le Suprême Conseil de Louisiane et sur son refus décide de casser la patente de Grand Inspecteur Général qu'il lui avait décernée. Dix ans plus tard, le général Mellinet Grand Maître du Grand Orient de France, reprend les relations d'amitié avec le Suprême Conseil de Louisiane, alors présidé par le Nantais Eugène Chassaignac (1821-1878) qui avait décidé d'y admettre des hommes de couleur. La décision de Mellinet amène la rupture entre le Grand Orient de France qui soutient les droits des maçons noirs, et la Juridiction Sud des États Unis qui décide en 1870 de reconnaître le Suprême Conseil de France avec lequel il n'était encore jamais entré en relation.

En 1921, la Grande Loge de Louisiane rompt ses reLations avec le Grand Orient de France en raison de l'existence de la loge L'Atlantide fondée par ce dernier en 1900 à New York.

A.B.


LOWTON
L-26.JPG (102K) Traduit en français par de très nombreuses expressions dont les principales restent «louveton », et «louveteau », qui fait référence au petit loup des mystères* d'lsis et au masque que portait le fils de l'initié à cette occasion, lowton désigne le fils de maçon. Adopté vers 12 ans il peut être initié dès l'âge de 18 ans au grade d'apprenti* et, lors des épreuves initiatiques, on a soin de le distinguer par le port d'un voile noir transparent au lieu du bandeau*. Cette transparence désigne ici la connaissance de la franc-maçonnerie que l'enfant d'initié doit déjà porter en lui. Dans quelques rites*, comme au Rite Émulation* on l'initié meme en premier, avant les éléments venus directement du monde profane. Tous ces «privilèges » suscitent des interrogations.

Faute de connaissances précises sur les origines de cette pratique on pense qu'elle correspond parfaitement aux intérêts stratégiques d'une maçonnerie qui s'alimente largement à la source familiale. Une étude exhaustive sur les liens de parenté reste à faire, mais on remarque que, dans les orients d'un espace provincial analysé durant près d'un siècle (Normandie de 1740 à 1830), les fratries et les liens père-fils concernent environ 15 % du recrutement.

À la fin de l'Ancien Régime ce sont la noblesse* et le monde du négoce dont les membres aiment tout particulièrement copier les moeurs de l'aristocratie, qui semblent les composantes les plus sensibles à cette diffusion familiale. Si les fratries restent les plus nombreuses, on note l'importance des liens père-fils dans la constitution des premières loges. Néanmoins, l'adhésion d'un enfant n'est pas toujours suscitée par la volonté de pérenniser la pratique de l'Art royal*. Dans le contexte d'une maçonne rie d'Ancien Régime en proie aux divisions, initier un jeune, qui n'est parfois meme pas en âge d'etre /ou ton, c'est aussi un moyen pour nombre de clans familiaux de construire les majorités nécessaires pour se perpétuer au pouvoir





















E.S.


LUCIPIA
Louis Adrien (Nantes, 1843 Paris, 1904) Nantais installé à Paris en 1865 Lucipia suit des cours à la faculté de droit et à l'École des Chartes. Il collabore à divers journaux, républicains et organise la section des Écoles de L'lnternationale. Il est clerc d'avoué chez son ami Léo Melliet et secrétaire de Cantagrel, maçon fouriériste et ancien représentant du peuple. Capitaine dans un bataillon auxiliaire du génie pendant la guerre, il participe aux émeutes parisiennes du 31 octobre 1870 et signe l'affiche rouge, véritable appel à la révolte. Elu au Comité central des vingt arrondissements, il écrit, pendant la Commune*, dans Le Cri du peuple et dans Le Père Duchêne. Arrêté après la défaite, il est mis en cause dans l'exécution des dominicains d'Arcueil alors qu'il avait vainement tenté de les soustraire à la foule.
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Condamné à mort par la justice militaire il est gracié et déporté en Nouvelle-Calédonie. Il rentre en France, à la suite de l'amnistie, en 1880. Il reprend son activité de journaliste d'extrême-gauche dans divers journaux radicaux ou socialistes et est élu vice-président de l'association des journalistes républicains. Il est l'un des fondateurs de l'Alliance socialiste républicaine, milite à la Libre-Pensée* et, en 1890 après plusieurs échecs, est élu conseiller municipal de Paris.

Il vient d'entrer à la loge* du Grand Orient* Les Droits de l'homme (le 4 juin 1888), un atelier fréquenté par des publicistes radicaux comme son vénérable* Edmond Lepelletier, Victor et Henry Simond (Le Radical), Abel Peyrouton, Edmond Théry, Paul Faure, Adrien Bastid, Joseph Bourceret (La Lanterne) et les écrivains Léon Mirès et Jules Lermina. Lucipia accède à sa présidence en septembre 1891. S'y affilient ultérieurement les futurs ministres Klotz et de Lanessan ainsi que Maxime Vuillaume. Lucipia a dirigé la loge la plus brillante de la décennie 1890-1900 !

Bénéliciant de l'aura d'ancien déporté, il est élu président du Conseil général de la Seine en 1895 et, en 1899, président du Conseil municipal de Paris. Il entre, en 1894, au Conseil de l'Ordre et, l'année suivante il accède, pour un an, à sa présidence. Il la retrouve en septembre 1898 et la conserve pendant deux ans, jusqu'au terme de son mandat.

La maçonnerie est alors au coeur du combat pour la révision du procès Dreyfus. Le Convent* de 1899 adopte 72 voeux ! Entre autres, la suppression du travail dans les couvents, ouvroirs ou prisons, pouvant concurrencer le travail libre, la fermeture des cercles militaires d'ordre confessionnel, l'interdiction de mêler le drapeau aux manifestations religieuses, l'affichage de la Déclaration des Droits de l'Homme dans les écoles, les prétoires et les casernes, la limitation des irais électoraux avec sanction pénale, la réorganisation de l'assistance publique à domicile la participation à la lutte antialcoolique. Quatre grandes questions sont renvoyées, plus spécifiquement, à l'étude des Loges: la dépopulation, le mandat impératif, la réforme de l'assistance publique relativement aux filles mères, la création d'une caisse de retraite pour la vieillesse et les invalides du travail

Le Conseil de l'Ordre est appelé à examiner dix questions dont la mise au concours d'un projet de constitution républicaine. Les maçons participent massivement, revêtus de leurs cordons, à l'inauguration du Triomphe de la République de Dalou La meme année Lucipia préside les travaux du Congrès maçonnique international. Les délégués débattent de la législation internationale du travail et de la situation légale et sociale dans les États où règne une religion dominante de tais ceux qui se sont séparés de ces pratiques religieuses.

Les élections municipales le 13 mai 1900, sont, dans la capitale, catastrophiques. A la suite d'une campagne ignoble de la Ligue de la Patrie française, la maçonnerie perd la direction de la municipalité qui passe aux nationalistes. Louis Lucipia est battu. Au cours de son mandat, il s'est consacré aux questions sociales (asiles, crèches, patronages laïques, bureaux de bienfaisance ou de placement) et a fait remplacer la prison d'enfants de la Petite Roquette par la maison de Montesson où des instituteurs et des maîtres ouvriers vivent avec les pensionnaires. Le gouvernement Waldeck-Rousæau le nomme directeur de l'asile de Villejuif où il se consacre aux malades jusqu'à sa mort.

A. C.


LUMIÈRES
LUMIÈRE & TÉNÈBRES
L-20.JPG (94K) La maçonnerie est un phénomène qui apparaît dans le monde des Lumières, sous sa forme spéculative l'Angleterre en constitue la matrice; de la, telle une vague, elle déferlera sur l'ancienne Europe. Les premières loges* sont signalées en France vers 1726 (Saint-Thomas*)l 1729 (Louis d'Argent)... En province, la doyenne des loges paraît être L'Anglaise de Bordeaux (1732) La Parfaite Union de Valenciennes (1733) et on signale une loge à Avignon (1736), à Lyon* (1737)... Au total, vers 1740, la franc-maçonnerie compte une dizaine de loges à Paris et une quinzaine en province.

L'organisation de ces loges et leur structuration en obédience*, est plus mal connue, mais ce qui paraît assuré, est que deux formes de maçonnerie ont coexisté en France jusqu'en 1738, date de l'élection du duc d'Antin comme Grand Maître*: une maçonnerie stuardiste et catholique, la seconde « hanovrienne " latitudinaire donc respectueuse de la religion établie, mais dépendant de la Grande Loge de Londres.

L'État absolutiste ne pouvait rester indifférent à cette forme nouvelle d'association dont les origines restaient mystérieuses et qui se nimbait du secret. À la demande de Fleury*, le lieutenant de police Hérault accomplit des enquêtes qui permettent d'identifier les membres de cette mystérieuse association. La demoiselle Carton, comédienne de son état et maîtresse du financier Samuel Bernard, obtient d'un frère mal identifié le secret* des francs-maçons en novembre 1737 –secret qui est aussitôt divulgué dans une brochure.

Mais si les maçons sont brocardés, la manoeuvre reste sans effet: en dehors des oripeaux dont se parent les maçons et des divers signes* mots et attouchements qui leur permettent de se reconnaître, ce qui frappe c'est leur indifférentisme en matière de religion (c'est un point que reprendront les Condamnations romaines de 1738 et 1751), la présence de nombreux étrangers* au sein de l'association et le goût partagé par tous pour la ripaille (l'historien Albert Mathiez parlera de « société de ripaille et d'amusement »).

Le pouvoir tergiverse et, en dehors d' une période de tracasseries jusqu'en 1740 (Grande Loge*) ne condamne pas. En revanche la présence sur les Colonnes* de nombreux représentants de la petite et moyenne bourgeoisie l'incite, comme le confirme Pérau dans sa divulgation quand il signale que le nouveau Grand Maître élu après la mort du duc d 'Antin, Louis de Bourbon-Condé, prince de Clermont entend chasser de l'Ordre tous ceux qui, faubourg Saint-Antoine, en dénaturent l'essence, à la demande des maçons eux-mêmes, à lutter contre la contamination par la petite bourgeoisie et la roture.

Toutefois, malgré les incessantes querelles qui le divisent, l'Ordre s'épanouit: 22 loges existaient à Paris en 1743 et une cinquantaine en tout; en 1771, à la mort du comte de Clermont, la Grande Loge de France* totalise 41 loges à Paris, 169 en province, 11 aux colonies* 5 à l'étranger et plus de 31 loges militaires. C'est dire qu'il n'est aucune ville de quelque importance qui n'ait sa loge, même si les mises en sommeil sont nombreuses. Au point que dans une lettre de 1781, assurément apocryphe mais qui donne un bon état des lieux, que la reine adresse à sa soeur Marie-Christine qui s'inquiétait du développement de la maçonnerie dans ses États, celle-ci lui confie que « tout le monde en est » mais parce que les maçons appartiennent aux élites de la Nation et font en permanence acte d'allégeance au Trône et à l'Autel, le roi ne s'en inquiète pas.

Entre-temps une crise est survenue: elle couvait depuis longtemps, mais apparaît au grand jour quand, en 1758, la Grande Loge se scinde en deux partis: les « lacornards » et les « anti-lacornards ». En fait, on assiste à une opposition Paris-province, les maîtres de loge de Paris propriétaires de leur charge se coupent du pouvoir central que le Grand Maître avait confié à des « Substituts » et les loges de province se déclarent indépendantes de la Grande Loge. Cette crise entraîné l'interdiction de la Grande Loge, qui est entre les mains des maîtres parisiens, en 1767 par le préfet Sartine, et si l'Ordre est maintenant confié à de nouveaux administrateurs Chaillon de Jonville et Brest de La Chaussée*, Labady, ex-lacornard, continue à signer des patentes. La création du Grand Orient de France*, en 1772-1773, met un terme à la crise, même si la Grande Loge dite de Clermont* continue de se réunir, et se réunira en effet jusqu'en 1798.

Quel est le paysage maçonnique quelques années après la création du Grand Orient ? La Grande Loge dite de Clermont annonce, en 1778, 129 maîtres de loge à Paris et 247 loges en province dans les colonies et dans l'armée*, mais les chiffres sont difficilement vénérables. Le Grand Orient, après contrôle des patentes, reconnaît 500 loges, ce qui par péréquation donne 30 000 maçons environ. À la veille de la Révolution, la maçonnerie s'est donc imposée comme une forme sociale incontournable.

Malgré les crises incessantes qui depuis l'origine ont divisé l'Ordre la culture véhiculée par la maçonnerie lui a permis de se développer dans un pays vivant en régime de révocation où les clivages sociaux sont marqués où la Fronde a été matée et où, après une première moitié de siècle pendant lequel le devant de la scène fut occupé par l'opposition des jansénistes et des ultramontains, le « philosophisme » a gagné du terrain. La maçonnerie, qui développe une idéologie latitudinaire, se glisse ainsi dans les fractures de la Romania catholique, en inventant une nouvelle forme d'association sans l'aveu du Prince et de l'Église, bref. elle impose dans la société des « corps intermédiaires» qui échappent aux pouvoirs traditionnels. Il n'est donc point surprenant de voir dans ses rangs la haute bourgeoisie et l'aristocratie éclairée (qu'on reconnaîtra bien souvent dans l'opposition parlementaire).

La longue Grande-Maîtrise du comte de Clermont, qui règne sans gouverner. se traduit par une suite de crises, les hautes couches de la société désertant le temple* alors investi par la petite bourgeoisie et, corrélativement, par l'invention et la multiplication des hauts grades* maçonniques. L'origine de l'écossisme attirera de nombreux aventuriers du supra sensible et fera l'objet d'un commerce fructueux. On notera que le développement de cette haute maçonnerie est contemporain de l'essor du mouvement philosophique bref qu'à coté des philosophes qui entendent réformer la société à partir des lois de la raison (et qui se veulent bien soUvent les conseillers du Prince) d'autres se réfugient dans des valeurs transhistoriques et imaginaires dont le « fouillis » (Gaston Martin) des hauts grades écossais est le témoin le plus voyant.

Au rationalisme des philosophes, certains maçons opposent l'illuminisme* qui, tout bien pesé, n'est qu'un hyperrationalisme; l'illuminé estime qu'aidé des seules lumières de la raison, l'homme, être divin, peut entrer en relation avec des esprits intermédiaires, voire avec Dieu. On notera cependant que ce courant illuminé ou illuministe ne représente que 2 à 3 % de la maçonnerie française des Lumières. Son importance, toute relative, est due à un montage rétrospectif. Pour l'historien, la maçonnerie, forme originale de sociabilité, impose au seuil de la Révolution française* le droit de s'associer en toute liberté. Les révolutionnaires en accuseront réception.

Néanmoins, si on a souvent affirmé, à la suite de Cochin et, plus récemment de François Furet et de Keith Baker, que les loges maçonniques étaient des « sociétés de pensée» qui avaient contribué à la diffusion du programme des Lumières, voire élaboré ce programme, l'idée n'est rien moins que controuvée. Si quelques loges font exception, la maçonnerie française s'est trouvée à l'écart du mouvement général. D'ailleurs le frère Raymond mis en cause par Barruel* écrivait: « Je vous avoue que j'attendais comment vous parviendrez à rattacher à la philosophie, les rits, les cérémonies et la morale toute religieuse des maçons, puisque j'ai eu pendant vingt ans des preuves constantes que la maçonnerie de tous les régimes français et étrangers, blâmait et condamnait avec force les écrits de la philosophie et aurait pu être accusée plutôt d'antiphilosophie plutôt que de liaison avec elle. » En réalité les maçons du XVIIIe siècle se soucient peu dans leur majorité de philosophie.

Chefdebien, dans un texte méconnu, présente la loge comme un lieu de convivialité étranger « à toutes ces maçonneries compliquées et scientifiques » dans lequel le banquet* « copieux et gai » était « le véritable dénouement de ces préludes » au cours desquels on avait reçu parents ou amis « en se permettant à titre d'épreuves quelques niches innocentes ».

S'il est vrai que quelques loges continentales, comme les Neuf Soeurs* à Paris ou L'Encyclopédique* à Toulouse lasses des « augustes fadaises » (Helvétius) dont se nourrissaient la plupart des frères, succombèrent à la tentation académique, que Ramsay*, dans son Discours de 1737 avait exhorté « tous les savants et tous les artistes de la confraternité à s'unir pour fournir les matériaux d'un Dictionnaire universel de tous les arts libéraux et de toutes les sciences utiles, la théologie et la politique seules exceptées « (P. Chevallier) et que l'abbé Robin, en 1772 s'en était fait encore l' écho » c'est dans une loge d'Allemagne qu'a été jeté le premier plan de l'Encyclopédie », on doit constater, avec Robert Shackleton, que les maçons, comme tels, n'eurent aucune part dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert.

Il n'empêche pourtant que sous la forme d'une idéologie diffuse les grands thèmes des Lumières ont pénétré dans les loges. Les titulatures* et les morceaux d'architecture* témoignent de l'assimilation du lexique des Lumières autour de quelques idées-forces qui font de la vertu et de l'egalité les conditions nécessaires de l'amitié cimentée à son tour par la fraternité* qui fonde la bienfaisance « source du véritable bonheur». Ces idées étaient cependant des lieux communs pour des hommes «sensibles et bien élevés » et si, par ailleurs, les maçons jouèrent un rôle certain dans l'émergence d'une philanthropie* laïcisée, les Règlements dans lesquels est affirmé le désir d'assister la veuve et l'orphelin n'innovent pas vraiment.

Quant au latitudinarisme déclaré en 1723, il subit au fil des ans de nombreuses distorsions, et si les juifs* furent admis dès les premiers jours dans les loges anglaises, ce ne fut pas le cas en Europe du Nord (on exigeait qu'ils abandonnassent leur « identité ») ou en France (sauf éphémères exceptions, comme à Bayonne). Quant aux protestants*, leur accès aux loges fut, dans une France vivant en régime de révocation. prohibé (Statuts de 1755), même si dans les faits, là où la communauté était importante, ils purent maçonner.

Restait « l'egalité ", mot clef des Lumières et maître mot des maçons. À l'évidence. pour les frères, il ne s'agissait que de « l'egalité philosophique », à usage interne, et ce n'est que dans la littérature anti maçonnique qu'on leur imputait usage positif de l'egalité; elle s'appliquait en priorité aux maçons et avec des restrictions sensibles car, dans chaque ville. coexistaient loges « aristocratiques » et loges « bourgeoises » qui parfois s'ignoraient et souvent se combattaient.

C'est d'ailleurs parce qu'on voit d~un mauvaiS œil la boutique et le petit négoce se mêler de maçonnerie que le comte de Clermont Grand Maître de décembre 1737 jusqu en 1771, engage une réforme de l'ordre; au rapport d'un gazetin, son projet est d'« en éloigner tout ce qui n'est pas gentilhomme ou bon bourgeois », et, «sur ses avis, la police en a fait arrêter plusieurs qui exigeaient de l'argent des récipiendaires».

La réception tardive de Voltaire* aux Neuf Soeurs* révèle cependant le tour nouveau que prend la maçonnerie à la veille de la Révolution*: d une part parce que le philosophe avait à plusieurs reprises brocardé les «pauvres francs-maçons » voir article « INITIATION », Questions sur l'Encyclopédie. 1771), et que, cependant, au soir de sa vie il consentait; d'autre part, parce que malgré les résistances du Grand Orient qui voulut casser la loge, Les Neuf Soeurs triomphèrent. Signe du nouveau pli que prenait l'obédience ?

On peut le penser, comme paraît en témoigner le retournement final des Philalèthes* qui secrète la loge des Philadelphes*: ce constat permet de corriger ce que d'une vue rétrospective, forgée pour I essentiel dans le dernier tiers du XIXe siècle, on a pu écrire sur le rationalisme abstrait des Lumières.

Du reste, Diderot, d'Alembert et Condorcet* voulurent se faire maçons: si diverses circonstances les en empêchèrent intellectuellement, ils avaient franchi le pas. De sorte qu'il convient d'instruire en révision le procès intenté à la maçonnerie du XVIIIe siècle, tout à la fois école d'occultisme et société de ripaille, mais aussi lieu qui accuse réception des valeurs du siècle, même s'il est vrai que dans leur grande majorité les frères n'étaient pas plus éclairés que leurs contemporains, et donnèrent sans états d'âme dans la spagyrie ou le mesmérisme.

Ch. P.


LUNE
L-22.JPG (357K) La lune est avec le soleil* le deuxième luminaire de la maçonnerie. À la différence de celui-ci la lune n'apparaît ni dans le manuscrit Sloane (vers 1700), ni dans le Dumfries n° 4 (vers 1710), ni dans le manuscrit de Trinity College (vers 1711). Lune et soleil sont cités, en quatrième et cinquième positions au sein de douze « lumières* » dans le manuscrit Graham (1726): « Pour ce qui est de la Sainte Trinité, elle donne la sagesse. En ce qui concerne le soleil, il procure la lumière jour et nuit. Quant à la lune, c'est un corps obscur issu de l'eau, elle reçoit sa lumière du soleil et est également reine des eaux qui sont le meilleur des niveaux. »

Il en était déjà de même dans The Whole Institution of Masonry (1724):
« Combien de lumières dans une loge* ?
–Douze.
–Quelles sont-elles ?
–Père, Fils, Saint-Esprit, soleil, lune, Maître maçon, équerre*, règle, plomb, ligne, maillet et ciseau. »

Dans le manuscrit Wilkinson (vers 1727), la triade soleil-lune-maître* de la loge est clairement définie: « Le soleil pour présider au jour la lune à la nuit, et le maître maçon à la loge.»
Il en est de même dans Samuel Prichard's Masonry Dissected (1730):
" Y a-t-il des lumières dans votre loge ?
–Oui, trois.
–Que représentent-elles ?
–Le soleil, la lune et le maître maçon.
[N.B. Ces lumières sont trois chandelles posées sur de grands chandeliers.]
–Pourquoi cela?
–Le soleil pour présider au jour, la lune à la nuit, et le maître maçon à sa loge. »
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Ces expressions vont se retrouver dans les Rites des Modernes*. Ainsi le manuscrit du Rite Français* (1786) dit:
« Qu'avez-vous vu lorsqu'on vous a donné la Lumière ?
–J'ai vu le soleil la lune et le maître de la Loge.
–Quel rapport peut-il y avoir entre ces astres et le maître de la Loge ?
– Comme le soleil préside au jour et la lune à la nuit de même le maître préside à la loge pour l'éclairer.»

Il en est de meme au Régime Rectifié* comme le montre le Rituel pour le travail en loge d'apprenti (version de 1778, revue pour La Triple Union de Marseille en 1802) . On retiendra que pour les Modernes le soleil, la lune et le Maître de la Loge constituent les seules Grandes Lumières, alors que le Volume de la Loi sacrée, l'équerre et le compas* sont classés dans le mobilier de la loge comme l'indiquent déjà le Wilkinson et Masonry Dissected.

Inversement, pour les Anciens*, on trouve deux catégories de Lumières, les « Grandes* » et les 1( secondaires » (soleil, lune, Maître de la Loge) meme si le Guide des maçons écossais (vers 1804) précise que ces trois lumières sont « sublimes ». Les usages des Anciens nous sont connus par la divulgation dite The Three Distinct Knocks (1760).

Le Rite Émulation* se situe dans cette veine. Lors d'une réception le néophyte, après avoir prêté son obligation et s'être relevé écoute le vénérable lui dire: « Vous êtes maintenant en mesure de découvrir les trois Petites Lumières; elles sont placées à l'est, au sud et a l'ouest, et elles représentent le soleil, la lune et le maRre de la loge le soleil pour gouverner le jour la lune pour gouverner la nuit, et le maître pour gouverner et diriger sa loge. »

Quoi qu'il en soit, la lune est. associée avec la colonne J* chez les Modernes et avec la colonne B* chez les Anciens. On retrouve cette place sur les tableaux* d'apprenti* et de compagnon*, et sur certains tabliers*. Le symbolisme traduit toujours deux caractéristiques de notre satellite: d'une part, la lune est éclairée directement par le soleil (ou par la lumière solaire réfléchie par la terre) d'autre part elle change de forme apparente pour l'observateur terrestre.

Les phases correspondent à l'éclairement du soleil vu de la terre. La lunaison (ou révolution synodique) est donc le temps moyen mis par la lune pour revenir à la même phase, soit 29,5 jours. La lune exprime le temps qui passe les rythmes biologiques, ou l es variations périodiques naturelles Elle apparaît comme la première mesure de la durée et l'universelle épiphanie du temps. Elle est liée à la nuit et à la mort. Par isomorphisme, de nombreuses figures lunaires comme Perséphone ou l'immortel génie russe Kotschei, sont chthoniennes.

Peut on voir, comme le suggère Jules Boucher, dans les « larmes d'argent » des grades* de maître une image lunaire ?
La lune évoque également l'imagination, le subconscient, la lumière reçue ou réfléchie, la passivité, la réceptivité et la fécondité.
A. H. Krappe a montré que le folklore universel associe lune et menstrues. La lune est à la fois le froid, le nord, l'hiver et l'eau. La plupart des mythologies confondent les eaux et la lune dans une même divinité. Son bestiaire est riche et varié: dragon, escargot, araignée, écrevisse, crabe, grenouille, serpent. Ours, agneau ou lièvre.

Gilbert Durand explique que « la plupart des auteurs qui se sont intéressés aux théophanies lunaires ont été frappés par la polyvalence des représentations de la lune: astre à la fois propice et néfaste, dont la combinaison triadique d'Artémis de Sélène et d'Hécate est l'archétype ». La lune maçonnique entre dans ce modèle archétypal. Ainsi elle est très présente au grade de Noachite ou Chevalier Prussien (219 du Rite Écossais Ancien et Accepté*). La loge doit se tenir les nuits de pleine lune car seul ce luminaire doit donner de la lumière. La principale assemblée a lieu à la lune de mars.
Le bijou* porté à la boutonnière est une lune d'argent qui apparaît également dans l'armoirie ou le tableau du grade.

Notons également que dans la Maçonnerie des Dames, existe un grade de Chevalière de la Lune.

Y. H.M.
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LYON
(XVIIIe siècle) « Le drame de la ville [de Lyon], c'est qu'elle ne trouve son ordre et les conditions de son épanouissement que sur le plan international...
Il lui faut la complicité du dehors. Les fées qui la favorisent sont étrangères.» Cette remarque de Fernand Braudel s'applique tout à fait à l'histoire de la franc-maçonnerie Lyonnaise au XVIIIe siècle. L'ambition des francs-maçons Lyonnais de constituer leur orient en métropole maçonnique, de rang européen dotée d'une large autonomie s'est très tôt heurtée à la politique centralisatrice de la Grande Loge* puis du Grand Orient de France*. D'autre part, à la tête d'une province sans réelle identité, les Lyonnais ont rapidement cherché à tirer profit de leurs étroites relations avec l'Europe médiane et au-delà avec le « Nord » (Pologne et Scandinavie*, Russie*) sans oublier l'arc atlantique, avec l'Espagne*, où les manufacturiers et négociants Lyonnais
sont présents, pour se constituer un espace de substitution à la mesure de leurs ambitions.

Puissamment innervés par des réseaux de correspondances* privées, confessionnelles, professionnelles et maçonniques, ainsi que par des liens d'amitié et de solidarité régulièrement éprouvés l'hinterland de la place économique Iyonnaise et son aire d' influence maçonnique se superposent et se recoupent. Lors de la création du Grand Orient de France ou la réunion du Convent* de Wilhelmsbad..., on voit clairement les dirigeants maçonniques lyonnais, Willermoz* en tête, examiner en termes géopolitique la position Iyonnaise et souhaiter créer un arc périphérique de métropoles maçonniques comprenant Strasbourg, Marseille, Montpellier et Bordeaux*.

Ces orients pouvaient modérer l'attraction du centre parisien, sans rompre avec lui. L'idée de restaurer la Lotharingie médiévale à partir des liens privilégiés avec Metz, les Cantons suisses, Turin et Naples, pour exister de manière autonome par rapport aux pôles germanique et français, est récurrente dans l'histoire maçonnique Iyonnaise et dans la perception d'un espace maçonnique européen où les frontières nationales des États modernes peinent à s'imposer face à l'héritage de la Romania et de l'Europe templière–dans la Stricte Observance*, Lyon est d'ailleurs à la tête de la IIe Province dite d'Auvergne.

Au total, la réussite de cet ambitieux projet est assez saisissante puisqu'il aboutit à l'affirmation des ambitions lyonnaises au Convent National des Gaules en 1778 et débouche sur l'investissement de la Stricte Observance germanique par la « Réforme de la réforme ", autrement dit la réforme Iyonnaise, d'inspiration chrétienne et mystique, véhiculée par Willermoz et son Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte. Lors d'un célèbre voyage qui le mène du Danemark au littoral dalmate et en Italie l'étudiant en théologie danois Friedrich Munter, émissaire des Illuminaten*, déclare, lorsqu'il visite les loges* de Savoie et du Piémont: « Ici, tout est lyonnais!»

Pour réussir, les Lyonnais ont également su mettre à profit la situation de leur orient au carrefour des axes majeurs du Grand Tour* qui mènent aux Cantons suisses, ainsi qu'en Italie. Sans oublier qu'en sens inverse on peut gagner la porte d'Alsace, puis Strasbourg avant d'atteindre Spa, ses eaux et son concentré de la société aristocratique et cosmopolite du XVIIIe siècle.

De fait, tous les grands noms de la franc-maçonnerie européenne sont passés par Lyon où ils ont été chaleureusement accueillis par les dirigeants lyonnais. Citons le duc de Gloucester, le colonel Carlton qui se propose rien moins que d'innplanter la réforme Iyonnaise en Angleterre, le duc de Würtemberg l'ambassadeur de Suède Staël-Holstein Basile Zinoviev, chambellan de Catherine 11 de Russie le comte Grabianka et ses futurs Illuminés d'Avignon*... Certains, aujourd'hui, sont oublies, tel Karl Wilhelm Robert, descendant de huguenots, initié à La Concorde en 1763 et futur pilier de l'Art royal et des Illuminaten à Marbourg. Il y a le célèbre Casanova*, initié en 1750.

Mais la médaille a son revers: Lyon a vu affluer de nombreux aventuriers. La Parfaite Réunion et la Grande Loge des Maîtres Réguliers déchantent après avoir accueilli avec respect Zobii, .. prince de l'Arabie heureuse ", un imposteur dont les archives de la Bastille à I Arsenal conservent le dossier Le célèbre et mystérieux aventurier allemand Gugumos qui avait tenté de faire main basse sur la Stricte Observance et « guidé » les princes de Hesse Darmstadt dans leur recherche des Supérieurs Inconnus, sévit lui aussi à Lyon, Mesmer et Cagliostro* ont également parfaitement saisi l'occasion stratégique d'une implantation à Lyon; et l'un d'y fonder une Société de l'Harmonie–à laquelle Willermoz adhère avec enthousiasme–, l'autre d'y diffuser sa Maçonnerie égyptienne.

Au total, on recense à Lyon de 1760 à 1789 plus de 1100 frères affiliés et au moins 16 ateliers, à l'importance, au recrutement et au dynamisme très divers. Les deux principaux sont La Bienfaisance fondée par Willermoz qui compte 38 membres en 1776, 89 en 1787, et La Sagesse, 29 membres en 1776 et 94 en 1787. Ces deux Loges réunissent plus de la moitié des étrangers affilies à l'orient Lyonnais. Les Deux Loges Réunies (73 frères dès 1773) et La Sincère Réunion (15 membres en 1778, mais 82 en 1788) les suivent.

L'importance du monde négociant caractérise l'orient Iyonnais. 572 frères appartiennent à la bourgeoisie du négoce et de l'industrie. C'est de loin la première catégorie socioprofessionnelle représentée, puisque en deuxième position, les officiers roturiers militaires et de l'administration civile comptent seulement 109 membres. Cette présence massive s'explique par l'exclusion du monde du négoce des trois académies* lyonnaises. La loge maçonnique a donc profondément renouvelé le champ de la sociabilité lyonnaise et permis à la bourgeoisie négociante et manufacturière d'exprimer ses ambitions et son dynamisme à l'échelle locale, nationale et même européenne.

P.-Y. B.