Aperc¸u biographique de S.A.S. le prince
Ferdinand, duc de Brunswick-Lunebourg,
premier grand-maître du R.E.R.
par le F.'. D. C.
R.'. · Le Triangle d’Or, O.'. de Denderleeuw ;
discours prononc´e `a l’occasion de la
Fˆete du Renouvellement de l’Ordre,
le 30 octobre 2004.
V.'. M.'.,
lors du couronnement d’un nouveau Pape,
`a Rome, un chambellan br ˆ ule un bout
d’´etoupe et dit Sic transit gloria mundi.
Dans l’initiation au premier grade de notre
R.E.R., nous rappelons pareillement au
n´eophyte que la gloire mondaine n’est que
transitoire.
Ferdinand de Brunswick-Lunebourg,
notre premier grand-maˆýtre, dont nous
nous occuperons plus sp´ecialement ce soir,
peut servir d’exemple `a cette maxime, car,
de son vivant, c’´etait un des hommes les
plus c´el`ebres d’Europe ; Napol´eon meublera
encore ses loisirs forc´es `a Sainte-
H´el`ene en commentant les d´ecisions militaires
de Ferdinand, trente ans apr`es la
mort de celui-ci, soixante ans apr`es les batailles
de la guerre de Sept Ans ; mais de
nos jours, seuls une poign´ee d’historiens et
quelques mac¸ons savent encore `a peu pr`es
qui ´etait Ferdinand, quelles furent ses victoires
militaires, ce que sont le Brunswick,
le Lunebourg, les ducs qui en portent les
titres, la maison guelphe, etc.
Notre but sera donc ce soir de clarifier
tout cela, esp´erant ainsi rafraˆýchir dans la
m´emoire des Fr`eres, la m´emoire de Ferdinand,
`a laquelle, d’ailleurs, nous portons
une sant´e d’ordre lors de chaque banquet
rituel. Il faut se rappeler de trois dates dans
la vie de Ferdinand : sa naissance, en 1721 ;
le d´ebut de la guerre de Sept Ans, en 1756 ;
et la date de son d´ec`es, en 1792.
Comme nous travaillons aujourd’hui
au premier grade symbolique, il ne nous
sera pas possible d’entrer dans tous les
d´etails de la vie mac¸onnique de Ferdinand
; il est certain qu’il exerc¸a une in-
fluence importante sur le processus de rectification
qui transforma la Stricte Observance
Templi`ere dans notre syst`eme actuel,
tout en ´etant influenc´e lui-mˆeme par
Willermoz, Haugwitz et d’autres. Mais ces
questions, qui touchent de pr`es `a l’Ordre
Int´erieur, ne peuvent pas ˆetre abord´ees ici.
De mˆeme, Ferdinand appartenait `a
des ordres para- ou quasi- ou pseudomac
¸onniques, tels les Illumin´es de Bavi`ere
et les Fr`eres de l’Asie, mais nous n’en
parlerons pas ici. Nous nous attacherons
plutˆot `a la vie publique, civile et militaire,
de Ferdinand, et `a sa vie priv´ee,
telle que nous les pouvons connaˆýtre par
le t´emoignage de son biographe et par
d’autres sources, contemporaines `a lui ou
plus r´ecentes.
En ce qui concerne les sources, nous
employons l’aperc¸u autobiographique de
Ferdinand qu’on a repris dans les annexes
aux protocoles de Wilhelmsbad ;
les articles de l’encyclop´edie britannique
concernant Ferdinand et ses proches ;
les articles correspondants de la Biographie
Universelle de Michaud ; l’article
du Konversationslexicon de Meyer (repris
sur Internet par la Wikip´edie) ; l’Almanach
de Gotha de 1782 ; le dictionnaire
g´en´ealogique de la pairie et du baronettage
de l’empire britannique, de Burke ;
et, surtout, les 800 pages in-8o de la biographie
de Ferdinand par son prot´eg´e, le
lieutenant-colonel Jacques Mauvillon, biographie
qui parut en 1794 `a Leipzig et
dont, Internet aidant, nous avons pu obtenir
un exemplaire mis en vente fin 2003
par la biblioth`eque de la garnison royale de
Copenhague.
Jacques Mauvillon portait un nom
franc¸ais, mais sa biographie de Ferdinand
est empreinte d’un nationalisme allemand
tr`es virulent — ainsi, il nous pr´esente
Fr´ed´eric II comme un h´eros protestant et
teutonique, — nous essayerons donc de
compenser la partialit´e du biographe en
donnant d’abord la parole `a un tout autre
historien, Voltaire, qui est au moins aussi
partial que Mauvillon, mais du bord opposë.
Nous trouvons `a la fin du 33e chapitre
du Pr´ecis du si`ecle de Louis XV (1768)
le r´esum´e suivant de la Guerre de Sept
Ans — pr´ecisons que notre Ferdinand est
l’oncle dont parle Voltaire, et que son neveu,
le prince h´er´editaire est alors le futur
duc r´egnant Charles Guillaume Ferdinand
de Brunswick-Wolfenbuttel, qui,
vingt-cinq ans plus tard, sera battu `a
Valmy (1792) par Kellerman et Dumouriez.
Il ne faut confondre Ferdinand ni avec son
neveu, ni avec son fr`ere aˆýn´e Charles, qui
furent duc r´egnants de Brunswick, ce que
Ferdinand ne fut jamais,
Voltaire : Ce fut en Allemagne principalement
que le sang fut toujours r´epandu.
Les
fronti`eres de France ne furent jamais entam´ees.
L’Allemagne devint un gouffre qui engloutissait
le sang et l’argent de la France. Les bornes
de cette histoire qui n’est qu’un pr´ecis, ne permettent
pas de raconter ce nombre prodigieux
de combats livr´es depuis les bords de la mer Baltique
jusqu’au Rhin ; presque aucune bataille
n’eut de grandes suites, parce que chaque puissance
avait toujours des ressources. Il n’en ´etait
pas de mˆeme en Am´erique et dans l’Inde, o `u la
perte de douze cents hommes est irr´eparable. La
journ´ee mˆeme de Rosbac [d´efaite du prince de
Soubise contre Fr´ed´eric II en 1757] ne fut suivie
d’aucune r´evolution.
La bataille que les fran¸cais perdirent aupr`es
de Minden en 1759, et les autres ´echecs qu’ils
essuy`erent, les firent r´etrograder ; mais ils
rest`erent toujours en Allemagne. Lorsqu’ils
furent battus encore `a Crevelt, entre Clˆeves
et Cologne, ils rest`erent pourtant encore les
maˆýtres du duch´e de Clˆeves et de la ville de
Gueldres. Ce qui fut le plus remarquable dans
cette journ´ee de Crevelt, ce fut la perte du comte
de Gisors, fils unique du mar´echal de Belle-
Isle, bless´e en combattant `a la tˆete des carabiniers.
C’´etait le jeune homme de la plus grande
esp´erance, ´egalement instruit dans les affaires
et dans l’art militaire, capable des grandes vues
et des d´etails, d’une politesse ´egale `a sa valeur,
ch´eri `a la cour et `a l’arm´ee. Le prince h´er´editaire
de Brunswick qui le prit prisonnier, en eut soin
comme de son fr`ere, ne le quitta point jusqu’`a sa
mort qu’il honora de ses larmes. Il l’aima d’autant
plus qu’il retrouvait en lui son caract`ere.
C’est ce mˆeme prince de Brunswick qui
voyagea depuis en France et dans une grande
partie de l’Europe, que j’ai vu jouir si modestement
de sa renomm´ee et des sentiments qu’on
lui devait. Il combattait alors sous le prince
de Brunswick, son oncle, beau-fr`ere du roi de
Prusse, qui acquit une grande r´eputation, et
qui avait la mˆeme modestie, compagne de la
v´eritable gloire, et apanage de sa famille. Le
prince h´er´editaire commandait dans plusieurs
occasions des corps s´epar´es, et il fut souvent
aussi heureux qu’audacieux.
La bataille de Crevelt, dont on ne parlait
`a Paris qu’avec le plus grand d´ecouragement,
n’empˆecha pas le duc de Broglie de remporter
une victoire compl`ete `a Bergen vers Francfort,
contre ces mˆemes princes de Brunswick,
victorieux ailleurs ; et de m´eriter la dignit´e de
mar´echal de France `a l’exemple de son p`ere et
de son grand p`ere. Ce fut ce mˆeme prince [Ferdinand]
qui gagna la bataille de Warbourg o `u
furent bless´es le marquis de Castre, le prince
de Rohan-Rochefort, son cousin le marquis de
B´etisi, le comte de la Tour-Du-Pin, le marquis
de Valence, et une quantit´e prodigieuse d’offi-
ciers fran¸cais : leur malheur ´etait une preuve
de leur courage.
Ces succ`es divers du jeune prince
h´er´editaire, n’empˆech`erent pas non plus que
le prince de Cond´e, `a peu pr`es de son ˆage, et rival
de sa gloire, n’e ˆ ut sur lui un avantage `a six
lieues de Francfort vers la W´eteravie ; c’est-l`a
que le prince de Brunswick fut bless´e, et qu’on
vit tous les officiers fran¸cais s’int´eresser `a sa
gu´erison comme les siens propres.
Quel fut le r´esultat de cette multitude innombrable
de combats dont le r´ecit mˆeme ennuie
aujourd’hui ceux qui s’y sont signal´es ?
Que reste-t-il de tant d’efforts ? Rien que du
sang inutilement vers´e dans des pays incultes
et d´esol´es, des villages ruin´es, des familles
r´eduites `a la mendicit´e ; et rarement mˆeme un
bruit sourd de ces calamit´es per¸cait-il jusques
dans Paris, toujours profond´ement occup´e de
plaisirs ou de disputes ´egalement frivoles.
`A en croire le F. Voltaire, nos travaux
ce soir seraient donc parfaitement inutiles.
Ce qu’´ecrit Voltaire est globalement vrai
(quoique l’Allemagne f ˆ ut loin d’ˆetre inculte
et d´esol´ee), mais il omet un point tr`es
important : si Ferdinand (bien plus que
son neveu) est devenu c´el`ebre en battant
syst´ematiquement les arm´ees franc¸aises
pendant la guerre de Sept Ans, c’est surtout
parce qu’il le fit en ´etant toujours
le plus faible num´eriquement, ne disposant
en g´en´eral que d’environ la moiti´e
des troupes de ses ennemis, et surmontant
ce d´esavantage par sa sup´eriorit´e dans les
manoeuvres et dans la strat´egie.
Situons maintenant Ferdinand dans
l’histoire et la g´en´ealogie. Pour ceci, nous
remonterons `a l’´epoque d’Attila : lorsque
celui-ci d´evastait l’Europe, un de ses ministres
fut Eregon, chef de la tribu des
Scirres, et celui-ci fut le p`ere d’Odoacre,
premier roi barbare d’Italie, proclam´e en
476, la date conventionnelle `a laquelle on
fixe la fin de l’empire romain d’occident.
En 489, Th´eodoric envahit l’Italie, battant
Odoacre et finalement celui-ci meurt empoisonnê en 493.
Mais d’apr`es la tradition guelphe,
Odoacre avait un fr`ere cadet, Anulphe
ou Hunulphe, plus tard on dira Guelphe
(en allemand, Welf) ; celui-ci parvient `a
se maintenir en Italie, et acquiert ou
conquiert des terres en Bavi`ere. Il y serait
mort en 489. Le g´en´ealogiste Burke,
voulant mettre en valeur les ancˆetres de
la reine Victoria, qui ´etait aussi guelphe,
nous donne toute une liste de descendants
aux noms impressionnants : Olfigand, Uligage, Caduin, Cathicus, Guelphe,
etc. Une branche de la maison guelphe
obtient le duch´e d’Este en Italie, tandis
que la branche principale se maintient en
Bavi`ere et y ajoute la Saxe et le Brunswick ;
avec le ducWolfard, la g´en´ealogie guelphe
quitte le domaine semi-l´egendaire et entre
dans l’histoire proprement dite.
Henri V
le Lion conquiert sur les Slaves le Mecklembourg
et le Lunebourg, mais en s’alliant
au Pape contre l’empereur Fr´ed´eric
Barberousse, il est `a l’origine de l’emploi
du terme “guelphe” pour d´esigner d’abord
les adversaires de l’Empereur, ensuite les
partisans du Pape, et qui finalement devient
une simple ´etiquette pour le parti
oppos´e `a celui des “ghibellins” — terme
d´eriv´e de “Waiblingen”, nom du chˆateau
ancestral des ducs de Souabes de la maison
de Hohenstaufen, empereurs et adversaires
h´er´editaire des guelphes.
Les Hohenstaufen l’emportent sur les
guelphes, mais Othon l’enfant, descendant
guelphe, est cr´e´e duc de Brunswick-
Lunebourg par l’empereur en 1235. C’est
l’origine du titre que portera Ferdinand,
sans jamais ˆetre duc r´egnant. En
fait, Brunswick-Lunebourg est un titre
g´en´erique pour les descendants d’Othon.
Durant les cinq si`ecles qui m`enent
d’Othon `a Ferdinand, les ´etats de
Brunswick-Lunebourg seront plusieurs
fois partag´es et r´eunis ; quant aux ducs
de Brunswick, ils jouiront d’une double
r´eputation, d’une part militaire, d’autre
part de protecteurs des arts et des sciences :
ainsi, le condottiere Othon de Brunswick-
Lunebourg ´epousera la reine Jeanne I de
Naples ; le duc ´ Eric l’Ancien se distinguera
par son courage, sa g´en´erosit´e et
sa tol´erance au milieu des guerres de religion
; le duc Auguste le Jeune publiera
des Trait´es sur le jeu d’´echecs et sur la
st´eganographie ; le duc Antoine-Ulrich se
convertira au catholicisme, mais sans rien
imposer `a ses sujets, et publiera deux romans
: “Aram`ene, princesse de Syrie” et
“Octavie” ; mais de tous les ducs de Brunswick
le plus savant fut le propre grandp`
ere de Ferdinand, le duc Ferdinand-
Albert I (1636–1687) : il apprit dix langues,
fut ´elu membre de la Soci´et´e Royale de
Londres, fit de grands voyages et publia
des ´ecrits mystiques sur le Nouveau Testament
; mais il ´etait aussi parano¨ýaque,
croyant qu’on voulait l’empoisonner et
qu’on avait fait mourir au moins trois de
ses enfants.
Quant aux artistes et savants prot´eg´es
par les ducs de Brunswick, leurs noms
sont tomb´es dans l’oubli, sauf celui du
biblioth´ecaire et conseiller du duc Ernest
Auguste : c’´etait le philosophe Leibniz,
qui d’ailleurs voyagea pour r´eunir
le maximum de donn´ees historiques
et g´en´ealogiques concernant le Brunswick
et la maison guelphe ; ses travaux
contribu`erent `a ´etablir le lien de parent´e
avec les ducs d’Este, et aid`erent le duc `a
obtenir la reconnaissance du Brunswick-
Lunebourg comme neuvi`eme ´electorat,
en 1692. La ville principale de son territoire
´etant Hanovre, et la ville de Brunswick
appartenant `a un autre territoire, le
Brunswick-Hitzacker, plus commun´ement
appel´e Brunswick-Wolfenbuttel d’apr`es
ses deux villes principales, Ernest Auguste
adopta le titre d’ ´ Electeur de Hanovre. On
sait qu’apr´es la mort de la reine Anne
d’Angleterre en 1714, il y avait cinquantequatre
pr´etendants et pr´etendantes au
tr ˆone du Royaume-Uni, mais que par la
disqualification de tous les catholiques stipul
´ee par l’Acte d’ ´ Etablissement de 1701,
le meilleur titre `a la succession fut celui
du fils d’Ernest Auguste, l’ ´ Electeur George
Louis, qui devint le roi George I d’Angleterre.
Ceci explique pourquoi l’article
Brunswick-Lunebourg de l’Almanach de
Gotha renvoit le lecteur `a la maison royale
d’Angleterre, o`u il n’est ´evidemment pas
du tout question de Ferdinand ; de mˆeme,
lorsque Ferdinand rec¸oit l’ordre de la Jarreti`
ere, en 1760, il ne sera pas immatricul´e
sous le nom Brunswick-Lunebourg, mais
Brunswick-Bevern.
Jetons maintenant un coup d’oeil sur le
sort des fr`eres et soeurs de Ferdinand — il
y en a dix qui atteignirent l’ˆage adulte.
L’a¨ýn´e, Charles, deviendra duc r´egnant
de Brunswick-Wolfenbuttel en 1735 ; il
´epousa une princesse prussienne et fit
preuve de beaucoup de prudence pour
pr´eserver ses ´etats pendant la guerre
de Sept Ans, ayant parfois `a simuler
d’ˆetre brouill´e avec Ferdinand. En
1773 on l’´ecartera cependant du pouvoir,
parce qu’il ´etait trop d´epensier et avait
s´erieusement entam´e les r´eserves de l’´etat ;
il restera duc r´egnant de nom, mais le pouvoir
r´eel sera exerc´e par son fils aˆýn´e, le neveu
de Ferdinand battu plus tard `a Valmy
et dont nous avons d´ej`a parl´e ; ce dernier
redressa rapidement les finances, mais en
garda une solide r´eputation d’avarice. Ce
neveu, Charles Guillaume Ferdinand, ´etait
le type mˆeme du despote ´eclair´e, qui ne
lˆacherait pas la moindre parcelle de son
pouvoir absolu, mais ne l’employait que
pour ce qui ´etait ou ce qu’il croyait ˆetre
le bien de l’´etat. Il ne tol´erait d’ailleurs
la franc-mac¸onnerie dans ses ´etats que
parce que son oncle en ´etait le grandma
ˆýtre. Avant la bataille de Valmy, certains
conc¸urent le projet assez surprenant de lui
offrir la couronne de France : dans cette
´eventualit´e, la mˆeme famille guelphe aurait
r´egn´e des deux cˆot´es de la Manche.
Mais c’´etait peut-ˆetre une ruse de Danton
pour ´eviter que le duc de Brunswick
se presse de venir lib´erer Louis XVI, qui
´etait alors emprisonn´e `a Paris depuis la
journ´ee du 10 ao ˆ ut. Remarquons en passant
que le duc de Brunswick n’est pas
l’auteur r´eel du manifeste qu’on lui attribue
et dans lequel on menace de d´etruire
Paris comme l’avait ´et´e J´erusalem. Moins
heureux en armes qu’en politique, le neveu
de Ferdinand mourut en v´eritable soldat,
bless´e mortellement `a l’oeil d’une balle lors
de la bataille d’Auerstadt, en 1806, ˆag´e de
septante et un ans.
Le deuxi`eme fr`ere de Ferdinand s’appelle
Antoine Ulrich ; il ´epouse en Russie
sa cousine Anne L´eopoldovna, ni`ece de
l’imp´eratrice Anne, qui d´esignera comme
successeur leur fils Ivan. Avec un neveu
du duc comme tsar, la protection du
Brunswick-Wolfenbuttel contre ses puissants
voisins prussiens et hanovriens pouvait
sembler assur´ee — mais c’´etait compter
sans les al´eas de la politique russe.
ˆ Ag´e de deux mois, Ivan sera proclam´e empereur
en 1740, mais un an plus tard la
derni`ere fille de Pierre le Grand, ´ Elisabeth,
s’emparera du tr ˆone par un coup d’´etat
contre le r´egent, et Ivan se retrouve
emprisonn´e, passant d’une forteresse `a
l’autre, s´epar´e de sa famille, qui est exil´ee.
Vingt-trois ans plus tard, une tentative
de lib´eration d’Ivan par des rebelles au
pouvoir de l’imp´eratrice Catherine II entra
ˆýnera sa mort ; ses parents moururent en
exil, mais grˆace `a l’intercession de Ferdinand,
ses fr`ere et soeur purent retourner
`a Brunswick. Ils y men`erent une existence
priv´ee, pourtant, car ils n’avaient rec¸u aucune
´education.
La soeur aˆýn´ee de Ferdinand fut
´ Elisabeth Christine, qui ´epousa Fr´ed´eric
II et devint reine de Prusse. On sait que le
grand Fr´ed´eric n’´etait pas un ´epoux tr`es
d´evou´e ; il pr´ef´erait la compagnie de son
beau-fr`ere Ferdinand.
Le troisi`eme fr`ere de Ferdinand s’appelle
Louis Ernest ; il entra au service de
l’empereur —rappelons que l’empire ´etait
devenu h´er´editaire dans la maison des
Habsbourg autrichiens depuis 1437 — et
devint feld-mar´echal. Il sera fait prisonnier
pendant la guerre de Sil´esie, et rencontrera
alors Ferdinand, qui combattait pour le roi
de Prusse.
Ferdinand ´etait le quatri`eme fils.
Sa soeur cadette Louise Am´elie ´epousa
le fr`ere cadet de Fr´ed´eric II, Auguste
Guillaume ; leur fils Fr´ed´eric Guillaume II
succ´eda au tr ˆone de Prusse.
La soeur suivante, Sophie Antoinette,
devint duchesse de Saxe-Saalfeld.
Le fr`ere suivant, Albert, fut tu´e `a la
tˆete du r´egiment brunswickois de l’arm´ee
prussienne dont il ´etait le colonel, lors de
la bataille de Soor, en 1745. Il avait dix-neuf
ans.
La soeur suivante, Th´er`ese Natalie, devint
abbesse de Gandersheim.
La soeur suivante, Juliane Marie, fut
´epous´ee en secondes noces par le roi
Fr´ed´eric V du Danemark, et ainsi devint
reine.
Le dernier fr`ere, Fr´ed´eric Franc¸ois, fut
colonel du mˆeme r´egiment, et fut tu´e `a
l’ˆage de vingt-six ans lors de la bataille
de Hochkirchen, pendant la guerre de Sept
Ans, en 1758.
Bref, Ferdinand est beau-fr`ere de deux
rois et oncle d’un roi et d’un empereur
(malheureux) ; mˆeme si le territoire
du Brunswick-Wolfenbuttel est petit, et
d’apr`es l’Almanach de Gotha il ne comptait
que 166.000 habitants en 1782, Ferdinand
appartient `a une famille de la plus
haute et illustre noblesse allemande. Une
famille protestante (sauf quelques conversions
`a titre personnel), qui n’offre donc
`a ses descendants masculins qu’une seule
carri`ere possible, celle des armes.
Jusqu’`a cinq ans, Ferdinand est confi´e
aux femmes ; ensuite, le tuteur des princes
s’occupe de son ´education, et d`es douze
ans Ferdinand participe `a l’exercice militaire.
Le p`ere de Ferdinand r´eussit le tour
de force d’ˆetre en bon termes `a la fois avec
l’empereur et avec le roi de Prusse ; nous
avons vu que le fr`ere Louis Ernest de Ferdinand
´etait entr´e au service de l’Autriche ;
par souci d’´equilibre politique, ou parce
qu’il pr´evoyait la mont´ee en pouvoir de la
Prusse, le duc de Brunswick d´ecide de ne
pas envoyer Ferdinand en Autriche, mais
en Prusse. Le roi Fr´ed´eric Guillaume accepte,
`a condition que Ferdinand soit accompagn
´e de tout un r´egiment de huit
cent soldats et des officiers n´ecessaires,
r´egiment qui viendra ainsi grossir l’arm´ee
prussienne. Pendant que les troupes et les
officiers sont r´eunis, Ferdinand est envoy´e
faire son tour d’Europe, visitant Hanovre,
Osnabruck, La Haye, Leyde, Utrecht, Amsterdam,
Breda, Bruxelles, Paris (il est bien
s ˆ ur pr´esent´e `a la cour de Versailles), et ensuite
Nogent le Rotrou, o`u il rencontre M.
Poisson, le p`ere de la future marquise de
Pompadour ; Metz, Luxembourg, Nancy,
Langres, Lyon, Avignon, Marseille ; ensuite
Gˆenes, Turin, Milan, Venise et Vienne,
o`u il rencontre son fr`ere Louis Ernest, de
retour d’une exp´edition contre les Turcs. Il
quitte Vienne le 15 mai 1740. Il n’´etait pas
encore franc-mac¸on : d’apr´es ses propres
indications, il fut rec¸u apprenti l’ann´ee suivante,
1741, `a Berlin.
Fin 1740 il prend le commandement de
son r´egiment. Ferdinand apprendra l’art
militaire pendant les guerres de Sil´esie,
qui, de 1740 `a 1745, opposent le jeune
roi de Prusse Fr´ed´eric II `a l’Autriche. En
1742 Ferdinand est promu g´en´eral-major ;
en 1744 son r´egiment est confi´e `a son fr`ere
Albert, qui sera tu´e, mais Ferdinand devient
commandeur de la garde du roi. On
peut supposer que d`es lors il risquait beaucoup
moins sa vie (n’ayant en somme qu’`a
la sacrifier dans le cas hautement improbable
que la vie du roi lui-mˆeme serait en
danger). Et de fait, Ferdinand ne fut bless´e
s´erieusement qu’une seule fois, par une
balle qui vint frapper sa jambe, sans traverser
la peau, mais causant un ´epanchement
important de sang.
La p´eriode de 1745 `a 1756 est l’entredeux-
guerres ; Ferdinand est commandant
de la forteresse de Magdebourg, mais
fr´equente surtout la cour brillante de Berlin,
o`u il jouera des r ˆoles dans les pi`eces
de th´eˆatre que le roi repr´esente avec ses
courtisans favoris ; Ferdinand y rencontrera
entre autres le marquis d’Argens et
Voltaire, avec qui il jouera aux ´echecs.
Et son biographe Mauvillon pr´ecise que,
quoiqu’il frayˆat ainsi avec les chantres de
l’impi´et´e, jamais leurs sophismes ath´ees
ne purent triompher de ses certitudes religieuses
; si notre R.E.R. est rest´e chr´etien
— et chr´etien sans guillemets ni jeux de
mots — c’est peut-ˆetre en partie grˆace `a
la pi´et´e profonde et sinc`ere de Ferdinand,
dont les documents fondateurs du R´egime
sont comme le reflet.
La guerre de Sept Ans commence en
1756 ; la cause mˆeme du conflit est incertaine,
d’apr´es Mauvillon, il s’agissait de rivalit
´es coloniales entre la France et l’Angleterre,
sur le territoire de l’actuel Canada.
. . mais par de multiples complications
diplomatiques, on en vient au renversement
des alliances traditionnelles, la
France et l’Autriche s’alliant avec la Russie
contre la Prusse et l’Angleterre et le Hanovre
r´eunis. Au d´ebut de la guerre, le roi
de Prusse dispose d’une arm´ee d’observation
sur ce qui sera plus tard le front ouest ;
elle consiste de 18.000 hanovriens, 12.000
hessois, 6.000 Brunswickois, des buckbourgeois
et deux bataillons de soldats de Saxe-
Gotha. `A sa tˆete se trouve le duc Guillaume
Auguste de Cumberland, fils du roi hanovrien
George II d’Angleterre. Cette arm´ee
est battue `a Hastenbeck, et ensuite le duc
de Cumberland ne fait plus que reculer devant
l’ennemi franc¸ais, jusqu’`a ce qu’il se
trouve accul´e et doive signer la Convention
de Kloster-Zeven, aux termes de laquelle
les hanovriens seront intern´es et
tous les autres soldats renvoy´es dans leurs
foyers avec interdiction formelle de reprendre
les armes pendant cette guerre.
C’est une catastrophe pour Fr´ed´eric II,
qui proteste avec v´eh´emence aupr`es de
George II ; mais alors on trouve un subterfuge
juridique permettant de d´enoncer
la Convention, qui n’´etait pas encore ratifi
´ee, ni par George II, ni par Louis XV.
Il n’´etait que trop clair que le duc de
Cumberland ne pouvait pas rester en tant
que commandant-en-chef ; sur recommandation
des ministres anglais et hanovriens,
le roi mettra Ferdinand `a la tˆete de son
arm´ee occidentale.
Ferdinand part aussitˆot pour rejoindre
son arm´ee, et commence par kidnapper —
si on peut dire — son neveu, le prince
h´eritier, qui avait vingt et un ans et allait
juste commencer son propre tour d’Europe.
“Passez donc me visiter, mon cher
neveu” mais d`es son arriv´ee le prince
h´eritier est incorpor´e en tant que colonel
dans l’arm´ee de Ferdinand. Les protestations
du duc r´egnant de Brunswick n’y
changeront rien — elles ´etaient d’autant
plus ´energiques qu’il y avait des troupes
franc¸aises dans ses ´etats.
Le neveu de Ferdinand sera souvent
choisi pour mener `a bien des op´erations
risqu´ees, non seulement `a cause de la
confiance que Ferdinand peut avoir en
lui, mais aussi parce que Ferdinand n’est
g´en´eralement pas directement en contact
avec les officiers : en tant que g´en´eral en
chef, il donne ses ordres aux g´en´eraux particuliers
des diff´erentes nations qui composent
son arm´ee, et parfois ceux-ci sacri-
fient l’ob´eissance de principe `a leur ambition
personnelle, voire `a des ordres secrets
rec¸us de leurs souverains. L’exemple
le plus ´evident de cette mauvaise foi des
chefs subalternes est offert par la bataille
de Minden : Ferdinand avait admirablement
battu le mar´echal de Contades, et il
aurait suffi que le g´en´eral anglais, Lord
Sackville, e ˆ ut charg´e les arm´ees franc¸aises
pour les mettre enti`erement en d´eroute.
Mais il refusa obstin´ement d’ob´eir `a l’ordre
que Ferdinand en donna ; peut-ˆetre par
lˆachet´e, peut-ˆetre parce que le gouvernement
anglais ne voulait pas voir le roi
de Prusse enti`erement d´ebarrass´e de ses
ennemis franc¸ais. Sackville fut traduit en
cour martiale, et d´eclar´e inapte `a servir
en aucune fonction militaire. Mais six ans
plus tard il rentra dans la faveur du roi.
Le r´ecit des succ`es de Ferdinand pendant
la guerre de Sept Ans est assez monotone
; il fut le g´en´eral le plus heureux
de la guerre, et en fait surpassa
de loin le roi Fr´ed´eric lui-mˆeme, dont
les victoires furent contrebalanc´ees par de
lourdes pertes — il fut presque accul´e
au suicide apr`es sa d´efaite `a Kunersdorf,
contre les Autrichiens, et pendant l’occupation
de Berlin par les troupes autrichiennes.
Il ne parvint `a vaincre que grˆace
`a l’av`enement du tsar Pierre III, qui ´etait
un admirateur `a lui.
La Prusse sort de la guerre victorieuse
mais exsangue. Ferdinand reprend son
commandement `a Magdebourg et sa vie
`a la cour de Berlin. Mais la pr´esence de
Ferdinand ne manque pas d’irriter le roi,
car dans le syst`eme prussien, il ne peut
qu’y avoir un seul g´en´eral en chef, le roi
lui-mˆeme, qui peut tol´erer un brillant second
tel le mar´echal Keith, mais pas un
fils de souverain comme Ferdinand. Le
roi et Ferdinand se brouillent en 1766, `a
cause d’une remarque faite `a table par
Ferdinand, qui se demande si le peuple
de Prusse n’en viendrait pas `a regretter
l’occupation ´etrang`ere, devant la s´ev´erit´e
de l’administration royale et l’augmentation
des taxes. Le roi r´epond en invitant
Ferdinand `a dˆýner avec lui `a Sans-Souci,
mais lorsque Ferdinand s’y pr´esente, le
roi n’est pas l`a, ayant fait mettre un seul
couvert pour Ferdinand. (Ferdinand ´etait
d’une politesse fastidieuse, o`u Voltaire a
peut-ˆetre sinc`erement vu de la modestie,
mais il ´etait aussi tr`es exigeant envers ceux
— fussent-ils rois — dont il trouvait qu’il
leur incombait de lui t´emoigner le respect
dˆu `a un duc de Brunswick-Lunebourg.)
Quelques jours plus tard, le roi vient inspecter
la forteresse de Magdebourg. Lors
d’une telle inspection, le roi donnait tous
les ordres et le commandant n’avait qu’`a
esp´erer que tout irait bien ; mais Ferdinand
´etait l’exception : chez lui, le roi ne donnait
pas d’ordres, mais ne faisait qu’inspecter
et appr´ecier les exercices. Or ce jourl`
a le colonel Von Anhalt, aide-de-camp du
roi, se met `a donner des ordres. Ferdinand
proteste et exige que le roi choisisse
imm´ediatement entre Von Anhalt et luim
ˆeme, un des deux devant partir. Mais le
roi r´epond que Von Anhalt lui est indispensable.
Ferdinand quittera d`es que possible la
Prusse, et il restera brouill´e avec le roi pendant
onze ans ; ils seront r´econcili´es par
le neveu de Ferdinand ; Mauvillon reproduit
d’ailleurs les lettres tr`es polies qui
furent ´echang´ees en pr´eparation de l’entrevue
de 1777 entre les deux hommes,
qui ensuite ne parl`erent plus jamais de
l’incident. Mais le retour de Prusse modi-
fia enti`erement l’existence de Ferdinand :
il se retire dans son petit chˆateau de Vechelde,
au Brunswick, et entreprend toute
une s´erie de voyages `a la fois diplomatiques,
mac¸onniques et personnels, au Danemark,
en Su`ede, etc. — on se rappelle
l’intercession aupr`es de l’imp´eratrice
pour faire lib´erer ses malheureux neveu
et ni`ece. Cette p´eriode est celle ou le
r ˆole mac¸onnique de Ferdinand devient
pr´epond´erant, et aboutit dans son obtention
de la grande-maˆýtrise de l’Ordre `aWilhelmsbad.
Depuis quelques ann´ees, des historiens
principalement germanophones
s’int´eressent `a ce qu’on appelle l’Arkanenpolitik,
la politique secr`ete des
souverains allemands, qui auraient exploit
´e la franc-mac¸onnerie pour se cr´eer
un r´eseau suppl´ementaire d’influences
et d’all´egeances secr`etes, y incorporant
d´elib´er´ement des repr´esentants des opinions
politiques les plus avanc´ees. On peut
donc se demander si Ferdinand et le roi
´etaient bien sinc`erement brouill´es, ou si
cela avait pour but de permettre `a Ferdinand
de voyager et de rectifier l’Ordre au
profit de la politique prussienne. Mais ce
n’est ici qu’une question sp´eculative
En 1775 on offre `a Ferdinand le commandement
en chef de l’arm´ee qui doit
r´eduire la r´evolte des colonies anglaises en
Am´erique ; Ferdinand d´ecline : il n’avait
que 54 ans et aurait pu accepter, mais
au risque de perdre l’excellente r´eputation
militaire acquise pendant la guerre de Sept
Ans. On peut rˆever et s’imaginer ce qui
aurait pu se passer : Ferdinand triomphant
des rebelles, Washington, Jefferson,
Franklin et autres pendus pour haute trahison
; le monde serait bien diff´erent aujourd’hui.
Mais Ferdinand resta en Europe, et
la guerre contre les rebelles am´ericains fut
coordonn´ee par le secr´etaire d’ ´ Etat aux colonies
: le mˆeme lord Sackville qui ne chargea
pas `a Minden.
`A 70 ans, Ferdinand souffre d’une
attaque, dont il se r´etablit temporairement
; l’ann´ee suivante, il sera pris
d’´etouffements et meurt (il est mort assez
jeune ; son coadjuteur, le landgrave
Charles de Hesse-Cassel, gouverneur du
Schleswig-Holstein au service du roi du
Danemark, atteindra 92 ans). Ferdinand
´etait, dit-on, tr`es riche et tr`es bienfaisant ;
ce qui est s ˆ ur, c’est qu’il laissa de grosses
dettes. Il ne commenc¸ait jamais `a parler
de ses succ`es militaires. Son principal
d´efaut ´etait la cr´edulit´e ; Mauvillon cite en
exemple sa croyance `a la survivance du
comte de Saint-Germain ; il arrivait aussi
`a Ferdinand d’ˆetre tr`es g´en´ereux envers
des plus indignes charlatans. Il ne s’est jamais
mari´e — des raisons politiques l’en
empˆechaient, mais l’opinion aurait certainement
tol´er´e qu’il prˆýt une maˆýtresse, et
mˆeme avec moins de prudence que son neveu
qui, d’apr`es Mirabeau, en avait pris
une d’encore plus raisonnable et ´econome
que lui-mˆeme. Mais on ne connut aucun
attachement romantique `a Ferdinand ; par
cons´equent nous n’avons pas grand’chose
`a dire de sa vie priv´ee. Dans un futur
travail, nous donnerons un aperc¸u de la
vie du duc de Sudermanie ; la comparaison
avec Ferdinand sera tr`es instructive !
Mais pour l’instant nous vous remercions
de votre patience et esp´erons avoir servi
la m´emoire du premier grand-maˆýtre de
l’Ordre, en donnant un visage et une histoire
au nom que nous prononc¸ons lors de
nos banquets rituels.