Aperc¸u biographique de S.A.S. le prince
Ferdinand, duc de Brunswick-Lunebourg,
premier grand-maître du R.E.R.
par le F.'. D. C.
R.'. · Le Triangle d’Or, O.'. de Denderleeuw ;
discours prononc´e `a l’occasion de la Fˆete du Renouvellement de l’Ordre,
le 30 octobre 2004.

V.'. M.'.,
lors du couronnement d’un nouveau Pape, `a Rome, un chambellan br ˆ ule un bout d’´etoupe et dit Sic transit gloria mundi. Dans l’initiation au premier grade de notre R.E.R., nous rappelons pareillement au n´eophyte que la gloire mondaine n’est que transitoire.
Ferdinand de Brunswick-Lunebourg, notre premier grand-maˆýtre, dont nous nous occuperons plus sp´ecialement ce soir, peut servir d’exemple `a cette maxime, car, de son vivant, c’´etait un des hommes les plus c´el`ebres d’Europe ; Napol´eon meublera encore ses loisirs forc´es `a Sainte- H´el`ene en commentant les d´ecisions militaires de Ferdinand, trente ans apr`es la mort de celui-ci, soixante ans apr`es les batailles de la guerre de Sept Ans ; mais de nos jours, seuls une poign´ee d’historiens et quelques mac¸ons savent encore `a peu pr`es qui ´etait Ferdinand, quelles furent ses victoires militaires, ce que sont le Brunswick, le Lunebourg, les ducs qui en portent les titres, la maison guelphe, etc.
Notre but sera donc ce soir de clarifier tout cela, esp´erant ainsi rafraˆýchir dans la m´emoire des Fr`eres, la m´emoire de Ferdinand, `a laquelle, d’ailleurs, nous portons une sant´e d’ordre lors de chaque banquet rituel. Il faut se rappeler de trois dates dans la vie de Ferdinand : sa naissance, en 1721 ; le d´ebut de la guerre de Sept Ans, en 1756 ; et la date de son d´ec`es, en 1792.
Comme nous travaillons aujourd’hui au premier grade symbolique, il ne nous sera pas possible d’entrer dans tous les d´etails de la vie mac¸onnique de Ferdinand ; il est certain qu’il exerc¸a une in- fluence importante sur le processus de rectification qui transforma la Stricte Observance Templi`ere dans notre syst`eme actuel, tout en ´etant influenc´e lui-mˆeme par Willermoz, Haugwitz et d’autres. Mais ces questions, qui touchent de pr`es `a l’Ordre Int´erieur, ne peuvent pas ˆetre abord´ees ici. De mˆeme, Ferdinand appartenait `a des ordres para- ou quasi- ou pseudomac ¸onniques, tels les Illumin´es de Bavi`ere et les Fr`eres de l’Asie, mais nous n’en parlerons pas ici. Nous nous attacherons plutˆot `a la vie publique, civile et militaire, de Ferdinand, et `a sa vie priv´ee, telle que nous les pouvons connaˆýtre par le t´emoignage de son biographe et par d’autres sources, contemporaines `a lui ou plus r´ecentes.

En ce qui concerne les sources, nous employons l’aperc¸u autobiographique de Ferdinand qu’on a repris dans les annexes aux protocoles de Wilhelmsbad ; les articles de l’encyclop´edie britannique concernant Ferdinand et ses proches ; les articles correspondants de la Biographie Universelle de Michaud ; l’article du Konversationslexicon de Meyer (repris sur Internet par la Wikip´edie) ; l’Almanach de Gotha de 1782 ; le dictionnaire g´en´ealogique de la pairie et du baronettage de l’empire britannique, de Burke ; et, surtout, les 800 pages in-8o de la biographie de Ferdinand par son prot´eg´e, le lieutenant-colonel Jacques Mauvillon, biographie qui parut en 1794 `a Leipzig et dont, Internet aidant, nous avons pu obtenir un exemplaire mis en vente fin 2003 par la biblioth`eque de la garnison royale de Copenhague.

Jacques Mauvillon portait un nom franc¸ais, mais sa biographie de Ferdinand est empreinte d’un nationalisme allemand tr`es virulent — ainsi, il nous pr´esente Fr´ed´eric II comme un h´eros protestant et teutonique, — nous essayerons donc de compenser la partialit´e du biographe en donnant d’abord la parole `a un tout autre historien, Voltaire, qui est au moins aussi partial que Mauvillon, mais du bord opposë. Nous trouvons `a la fin du 33e chapitre du Pr´ecis du si`ecle de Louis XV (1768) le r´esum´e suivant de la Guerre de Sept Ans — pr´ecisons que notre Ferdinand est l’oncle dont parle Voltaire, et que son neveu, le prince h´er´editaire est alors le futur duc r´egnant Charles Guillaume Ferdinand de Brunswick-Wolfenbuttel, qui,
vingt-cinq ans plus tard, sera battu `a Valmy (1792) par Kellerman et Dumouriez. Il ne faut confondre Ferdinand ni avec son neveu, ni avec son fr`ere aˆýn´e Charles, qui furent duc r´egnants de Brunswick, ce que Ferdinand ne fut jamais,
Voltaire : Ce fut en Allemagne principalement que le sang fut toujours r´epandu.
Les fronti`eres de France ne furent jamais entam´ees. L’Allemagne devint un gouffre qui engloutissait le sang et l’argent de la France. Les bornes de cette histoire qui n’est qu’un pr´ecis, ne permettent pas de raconter ce nombre prodigieux de combats livr´es depuis les bords de la mer Baltique jusqu’au Rhin ; presque aucune bataille n’eut de grandes suites, parce que chaque puissance avait toujours des ressources. Il n’en ´etait pas de mˆeme en Am´erique et dans l’Inde, o `u la perte de douze cents hommes est irr´eparable. La journ´ee mˆeme de Rosbac [d´efaite du prince de Soubise contre Fr´ed´eric II en 1757] ne fut suivie d’aucune r´evolution.
La bataille que les fran¸cais perdirent aupr`es de Minden en 1759, et les autres ´echecs qu’ils essuy`erent, les firent r´etrograder ; mais ils rest`erent toujours en Allemagne. Lorsqu’ils furent battus encore `a Crevelt, entre Clˆeves et Cologne, ils rest`erent pourtant encore les maˆýtres du duch´e de Clˆeves et de la ville de Gueldres. Ce qui fut le plus remarquable dans cette journ´ee de Crevelt, ce fut la perte du comte de Gisors, fils unique du mar´echal de Belle- Isle, bless´e en combattant `a la tˆete des carabiniers. C’´etait le jeune homme de la plus grande esp´erance, ´egalement instruit dans les affaires et dans l’art militaire, capable des grandes vues et des d´etails, d’une politesse ´egale `a sa valeur, ch´eri `a la cour et `a l’arm´ee. Le prince h´er´editaire de Brunswick qui le prit prisonnier, en eut soin comme de son fr`ere, ne le quitta point jusqu’`a sa mort qu’il honora de ses larmes. Il l’aima d’autant plus qu’il retrouvait en lui son caract`ere. C’est ce mˆeme prince de Brunswick qui voyagea depuis en France et dans une grande partie de l’Europe, que j’ai vu jouir si modestement de sa renomm´ee et des sentiments qu’on lui devait. Il combattait alors sous le prince de Brunswick, son oncle, beau-fr`ere du roi de Prusse, qui acquit une grande r´eputation, et qui avait la mˆeme modestie, compagne de la v´eritable gloire, et apanage de sa famille. Le prince h´er´editaire commandait dans plusieurs occasions des corps s´epar´es, et il fut souvent aussi heureux qu’audacieux.
La bataille de Crevelt, dont on ne parlait `a Paris qu’avec le plus grand d´ecouragement, n’empˆecha pas le duc de Broglie de remporter une victoire compl`ete `a Bergen vers Francfort, contre ces mˆemes princes de Brunswick, victorieux ailleurs ; et de m´eriter la dignit´e de mar´echal de France `a l’exemple de son p`ere et de son grand p`ere. Ce fut ce mˆeme prince [Ferdinand] qui gagna la bataille de Warbourg o `u furent bless´es le marquis de Castre, le prince de Rohan-Rochefort, son cousin le marquis de B´etisi, le comte de la Tour-Du-Pin, le marquis de Valence, et une quantit´e prodigieuse d’offi- ciers fran¸cais : leur malheur ´etait une preuve de leur courage.
Ces succ`es divers du jeune prince h´er´editaire, n’empˆech`erent pas non plus que le prince de Cond´e, `a peu pr`es de son ˆage, et rival de sa gloire, n’e ˆ ut sur lui un avantage `a six lieues de Francfort vers la W´eteravie ; c’est-l`a que le prince de Brunswick fut bless´e, et qu’on vit tous les officiers fran¸cais s’int´eresser `a sa gu´erison comme les siens propres. Quel fut le r´esultat de cette multitude innombrable de combats dont le r´ecit mˆeme ennuie aujourd’hui ceux qui s’y sont signal´es ? Que reste-t-il de tant d’efforts ? Rien que du sang inutilement vers´e dans des pays incultes et d´esol´es, des villages ruin´es, des familles r´eduites `a la mendicit´e ; et rarement mˆeme un bruit sourd de ces calamit´es per¸cait-il jusques dans Paris, toujours profond´ement occup´e de plaisirs ou de disputes ´egalement frivoles.
`A en croire le F. Voltaire, nos travaux ce soir seraient donc parfaitement inutiles. Ce qu’´ecrit Voltaire est globalement vrai (quoique l’Allemagne f ˆ ut loin d’ˆetre inculte et d´esol´ee), mais il omet un point tr`es important : si Ferdinand (bien plus que son neveu) est devenu c´el`ebre en battant syst´ematiquement les arm´ees franc¸aises pendant la guerre de Sept Ans, c’est surtout parce qu’il le fit en ´etant toujours le plus faible num´eriquement, ne disposant en g´en´eral que d’environ la moiti´e des troupes de ses ennemis, et surmontant ce d´esavantage par sa sup´eriorit´e dans les manoeuvres et dans la strat´egie.
Situons maintenant Ferdinand dans l’histoire et la g´en´ealogie. Pour ceci, nous remonterons `a l’´epoque d’Attila : lorsque celui-ci d´evastait l’Europe, un de ses ministres fut Eregon, chef de la tribu des Scirres, et celui-ci fut le p`ere d’Odoacre, premier roi barbare d’Italie, proclam´e en 476, la date conventionnelle `a laquelle on fixe la fin de l’empire romain d’occident. En 489, Th´eodoric envahit l’Italie, battant Odoacre et finalement celui-ci meurt empoisonnê en 493.

Mais d’apr`es la tradition guelphe, Odoacre avait un fr`ere cadet, Anulphe ou Hunulphe, plus tard on dira Guelphe (en allemand, Welf) ; celui-ci parvient `a se maintenir en Italie, et acquiert ou conquiert des terres en Bavi`ere. Il y serait mort en 489. Le g´en´ealogiste Burke, voulant mettre en valeur les ancˆetres de la reine Victoria, qui ´etait aussi guelphe, nous donne toute une liste de descendants aux noms impressionnants : Olfigand, Uligage, Caduin, Cathicus, Guelphe, etc. Une branche de la maison guelphe obtient le duch´e d’Este en Italie, tandis que la branche principale se maintient en Bavi`ere et y ajoute la Saxe et le Brunswick ; avec le ducWolfard, la g´en´ealogie guelphe quitte le domaine semi-l´egendaire et entre dans l’histoire proprement dite.
Henri V le Lion conquiert sur les Slaves le Mecklembourg et le Lunebourg, mais en s’alliant au Pape contre l’empereur Fr´ed´eric Barberousse, il est `a l’origine de l’emploi du terme “guelphe” pour d´esigner d’abord les adversaires de l’Empereur, ensuite les partisans du Pape, et qui finalement devient une simple ´etiquette pour le parti oppos´e `a celui des “ghibellins” — terme d´eriv´e de “Waiblingen”, nom du chˆateau ancestral des ducs de Souabes de la maison de Hohenstaufen, empereurs et adversaires h´er´editaire des guelphes. Les Hohenstaufen l’emportent sur les guelphes, mais Othon l’enfant, descendant guelphe, est cr´e´e duc de Brunswick- Lunebourg par l’empereur en 1235. C’est l’origine du titre que portera Ferdinand, sans jamais ˆetre duc r´egnant. En fait, Brunswick-Lunebourg est un titre g´en´erique pour les descendants d’Othon. Durant les cinq si`ecles qui m`enent d’Othon `a Ferdinand, les ´etats de Brunswick-Lunebourg seront plusieurs fois partag´es et r´eunis ; quant aux ducs de Brunswick, ils jouiront d’une double r´eputation, d’une part militaire, d’autre part de protecteurs des arts et des sciences : ainsi, le condottiere Othon de Brunswick- Lunebourg ´epousera la reine Jeanne I de Naples ; le duc ´ Eric l’Ancien se distinguera par son courage, sa g´en´erosit´e et sa tol´erance au milieu des guerres de religion ; le duc Auguste le Jeune publiera des Trait´es sur le jeu d’´echecs et sur la st´eganographie ; le duc Antoine-Ulrich se convertira au catholicisme, mais sans rien imposer `a ses sujets, et publiera deux romans : “Aram`ene, princesse de Syrie” et “Octavie” ; mais de tous les ducs de Brunswick le plus savant fut le propre grandp` ere de Ferdinand, le duc Ferdinand- Albert I (1636–1687) : il apprit dix langues, fut ´elu membre de la Soci´et´e Royale de Londres, fit de grands voyages et publia des ´ecrits mystiques sur le Nouveau Testament ; mais il ´etait aussi parano¨ýaque, croyant qu’on voulait l’empoisonner et qu’on avait fait mourir au moins trois de ses enfants. Quant aux artistes et savants prot´eg´es par les ducs de Brunswick, leurs noms sont tomb´es dans l’oubli, sauf celui du biblioth´ecaire et conseiller du duc Ernest Auguste : c’´etait le philosophe Leibniz, qui d’ailleurs voyagea pour r´eunir le maximum de donn´ees historiques et g´en´ealogiques concernant le Brunswick et la maison guelphe ; ses travaux contribu`erent `a ´etablir le lien de parent´e avec les ducs d’Este, et aid`erent le duc `a obtenir la reconnaissance du Brunswick- Lunebourg comme neuvi`eme ´electorat, en 1692. La ville principale de son territoire ´etant Hanovre, et la ville de Brunswick appartenant `a un autre territoire, le Brunswick-Hitzacker, plus commun´ement appel´e Brunswick-Wolfenbuttel d’apr`es ses deux villes principales, Ernest Auguste adopta le titre d’ ´ Electeur de Hanovre. On sait qu’apr´es la mort de la reine Anne d’Angleterre en 1714, il y avait cinquantequatre pr´etendants et pr´etendantes au tr ˆone du Royaume-Uni, mais que par la disqualification de tous les catholiques stipul ´ee par l’Acte d’ ´ Etablissement de 1701, le meilleur titre `a la succession fut celui du fils d’Ernest Auguste, l’ ´ Electeur George Louis, qui devint le roi George I d’Angleterre. Ceci explique pourquoi l’article Brunswick-Lunebourg de l’Almanach de Gotha renvoit le lecteur `a la maison royale d’Angleterre, o`u il n’est ´evidemment pas du tout question de Ferdinand ; de mˆeme, lorsque Ferdinand rec¸oit l’ordre de la Jarreti` ere, en 1760, il ne sera pas immatricul´e sous le nom Brunswick-Lunebourg, mais Brunswick-Bevern. Jetons maintenant un coup d’oeil sur le sort des fr`eres et soeurs de Ferdinand — il y en a dix qui atteignirent l’ˆage adulte. L’a¨ýn´e, Charles, deviendra duc r´egnant de Brunswick-Wolfenbuttel en 1735 ; il ´epousa une princesse prussienne et fit preuve de beaucoup de prudence pour pr´eserver ses ´etats pendant la guerre de Sept Ans, ayant parfois `a simuler d’ˆetre brouill´e avec Ferdinand. En 1773 on l’´ecartera cependant du pouvoir, parce qu’il ´etait trop d´epensier et avait s´erieusement entam´e les r´eserves de l’´etat ; il restera duc r´egnant de nom, mais le pouvoir r´eel sera exerc´e par son fils aˆýn´e, le neveu de Ferdinand battu plus tard `a Valmy et dont nous avons d´ej`a parl´e ; ce dernier redressa rapidement les finances, mais en garda une solide r´eputation d’avarice. Ce neveu, Charles Guillaume Ferdinand, ´etait le type mˆeme du despote ´eclair´e, qui ne lˆacherait pas la moindre parcelle de son pouvoir absolu, mais ne l’employait que pour ce qui ´etait ou ce qu’il croyait ˆetre le bien de l’´etat. Il ne tol´erait d’ailleurs la franc-mac¸onnerie dans ses ´etats que parce que son oncle en ´etait le grandma ˆýtre. Avant la bataille de Valmy, certains conc¸urent le projet assez surprenant de lui offrir la couronne de France : dans cette ´eventualit´e, la mˆeme famille guelphe aurait r´egn´e des deux cˆot´es de la Manche. Mais c’´etait peut-ˆetre une ruse de Danton pour ´eviter que le duc de Brunswick se presse de venir lib´erer Louis XVI, qui ´etait alors emprisonn´e `a Paris depuis la journ´ee du 10 ao ˆ ut. Remarquons en passant que le duc de Brunswick n’est pas l’auteur r´eel du manifeste qu’on lui attribue et dans lequel on menace de d´etruire Paris comme l’avait ´et´e J´erusalem. Moins heureux en armes qu’en politique, le neveu de Ferdinand mourut en v´eritable soldat, bless´e mortellement `a l’oeil d’une balle lors de la bataille d’Auerstadt, en 1806, ˆag´e de septante et un ans. Le deuxi`eme fr`ere de Ferdinand s’appelle Antoine Ulrich ; il ´epouse en Russie sa cousine Anne L´eopoldovna, ni`ece de l’imp´eratrice Anne, qui d´esignera comme successeur leur fils Ivan. Avec un neveu du duc comme tsar, la protection du Brunswick-Wolfenbuttel contre ses puissants voisins prussiens et hanovriens pouvait sembler assur´ee — mais c’´etait compter sans les al´eas de la politique russe. ˆ Ag´e de deux mois, Ivan sera proclam´e empereur en 1740, mais un an plus tard la derni`ere fille de Pierre le Grand, ´ Elisabeth, s’emparera du tr ˆone par un coup d’´etat contre le r´egent, et Ivan se retrouve emprisonn´e, passant d’une forteresse `a l’autre, s´epar´e de sa famille, qui est exil´ee. Vingt-trois ans plus tard, une tentative de lib´eration d’Ivan par des rebelles au pouvoir de l’imp´eratrice Catherine II entra ˆýnera sa mort ; ses parents moururent en exil, mais grˆace `a l’intercession de Ferdinand, ses fr`ere et soeur purent retourner `a Brunswick. Ils y men`erent une existence priv´ee, pourtant, car ils n’avaient rec¸u aucune ´education. La soeur aˆýn´ee de Ferdinand fut ´ Elisabeth Christine, qui ´epousa Fr´ed´eric II et devint reine de Prusse. On sait que le grand Fr´ed´eric n’´etait pas un ´epoux tr`es d´evou´e ; il pr´ef´erait la compagnie de son beau-fr`ere Ferdinand. Le troisi`eme fr`ere de Ferdinand s’appelle Louis Ernest ; il entra au service de l’empereur —rappelons que l’empire ´etait devenu h´er´editaire dans la maison des Habsbourg autrichiens depuis 1437 — et devint feld-mar´echal. Il sera fait prisonnier pendant la guerre de Sil´esie, et rencontrera alors Ferdinand, qui combattait pour le roi de Prusse. Ferdinand ´etait le quatri`eme fils. Sa soeur cadette Louise Am´elie ´epousa le fr`ere cadet de Fr´ed´eric II, Auguste Guillaume ; leur fils Fr´ed´eric Guillaume II succ´eda au tr ˆone de Prusse. La soeur suivante, Sophie Antoinette, devint duchesse de Saxe-Saalfeld. Le fr`ere suivant, Albert, fut tu´e `a la tˆete du r´egiment brunswickois de l’arm´ee prussienne dont il ´etait le colonel, lors de la bataille de Soor, en 1745. Il avait dix-neuf ans. La soeur suivante, Th´er`ese Natalie, devint abbesse de Gandersheim. La soeur suivante, Juliane Marie, fut ´epous´ee en secondes noces par le roi Fr´ed´eric V du Danemark, et ainsi devint reine. Le dernier fr`ere, Fr´ed´eric Franc¸ois, fut colonel du mˆeme r´egiment, et fut tu´e `a l’ˆage de vingt-six ans lors de la bataille de Hochkirchen, pendant la guerre de Sept Ans, en 1758. Bref, Ferdinand est beau-fr`ere de deux rois et oncle d’un roi et d’un empereur (malheureux) ; mˆeme si le territoire du Brunswick-Wolfenbuttel est petit, et d’apr`es l’Almanach de Gotha il ne comptait que 166.000 habitants en 1782, Ferdinand appartient `a une famille de la plus haute et illustre noblesse allemande. Une famille protestante (sauf quelques conversions `a titre personnel), qui n’offre donc `a ses descendants masculins qu’une seule carri`ere possible, celle des armes. Jusqu’`a cinq ans, Ferdinand est confi´e aux femmes ; ensuite, le tuteur des princes s’occupe de son ´education, et d`es douze ans Ferdinand participe `a l’exercice militaire. Le p`ere de Ferdinand r´eussit le tour de force d’ˆetre en bon termes `a la fois avec l’empereur et avec le roi de Prusse ; nous avons vu que le fr`ere Louis Ernest de Ferdinand ´etait entr´e au service de l’Autriche ; par souci d’´equilibre politique, ou parce qu’il pr´evoyait la mont´ee en pouvoir de la Prusse, le duc de Brunswick d´ecide de ne pas envoyer Ferdinand en Autriche, mais en Prusse. Le roi Fr´ed´eric Guillaume accepte, `a condition que Ferdinand soit accompagn ´e de tout un r´egiment de huit cent soldats et des officiers n´ecessaires, r´egiment qui viendra ainsi grossir l’arm´ee prussienne. Pendant que les troupes et les officiers sont r´eunis, Ferdinand est envoy´e faire son tour d’Europe, visitant Hanovre, Osnabruck, La Haye, Leyde, Utrecht, Amsterdam, Breda, Bruxelles, Paris (il est bien s ˆ ur pr´esent´e `a la cour de Versailles), et ensuite Nogent le Rotrou, o`u il rencontre M. Poisson, le p`ere de la future marquise de Pompadour ; Metz, Luxembourg, Nancy, Langres, Lyon, Avignon, Marseille ; ensuite Gˆenes, Turin, Milan, Venise et Vienne, o`u il rencontre son fr`ere Louis Ernest, de retour d’une exp´edition contre les Turcs. Il quitte Vienne le 15 mai 1740. Il n’´etait pas encore franc-mac¸on : d’apr´es ses propres indications, il fut rec¸u apprenti l’ann´ee suivante, 1741, `a Berlin. Fin 1740 il prend le commandement de son r´egiment. Ferdinand apprendra l’art militaire pendant les guerres de Sil´esie, qui, de 1740 `a 1745, opposent le jeune roi de Prusse Fr´ed´eric II `a l’Autriche. En 1742 Ferdinand est promu g´en´eral-major ; en 1744 son r´egiment est confi´e `a son fr`ere Albert, qui sera tu´e, mais Ferdinand devient commandeur de la garde du roi. On peut supposer que d`es lors il risquait beaucoup moins sa vie (n’ayant en somme qu’`a la sacrifier dans le cas hautement improbable que la vie du roi lui-mˆeme serait en danger). Et de fait, Ferdinand ne fut bless´e s´erieusement qu’une seule fois, par une balle qui vint frapper sa jambe, sans traverser la peau, mais causant un ´epanchement important de sang. La p´eriode de 1745 `a 1756 est l’entredeux- guerres ; Ferdinand est commandant de la forteresse de Magdebourg, mais fr´equente surtout la cour brillante de Berlin, o`u il jouera des r ˆoles dans les pi`eces de th´eˆatre que le roi repr´esente avec ses courtisans favoris ; Ferdinand y rencontrera entre autres le marquis d’Argens et Voltaire, avec qui il jouera aux ´echecs. Et son biographe Mauvillon pr´ecise que, quoiqu’il frayˆat ainsi avec les chantres de l’impi´et´e, jamais leurs sophismes ath´ees ne purent triompher de ses certitudes religieuses ; si notre R.E.R. est rest´e chr´etien — et chr´etien sans guillemets ni jeux de mots — c’est peut-ˆetre en partie grˆace `a la pi´et´e profonde et sinc`ere de Ferdinand, dont les documents fondateurs du R´egime sont comme le reflet.

La guerre de Sept Ans commence en 1756 ; la cause mˆeme du conflit est incertaine, d’apr´es Mauvillon, il s’agissait de rivalit ´es coloniales entre la France et l’Angleterre, sur le territoire de l’actuel Canada. . . mais par de multiples complications diplomatiques, on en vient au renversement des alliances traditionnelles, la France et l’Autriche s’alliant avec la Russie contre la Prusse et l’Angleterre et le Hanovre r´eunis. Au d´ebut de la guerre, le roi de Prusse dispose d’une arm´ee d’observation sur ce qui sera plus tard le front ouest ; elle consiste de 18.000 hanovriens, 12.000 hessois, 6.000 Brunswickois, des buckbourgeois et deux bataillons de soldats de Saxe- Gotha. `A sa tˆete se trouve le duc Guillaume Auguste de Cumberland, fils du roi hanovrien George II d’Angleterre. Cette arm´ee est battue `a Hastenbeck, et ensuite le duc de Cumberland ne fait plus que reculer devant l’ennemi franc¸ais, jusqu’`a ce qu’il se trouve accul´e et doive signer la Convention de Kloster-Zeven, aux termes de laquelle les hanovriens seront intern´es et tous les autres soldats renvoy´es dans leurs foyers avec interdiction formelle de reprendre les armes pendant cette guerre.
C’est une catastrophe pour Fr´ed´eric II, qui proteste avec v´eh´emence aupr`es de George II ; mais alors on trouve un subterfuge juridique permettant de d´enoncer la Convention, qui n’´etait pas encore ratifi ´ee, ni par George II, ni par Louis XV. Il n’´etait que trop clair que le duc de Cumberland ne pouvait pas rester en tant que commandant-en-chef ; sur recommandation des ministres anglais et hanovriens, le roi mettra Ferdinand `a la tˆete de son arm´ee occidentale. Ferdinand part aussitˆot pour rejoindre son arm´ee, et commence par kidnapper — si on peut dire — son neveu, le prince h´eritier, qui avait vingt et un ans et allait juste commencer son propre tour d’Europe. “Passez donc me visiter, mon cher neveu” mais d`es son arriv´ee le prince h´eritier est incorpor´e en tant que colonel dans l’arm´ee de Ferdinand. Les protestations du duc r´egnant de Brunswick n’y changeront rien — elles ´etaient d’autant plus ´energiques qu’il y avait des troupes franc¸aises dans ses ´etats.

Le neveu de Ferdinand sera souvent choisi pour mener `a bien des op´erations risqu´ees, non seulement `a cause de la confiance que Ferdinand peut avoir en lui, mais aussi parce que Ferdinand n’est g´en´eralement pas directement en contact avec les officiers : en tant que g´en´eral en chef, il donne ses ordres aux g´en´eraux particuliers des diff´erentes nations qui composent son arm´ee, et parfois ceux-ci sacri- fient l’ob´eissance de principe `a leur ambition personnelle, voire `a des ordres secrets rec¸us de leurs souverains. L’exemple le plus ´evident de cette mauvaise foi des chefs subalternes est offert par la bataille de Minden : Ferdinand avait admirablement battu le mar´echal de Contades, et il aurait suffi que le g´en´eral anglais, Lord Sackville, e ˆ ut charg´e les arm´ees franc¸aises pour les mettre enti`erement en d´eroute. Mais il refusa obstin´ement d’ob´eir `a l’ordre que Ferdinand en donna ; peut-ˆetre par lˆachet´e, peut-ˆetre parce que le gouvernement anglais ne voulait pas voir le roi de Prusse enti`erement d´ebarrass´e de ses ennemis franc¸ais. Sackville fut traduit en cour martiale, et d´eclar´e inapte `a servir en aucune fonction militaire. Mais six ans plus tard il rentra dans la faveur du roi. Le r´ecit des succ`es de Ferdinand pendant la guerre de Sept Ans est assez monotone ; il fut le g´en´eral le plus heureux de la guerre, et en fait surpassa de loin le roi Fr´ed´eric lui-mˆeme, dont les victoires furent contrebalanc´ees par de lourdes pertes — il fut presque accul´e au suicide apr`es sa d´efaite `a Kunersdorf, contre les Autrichiens, et pendant l’occupation de Berlin par les troupes autrichiennes. Il ne parvint `a vaincre que grˆace `a l’av`enement du tsar Pierre III, qui ´etait un admirateur `a lui.

La Prusse sort de la guerre victorieuse mais exsangue. Ferdinand reprend son commandement `a Magdebourg et sa vie `a la cour de Berlin. Mais la pr´esence de Ferdinand ne manque pas d’irriter le roi, car dans le syst`eme prussien, il ne peut qu’y avoir un seul g´en´eral en chef, le roi lui-mˆeme, qui peut tol´erer un brillant second tel le mar´echal Keith, mais pas un fils de souverain comme Ferdinand. Le roi et Ferdinand se brouillent en 1766, `a cause d’une remarque faite `a table par Ferdinand, qui se demande si le peuple de Prusse n’en viendrait pas `a regretter l’occupation ´etrang`ere, devant la s´ev´erit´e de l’administration royale et l’augmentation des taxes. Le roi r´epond en invitant Ferdinand `a dˆýner avec lui `a Sans-Souci, mais lorsque Ferdinand s’y pr´esente, le roi n’est pas l`a, ayant fait mettre un seul couvert pour Ferdinand. (Ferdinand ´etait d’une politesse fastidieuse, o`u Voltaire a peut-ˆetre sinc`erement vu de la modestie, mais il ´etait aussi tr`es exigeant envers ceux — fussent-ils rois — dont il trouvait qu’il leur incombait de lui t´emoigner le respect dˆu `a un duc de Brunswick-Lunebourg.) Quelques jours plus tard, le roi vient inspecter la forteresse de Magdebourg. Lors d’une telle inspection, le roi donnait tous les ordres et le commandant n’avait qu’`a esp´erer que tout irait bien ; mais Ferdinand ´etait l’exception : chez lui, le roi ne donnait pas d’ordres, mais ne faisait qu’inspecter et appr´ecier les exercices. Or ce jourl` a le colonel Von Anhalt, aide-de-camp du roi, se met `a donner des ordres. Ferdinand proteste et exige que le roi choisisse imm´ediatement entre Von Anhalt et luim ˆeme, un des deux devant partir. Mais le roi r´epond que Von Anhalt lui est indispensable. Ferdinand quittera d`es que possible la Prusse, et il restera brouill´e avec le roi pendant onze ans ; ils seront r´econcili´es par le neveu de Ferdinand ; Mauvillon reproduit d’ailleurs les lettres tr`es polies qui furent ´echang´ees en pr´eparation de l’entrevue de 1777 entre les deux hommes, qui ensuite ne parl`erent plus jamais de l’incident. Mais le retour de Prusse modi- fia enti`erement l’existence de Ferdinand : il se retire dans son petit chˆateau de Vechelde, au Brunswick, et entreprend toute une s´erie de voyages `a la fois diplomatiques, mac¸onniques et personnels, au Danemark, en Su`ede, etc. — on se rappelle l’intercession aupr`es de l’imp´eratrice pour faire lib´erer ses malheureux neveu et ni`ece. Cette p´eriode est celle ou le r ˆole mac¸onnique de Ferdinand devient pr´epond´erant, et aboutit dans son obtention de la grande-maˆýtrise de l’Ordre `aWilhelmsbad. Depuis quelques ann´ees, des historiens principalement germanophones s’int´eressent `a ce qu’on appelle l’Arkanenpolitik, la politique secr`ete des souverains allemands, qui auraient exploit ´e la franc-mac¸onnerie pour se cr´eer un r´eseau suppl´ementaire d’influences et d’all´egeances secr`etes, y incorporant d´elib´er´ement des repr´esentants des opinions politiques les plus avanc´ees. On peut donc se demander si Ferdinand et le roi ´etaient bien sinc`erement brouill´es, ou si cela avait pour but de permettre `a Ferdinand de voyager et de rectifier l’Ordre au profit de la politique prussienne. Mais ce n’est ici qu’une question sp´eculative En 1775 on offre `a Ferdinand le commandement en chef de l’arm´ee qui doit r´eduire la r´evolte des colonies anglaises en Am´erique ; Ferdinand d´ecline : il n’avait que 54 ans et aurait pu accepter, mais au risque de perdre l’excellente r´eputation militaire acquise pendant la guerre de Sept Ans. On peut rˆever et s’imaginer ce qui aurait pu se passer : Ferdinand triomphant des rebelles, Washington, Jefferson, Franklin et autres pendus pour haute trahison ; le monde serait bien diff´erent aujourd’hui. Mais Ferdinand resta en Europe, et la guerre contre les rebelles am´ericains fut coordonn´ee par le secr´etaire d’ ´ Etat aux colonies : le mˆeme lord Sackville qui ne chargea pas `a Minden.

`A 70 ans, Ferdinand souffre d’une attaque, dont il se r´etablit temporairement ; l’ann´ee suivante, il sera pris d’´etouffements et meurt (il est mort assez jeune ; son coadjuteur, le landgrave Charles de Hesse-Cassel, gouverneur du Schleswig-Holstein au service du roi du Danemark, atteindra 92 ans). Ferdinand ´etait, dit-on, tr`es riche et tr`es bienfaisant ; ce qui est s ˆ ur, c’est qu’il laissa de grosses dettes. Il ne commenc¸ait jamais `a parler de ses succ`es militaires. Son principal d´efaut ´etait la cr´edulit´e ; Mauvillon cite en exemple sa croyance `a la survivance du comte de Saint-Germain ; il arrivait aussi `a Ferdinand d’ˆetre tr`es g´en´ereux envers des plus indignes charlatans. Il ne s’est jamais mari´e — des raisons politiques l’en empˆechaient, mais l’opinion aurait certainement tol´er´e qu’il prˆýt une maˆýtresse, et mˆeme avec moins de prudence que son neveu qui, d’apr`es Mirabeau, en avait pris une d’encore plus raisonnable et ´econome que lui-mˆeme. Mais on ne connut aucun attachement romantique `a Ferdinand ; par cons´equent nous n’avons pas grand’chose `a dire de sa vie priv´ee. Dans un futur travail, nous donnerons un aperc¸u de la vie du duc de Sudermanie ; la comparaison avec Ferdinand sera tr`es instructive ! Mais pour l’instant nous vous remercions de votre patience et esp´erons avoir servi la m´emoire du premier grand-maˆýtre de l’Ordre, en donnant un visage et une histoire au nom que nous prononc¸ons lors de nos banquets rituels.